TUNIS – UN/Agences – Il y a 20 ans, le budget militaire américain gonflait devant un trio de soi-disant menaces. On répète l’exercice aujourd’hui, en brassant les cartes et en ciblant de nouveaux dangers.
Le Pentagone n’en parle pas ainsi, mais la tentation est forte de conclure qu’on s’apprête à remettre en circulation un concept – sinon l’expression elle-même – qui a fait fortune du temps de la présidence de George W. Bush.
L’Axe du Mal, trois mots qu’avait employés le président républicain dans son discours sur l’état de l’Union en janvier 2002 en référence à l’Irak, l’Iran et la Corée du Nord. L’expression, répétée encore et encore, avait servi à justifier, l’année suivante, l’invasion de l’Irak pour chasser Saddam Hussein du pouvoir.
Trois mots qu’avait réunis, pour la petite histoire, un compatriote canadien, David Frum, commentateur politique conservateur qui, à l’époque, œuvrait comme « speechwriter » auprès de Bush. Il avait écrit « Axe de la Haine », mais le président et son entourage avaient préféré « Axe du Mal » qui, en anglais -« Axis of Evil »- a définitivement des connotations plus… diaboliques.
C’est ce que m’a rappelé la récente comparution de Mark Milley, le chef d’État-major interarmées, devant une commission de la Chambre des représentants. La Chine, la Russie et l’Iran vont constituer un problème pour les États-Unis pendant « de nombreuses années à venir », a-t-il affirmé, parce que les trois travaillent de plus en plus étroitement ensemble.
Un seul démon de la promotion initiale – l’Iran – est passé à la deuxième mouture. L’Irak sans Saddam Hussein ne représente plus le même risque, alors que la Corée du Nord a été écartée du trio, possiblement parce que la petite dictature stalinienne, tout en continuant d’irriter les Américains, ne semble rester que cela, pour l’instant : une source d’irritation.
En 20 ans, le Pentagone a dû changer son fusil d’épaule. De rival solidaire après les attentats du 11 septembre 2001, la Russie de Vladimir Poutine a progressivement glissé dans le camp des opposants purs et durs. Moscou – on le voit bien maintenant en Ukraine – est demeuré une menace militaire et ce sont ses voisins qui tremblent.
Les Chinois, eux, sont passés de grands partenaires commerciaux à compétiteurs tous azimuts. Militairement, leur budget fait de grands bonds en avant et, sous la gouverne de Xi Jinping, le pays exprime ouvertement sa volonté d’expansion régionale.
La Chine et la Russie, selon le plus haut gradé américain, ont clairement les moyens de « menacer nos intérêts… et notre mode de vie », ajoutant que les États-Unis, pour la première fois, sont confrontés, en même temps, à deux puissances nucléaires majeures.
Ce qui explique d’autant mieux l’inquiétude qu’inspire l’Iran. La République islamique pourra bientôt produire, a averti le général Milley, suffisamment d’uranium enrichi pour construire une arme nucléaire en quelques mois. Washington se retrouverait alors pris avec un troisième ennemi nucléaire.
D’où la nécessité, selon le chef du Pentagone, d’approuver, pour l’an prochain, le plus gros budget militaire de l’histoire des États-Unis : 842 milliards de dollars ! Rien comme une bonne frayeur auprès des élus pour inciter les récalcitrants à remettre leur portefeuille.