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Chèques sans provision : Pour certains, l’amnistie devrait être à vie
Les délits de chèques sans provision sont très nombreux et emplissent l’agenda quotidien des juges en charge pour le traitement de ces affaires dont un grand nombre est jugé par contumace. Mais là où le bât blesse est que tous les jugements par contumace, souvent parce que la personne concernée n’a pas reçu l’avis nécessaire pour comparaître, stipulent l’emprisonnement avec exécution immédiate et un mandat de recherche. Autrement dit, un émetteur de chèque, même de quelques centaines de dinars se retrouve avec une épée de Damoclès sur sa tête puisqu’au cas où il fait l’objet d’un contrôle de routine il serait, illico-presto, conduit pour purger sa peine en attendant une introduction en opposition.
D’ailleurs rien que les oppositions constituent un véritable casse-tête à cause de l’encombrement des dossiers. Sans oublier les grosses affaires avec des gros montants, ce qui représente un handicap majeur pour le paiement de ces chèques
Cette situation a amené Me Mourad BEN HAMIDA à lancer une lettre ouverte au président de la République dans laquelle il appelle à une amnistie à vie, pour certains, et qui pourrait être décidée à l’occasion de la prochaine Fête de la République du 25 juillet courant.
La pertinence de cette lettre ouverte nous a conduit à la rendre publique dans son intégralité :
« Ces derniers jours, une dame très respectable, présidant une institution qui fait de notre sécurité nationale son intérêt premier, a été arrêtée et conduite en prison. Le drame a eu lieu à l’aéroport de Tunis Carthage alors que l’honnête dame était sur le point de voyager. La cause : émission de chèque sans provision. Notre respectable dame prônant des valeurs citoyennes et très impliquée dans le domaine associatif, au risque de sa vie, verserait-elle dans l’escroquerie pour mériter un sort aussi abject ? Le risque est infime. Comment je le sais alors que je ne connais ni la dame en personne, ni les détails de l’affaire ?
Emetteurs, ni escrocs ni écervelés
C’est mon métier d’avocat qui m’incite à le penser. Ces derniers temps, les accusés d’émission de chèques sans provisions ne sont ni des écervelés, ni des escrocs. Du moins, il en est ainsi de ceux que je vois passer à mon bureau à cause des chèques impayés. Ils sont tous des chefs de famille respectables. Le plus souvent, ce sont des acteurs économiques plus ou moins importants. Commerçants, hôteliers et surtout chefs d’entreprises industrielles.
Pendant cette dernière décennie, noire pour l’économie honnête , le marché parallèle s’est accaparé plus de 50% de l’économie. Les produits qu’il propose ne paient ni taxes ni douane. Ses employés ne paient pas de charges sociales (cnss..). Au lieu d’endiguer ce phénomène qui représente une concurrence déloyale mortelle pour les entreprises productives du secteur formel, l’Etat a libéré l’importation. Et il y a eu ce déferlement de produits turcs et chinois qu’on connaît. En parallèle, l’Etat a exigé des entreprises productives formelles de payer plus d’impôts.
Toujours en parallèle, les charges salariales de ces entreprises ont augmenté au moins quatre fois depuis 2011 et le rendement a baissé vu le rapport de force en faveur des salariés. Au lieu d’améliorer la situation des entreprises, le travail syndical mal interprété, a souvent consacré l’impunité pour les travailleurs au bas rendement.
Pourquoi l’exécution immédiate ?!
Toujours en parallèle, la matière première utilisée par ces entreprises a vu ses prix doubler en dix ans à cause de la dégringolade du dinar et la cupidité des intermédiaires. Produire coûte donc trop cher et les producteurs ne peuvent augmenter leurs prix indéfiniment parce qu’il y a la concurrence chinoise et turque. Résultat de ce massacre économique d’une classe sociale qui a été la locomotive de l’économie et qui devrait toujours l’être (il n’y a que produire et exporter qui puissent nous sauver) : Ces acteurs économiques paient très cher leur appartenance à la catégorie des bâtisseurs. Ils vendent leurs biens pour payer leurs chèques et parfois ce n’est pas suffisant vu l’ampleur des dégâts.
Dans ce cas, on met ces hommes et ces femmes derrière les barreaux vite fait النفاذ العاجل tout en exigeant qu’ils paient, en plus des intérêts de retard, des amendes accablantes. On se comporte avec eux comme s’ils étaient des escrocs alors qu’ils ne sont que les victimes d’une économie qui ne crée pas la richesse mais leur faillite. Après leur avoir tout pris, on finit par prendre ce qui leur reste de plus cher : leur liberté. Et la loi ne les aide pas à éviter cela : il n’y a ni échelonnement pour le paiement ni tentative d’allègement de la dette une fois l’affaire devant le juge.
Au contraire, il faut payer le montant intégral du chèque avec les intérêts et une amende de 20%. Peut-on faire subir une pire injustice à ses concitoyens : on fait tout pour les conduire à la faillite et on leur demande de payer plus que ce que les bénéficiaires des chèques leur demandent.
Monsieur le Président de la République. Messieurs et Mesdames les députés
Pour commencer, je crois qu’il est primordial de décréter une amnistie spéciale pour ce profil de victimes (et non de criminels !) c’est-à-dire les chefs d’entreprise pour les raisons et la conjoncture économique citées plus haut. On pourrait crier au non respect du principe de l’égalité des citoyens devant la loi.
Désolé, mais lorsqu’on signe un chèque pour qu’une entreprise qui nourrit des dizaines de familles continue à fonctionner tout en espérant que la production de ces chefs de familles tunisiennes va s’écouler sur le marché et permettre le règlement de ce chèque, mais qu’on découvre que cela ne sera pas possible parce qu’il y a une marchandise turque à bas prix qui a fait son apparition pour rafler la moitié de la clientèle grâce à laquelle l’entreprise tenait encore sur ses pieds, signer donc un chèque dans ces conditions et pour cet objectif, diffère d’émettre un chèque pour équiper sa maison dès derniers modèles de l’électroménager, par exemple.
Il est vrai que dans les deux cas, les bénéficiaires de ces chèques sont lésés et devraient être protégés. Il est vrai aussi, qu’émettre un chèque impayé désarçonne tout un système de paiement et c’est inadmissible. Mais il faut juste reconnaître que vu la conjoncture, les chefs d’entreprise devraient au moins jouir de certaines conditions d’allègement. A conjoncture spéciale (faillite en cascades des entreprises) démarches aussi spéciales.
On ne tire pas une balle dans le pied de quelqu’un si l’on veut qu’il marche droit
On ne tire pas une balle dans le pied de quelqu’un si l’on veut qu’il marche droit. On ne lâche pas une horde de facteurs destructeurs contre les entreprises (secteur informel dominant, augmentation continue des charges salariales..) pour s’étonner plus tard que leurs propriétaires n’arrivent plus à honorer leurs chèques. Au moins que cette amnistie annule le paiement des amendes et des intérêts de retard et surtout qu’elle dure suffisamment (six mois peut-être) pour permettre à ces hommes et femmes d’affaires brisés de trouver les fonds nécessaires à leur sauvetage.
Personne ne gagne à voir ce profil de personnes sous les verrous. Ni leurs fournisseurs qui diront définitivement adieu à leurs créances, ni leurs employés qui se retrouveront au chômage. En fait, tout détenu pour émission de chèque impayé devrait être automatiquement relâché une fois le bénéficiaire du chèque est payé et ce ne devrait pas être possible uniquement à l’occasion d’une grâce présidentielle. A quoi servirait de garder une personne en prison et payer ses frais d’hébergement si elle est capable de réparer son tort et de payer sa dette ?
En attendant de changer la loi pour s’adapter aux nouvelles réalités, j’espère que Monsieur le Président de la République ne tardera pas à décider une amnistie ciblant l’annulation des peines et des amendes générées par les chèques sans provision pour toute personne qui paiera le principal de sa dette . C’est ce que des milliers de familles attendent de lui à l’occasion du 25 juillet. Assez de larmes qui ne font le bonheur de personne !
Me Mourad BEN HMIDA