Lors d’une conférence organisée le 24 juin à Tunis, l’Institut Tunisien des Administrateurs (ITA) a présenté une étude inédite sur la présence des femmes dans les conseils d’administration en Tunisie.
Ce rapport complet, intitulé « la présence des femmes dans les conseils d’administration : Vers une plus grande mixité » a été une occasion de présenter l’importance des femmes dans les conseils d’administration.
En Tunisie, même si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à réussir leur cursus universitaire, même si Le vivier des talents féminins s’agrandit et même si elles sont de plus en plus nombreuses à occuper des postes qualifiés et de responsabilité dans les entreprises qu’elles soient publiques ou privées, elles demeurent encore largement sous-représentées dans les postes de prises de décision et dans les instances de gouvernance, et plus spécifiquement, le conseil d’administration, qui sera au centre de notre actuel rapport.
La sous-représentation des femmes dans les conseils d’administration n’est pas une situation spécifique à la Tunisie, elle est valable à quasiment tous les pays du monde, mais à des degrés et des niveaux différents.
La situation en Tunisie
L’étude de la composition du Conseil d’administration des entreprises du secteur privé, s’est basée sur un échantillon constitué de la totalité des entreprises cotées à la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT). A fin mai 2021, la côte des valeurs comprend 79 entreprises tout secteur confondu. Ces entreprises comptent 675 administrateurs, dont 76 sont des femmes, soit une proportion de 11,3%.
Le secteur financier, incluant Le secteur bancaire, les assurances et le leasing, est le secteur qui compte le plus de femmes administratrices, 35 femmes soit un taux de 46,1%.
Le secteur bancaire, composé de 12 banques cotées (publiques et privées), compte 1 femme administratrices, soit Le quart de l’effectif total féminin. Toutefois, le taux de représentation des femmes dans les Conseils des banques reste disparate: 2 banques affichent une représentation féminine supérieure ou égale au seuil critique de 30%, le reste de l’échantillon affiche une moyenne de 13,51%, légèrement supérieure à la moyenne générale du marché.
En dehors du secteur financier, la présence des femmes dans les conseils d’administration reste timide et peu significative. Plus de 40% des entreprises cotées ont des conseils d’administration exclusivement masculin. 29% compte une seule administratrice et seulement 76% compte 3 administratrices et plus,
En termes de présidence de conseil d’administration, les sociétés cotées comptent 7 femmes Présidentes de Conseil d’administration dont 4 sont à la tête d’entreprises appartenant au secteur public. La proportion des femmes présidentes de conseil d’administration est de l’ordre de 8,9%, soit Un pourcentage en deçà de la moyenne de la région Moyen Orient Afrique du Nord (M,1%) et de la moyenne mondiale (23,6%).
La faible représentation de la femme tunisienne dans les Conseils d’administration trouve son explication dans Les mêmes raisons qui expliquent ce même constat dans d’autres autres pays du monde. Bien évidemment, certaines raisons sont plus ou moins accentuées en fonction des régions.
Les processus et les freins spécifiques qui expliquent la sous-représentation des femmes sont liés à une conjonction de trois principaux facteurs :
Facteurs éducatifs et socioculturels
Ces facteurs se traduisent par une vision stéréotypée de la femme en tant que telle, de certains métiers et du poste de dirigeant.
L’inconscient collectif voit encore la femme en tant que mère et en tant qu’épouse plutôt qu’un membre actif dans le marché du travail, en tant que cadre haut responsable et en tant que dirigeant. La gestion de la vie familiale reste encore considérée comme une mission exclusivement réservée aux femmes.
Par ailleurs, Le stéréotype genre associe le poste de dirigeant à la masculinité. Les caractéristiques dites masculines sont souvent jugées indispensables pour la prise de poste de dirigeant dans l’entreprise et sont souvent opposées aux caractéristiques considérées comme féminines.
Pratiques organisationnelles et managériales dans l’entreprise
En entreprise, de nombreuses normes et règles organisationnelles et managériales, présentées comme neutres, se basent sur des modèles masculins d’investissement professionnel, de performance, de disponibilité, de mobilité qui peuvent jouer au détriment des femmes et consolider ainsi le paradigme de la rareté de celles-ci au sommet des entreprises : plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a des femmes (Le phénomène du « Tuyau percé »).
De leur côté, les femmes peuvent développer des comportements qui limitent leur progression jusqu’au sommet des instances dirigeantes. Ces comportements sont dictés par le poids des pratiques éducatives et managériales décrites plus haut mais surtout par le dilemme permanent de l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, qui reste l’apanage des femmes.
Dans un contexte managérial historiquement masculin, et face à la rareté de modèle et de mentors féminins qui restent très rares, les femmes ont beaucoup de mal à se projeter et à se positionner dans des postes de hautes responsabilités et de leadership.
Afin de favoriser des Conseils d’administration équilibrés, plusieurs pays ont pris des mesures spécifiques que nous pouvons classer en deux types – Des mesures incitatives qui se traduisent à travers la mise en place de bonnes pratiques de gouvernance généralement instaurées par les autorités de marché et plus particulièrement les autorités boursières.
Des mesures règlementaires qui consistent dans la mise en place de texte de loi instaurant un quota genre à respecter dans la composition des Conseils d’administration. Plusieurs pays notamment les européens ont opté pour cette alternative. Nous pouvons mentionner des pays tels que la Norvège (pionnière), l’Allemagne, l’Italie, la France, l’Espagne, mais également le Kenya, l’Inde et d’autres pays.
Un projet de loi en Tunisie pourrait cibler dans un premier temps les entreprises cotées à la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis et peut être dans un second temps des entreprises d’Une certaine taille.
Le projet de loi devra prendre en considération un seuil critique pour la présence des femmes dans les Conseils d’administration. Des études internationales qui se sont basées sur des enquêtes terrain ont mis en évidence que l’effectivité et l’efficacité de la présence des femmes dans les Conseils d’administration est atteinte à partir d’un certain seuil, qui est de 3 femmes par conseil où un pourcentage minimum de 30%. En dessous de ce seuil, il a été constaté que les femmes risquent de se retrouver isolées et donc très peu écoutées.