Par Mansour M’henni
Nombreux sont ceux qui se posent des questions sur les audiences du président de la République avec des personnalités politiques nationales, surtout après le vote parlementaire en faveur du remaniement ministériel opéré par le président du Gouvernement, Youssef Chahed. On croit y déceler une « manœuvre » de BCE en vue de reprendre son influence sur le cours du paysage politique et, au besoin, la possibilité d’infléchir ses orientations au gré des vents et des élans présidentiels.
Rappelons que le président a reçu, après le Collectif de défense de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, tour à tour Mehdi Jomaa, Mehdi Ben Gharbia, Saïd El Aïdi et Besma Khalfaoui, la veuve de Chokri Belaïd. Les observateurs les plus alertes (Pêcheurs en eaux troubles ?) y verraient anguille sous roche, un indice annonçant que BCE ne passera pas l’éponge sur l’acte d’émancipation (constitutionnelle) de l’action gouvernementale vis-à-vis d’un paternalisme présidentiel persistant et quelque peu anachronique.
On verrait alors dans l’audience avec Besma Khalfaoui la persévérance à suivre de près le dossier des assassinats politiques pour contrer les différentes déclarations des responsables d’Ennahdha et leur recommandation (prise comme une menace) que la présidence reste en dehors des conflits partisans sur la question. A ce propos, il importe de souligner que les assassinats politiques dépassent certes les intérêts et les conflits partisans et posent la question de la justice et de la sécurité des citoyens. Mais que le grand hic viendrait du fait que BCE semble réitérer sa promesse électorale à ce propos. Autant dire « Mieux vaut tard que jamais »
Quant aux deux rencontres, respectivement avec Mehdi Jomaa et Slim El Aïdi, au-delà de toute justification classique du genre « Le président est celui de tous les citoyens et il reçoit tous les partis » (ne parlons pas de 220 partis à ce propos !), ces deux rencontres semblent bien ciblées. Le premier reçu a été (catégorisé ?) de plusieurs connivences : d’abord Ennahdha qui aurait pensé à miser sur lui pour les prochaines élections présidentielles, à la façon dont elle avait fait avec Marzouki ; puis la mouvance dite « centriste-démocratique » dans laquelle on finirait par mettre tout le monde au point de la vider de son sens politique et de son référentiel intellectuel et social ; enfin un flottement caractérisé devant les différentes tentations, doublé d’un autonomisme de surface ouvert sur les cartes imposées par l’avenir. Ce serait donc ce dernier point qui intéresserait BCE, s’il décidait de contrer la démarche du lot « Ennahdha-Machrou3-Chahed », pour un quelconque ralliement à Nidaa-Hafedh-Riahi. De ce point de vue, Saïd El Aïdi et son slogan-parti « La Tunisie d’abord » peuvent s’associer à ce ralliement moyennant de petites insinuations peu compromettantes, telles dont le président sait magistralement user. A croire, en définitive, que, fort de son statut présidentiel, BCE retrouverait son élan de fondateur du Nidaa et chercherait par tous les moyens à le ranimer d’une léthargie due à plusieurs dysfonctionnements.
Quand à l’audience avec Mehdi Ben Gharbia, perçue comme une tentative de réconciliation entre « les deux vieux », mais difficilement dissociable du rôle que jouerait actuellement l’ancien ministre de Y Chahed dans la construction de l’imminente structure politique de celui-ci, elle reste encore à l’étape de la spéculation et ne paraît pas changer le cours des choses. Tout au plus présagerait-elle d’un provisoire « cessez-le-feu », difficile à respecter, en attendant que chacun reprenne ses forces et la juste évaluation de ses moyens.