Par Assâad Jomâa*
Le phénomène Abir Moussi ne cesse, ces derniers temps, d’interpeler aussi bien les politologues que les acteurs politiques. Les appréciations des uns et des autres s’accordent sur, au moins, un point : la fille, autoproclamée légitime, de la famille destourienne et, osons l’adjectif, novembriste, est en passe de supplanter, BCE ayant quasiment déjà jeté l’éponge, ses antagonistes, tant pour les législatives que pour les présidentielles.
Unique, et non moins surmontable, écueil sur sa route : les islamistes. Pour le moment, ils font office de catalyseur, la propulsant à la cime des prévisions électorales.
Etrange destinée pour une femme qui est loin de briller par son « background » politique. La concernée, vous l’aurez déjà noté, ne voit nulle nuance, à défaut de contradiction, entre destourien et novembriste. Mieux encore, les critiques des analystes politiques, loin de ralentir sa course effrénée vers la suprême magistrature, semble même l’accélérer.
Discours musclé, diriez-vous ? Populiste, renchériraient certains ? Air de déjà entendu, clameraient d’autres ? Point de projet socio-économique pour la Tunisie post-électorale relèveraient, à juste raison, enfin les plus avertis ?
Abir, portées aux nues par ses fans scandant à tue-tête, comme ils en ont presque perdu l’habitude, son nom, n’en a cure. Elle continuera son irrésistible ascension… et ce ne sont pas les petites manigances des fins limiers du novice Chahed qui y changeront grand-chose.
Les quelques escarmouches concoctées par les seconds couteaux de leurs acolytes de circonstance ont été savamment récupérées par la dépositaire de la « vox populi » pour se concocter une épopée militante ne dépareillant en rien de celle de sa digne lignée historique.
Les quelques centaines de millions de dinars providentiellement réclamés à son détriment par le fisc, et destinées à lui porter ombrage, seraient bien vite évacuées par une simple pichenette de quelque bienfaiteur « affairiste », comme il en existe tant sous nos cieux, flairant le bon retour sur investissement.
En fait la fulgurante ascension de dame Moussi est, dans un large mesure, symptomatique de la crise politique profonde que connaît la Tunisie. Ce n’est, d’ailleurs, pas particulier à notre pays : les exemples, à l’appui de cette lecture, abondent ça et là. Du lunatique Trump au sophiste Macron, la palette de choix est plus que large.
Les sociétés en tourmente, versant le plus souvent dans la démesure, finissent immanquablement par sacrifier à la déraison, pour peu que les bonimenteurs du moment parviennent à leur fourguer leur camelote. Quant à la chose proprement politique, elle demeure, malencontreusement, hors de portée pour ce ramassis de parvenus, improprement nommés, hommes, et femmes en l’occurrence, politiques.
Tout au plus, les critiques qu’on pourrait formuler l’encontre de l’adulée du moment, à commencer par son outrancier narcissisme (débouchant invariablement sur l’inévitable : « L’Etat c’est moi »), pour judicieuses qu’elles puissent être, et pour peu que la susnommée parvienne à les décrypter, pourraient-ils concourir à améliorer sa logorrhée.
Quant à la chose proprement politique, elle demeure, je le crains, hors de portée, voire même d’intérêt (le terme politeïa signifiant étymologiquement : s’intéresser aux affaires de la cité) pour cette harangueuse de la foule. Et ce n’est pas sans quelque raison que Platon tenait en si mauvaise estime le régime dit démo-cratique, la plèbe y étant, en dernière analyse, hissée au rang d’impératrice.
Au fait, qui d’entre nous tous serait à même de citer ne serait-ce qu’un nom des figurants de la troupe de la diva Abir ?!
*Universitaire