L’Universitaire et expert en économie et marché financier, Moez Hadidane, fait un tour d’horizon en ce qui concerne la situation économique et financière en Tunisie : Croissance, inflation, Bons de trésor, taux d’intérêt directeur, dette, négociations Tunisie-FMI sont au menu. Interview.
Le Trésor a levé, le 9 mai, 700 MDT par émission de BTC. Donnez-nous plus de détails.
Pour l’année 2022, il y a trois lignes de BTA à rembourser. Deux lignes ont été déjà remboursées. Une première en février 2022 avec 30% par adjudication d’échange. Une deuxième dont les banques ont refusé de participer à cet échange. Et une troisième programmée pour le mois d’août d’un montant de 848 millions de dinars.
Aujourd’hui, le problème c’est que le trésor a des difficultés à rembourser ces bons de trésor. D’ailleurs, deux lignes de BTC sont arrivées à échéance le 11 mai 2022 pour un montant total de 946 millions de dinars, dont une ligne à 848 millions de dinars et une autre à 100 millions de dinars.
A cet égard, le Trésor a annoncé qu’il a réussi à émettre, le 9 mai, une nouvelle ligne de BTC pour 700 millions de dinars avec date de valeur le 11 mai. Et il a proposé trois lignes pour 2028, 2030 et 2033, ce qui prouve qu’il a essayé de reporter son remboursement pour des dates ultérieures. Ce qui est frappant cette fois-ci : aucune banque n’a présenté une offre qui a été retenue par le Trésor.
Mais pourquoi les banques ont refusé cette opération ? Parce qu’il s’agit d’un échange contre des titres de long terme (2028, 2030 et 2033), et parce que les banques sont convaincues que la Banque Centrale de Tunisie (BCT) va très prochainement augmenter son taux directeur.
Quelles sont les estimations et les conséquences d’une future hausse du taux directeur de la BCT ?
J’estime que la BCT va augmenter son taux directeur entre 50 et 75 points de base. A mon avis, on doit augmenter ce taux pour se rapprocher d’un taux d’intérêt réel de zéro ou positif parce qu’il encourage à l’épargne. C’est ça principalement notre problème : pour encourager l’investissement, il faut le financer, ce qui nécessite un taux d’intérêt alléchant.
S’agissant des conséquences, une hausse du taux d’intérêt directeur a un double impact. Il s’agit de lutter contre l’inflation, décourager la consommation, décourager les demandes de crédits, freiner les financements de l’investissement. Donc il y aura une baisse de la demande et par conséquent une baisse des prix.
On sait aussi que toute hausse du taux d’intérêt va freiner la croissance, puisque toute baisse de la demande des crédits et de la consommation va freiner la production et l’offre. Or en Tunisie, pendant les 12 dernières années, la croissance moyenne est de seulement 1% par an.
Votre lecture des indicateurs économiques de la Tunisie (croissance, inflation) ?
L’Institut National de la Statistique (INS) a annoncé un taux d’inflation de 7,5% en glissement annuel. Aujourd’hui certains acteurs économiques et même les citoyens se demandent comment l’inflation est de 7,5% en avril, alors qu’on ressent que le taux est beaucoup plus élevé. Réellement, l’inflation cumulée de 2010 jusqu’à aujourd’hui est de 85%, soit une moyenne de 5,3% par an, contre une croissance économique qui était de seulement 1% par an (12% pendant les 12 dernières années).
Par conséquent, le revenu national par habitant a réellement baissé de 6,5% et la richesse n’a pas été distribué d’une manière équitable. Pendant les 12 dernières années, ce revenu a augmenté de 80% contre une augmentation du SMIG de 58% seulement. Pour cette raison, le tunisien ressent la détérioration de son pouvoir d’achat.
La Tunisie sera-t-elle obligée de rééchelonner sa dette ?
Concernant la dette extérieure, le Fonds Monétaire International (FMI) demande de la Tunisie, en plus des réformes structurelles, la restructuration de la dette. Il est en train de nous pousser à renégocier avec nos bailleurs de fonds, notamment bilatéraux. Il nous pousse donc d’aller vers le Club de Paris.
Mais la restructuration de la dette touche à la crédibilité du pays et augmente le coût du financement extérieur. Pour ces deux principales raisons, la Tunisie refuse la restructuration de sa dette. Cependant, si arrive à un stade où on ne peut pas honorer une échéance extérieure, quel est le choix à faire ? Est-ce qu’on déclare qu’on n’a pas pu honorer notre dette ou on renégocie dès aujourd’hui ?
A mon avis, il faut renégocier et restructurer la dette tunisienne parce que tôt ou tard on va arriver au moment d’annoncer qu’on ne peut pas honorer une dette, tel était le cas il y a un mois pour le Sri Lanka. Arriver au moment de ne pas pouvoir honorer une échéance est à mon avis pire que demander le rééchelonnement de la dette.
Au niveau local, les émissions de bons de trésor pour reporter ou échanger d’autres bons est un rééchelonnement de la dette. Les principaux bailleurs des bons de trésor sont les banques. Est-ce que ces banques vont accepter aujourd’hui de reporter une dette de court terme au profit d’une dette de long terme ? Donc, on est déjà en train de rééchelonner la dette locale.
Qu’en est-il des négociations avec le FMI ?
Suite aux différends rounds de négociation entre le FMI et la délégation tunisienne, il y a quelques annonces de la part du fonds mais pas de décision ferme jusqu’à aujourd’hui pour accorder un financement. Il y a eu des annonces positives certes, mais on ressent toujours cette volonté du FMI d’imposer, en plus des réformes structurelles, une restructuration de la dette tunisienne.
Malheureusement, si on n’arrive pas à conclure un accord avec le FMI, notre situation va encore s’empirer.