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Ce sont les responsables gouvernants qui créent, ce qu’on appelle, la fuite des cerveaux.
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Des jeunes animés par de grandes ambitions sont exploités ailleurs au profit de terres et de gens d’ailleurs.
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“Ce n’est pas par manque de patriotisme que nous choisissons de partir, mais après avoir épuisé les chances de réussite dans notre propre pays… »
Il a tout juste 27 ans, et déjà les yeux plein d’étoiles et la tête plein d’idées. Et pour cause! Mohamed Dhaouafi vient d’être choisi par le prestigieux magazine Forbes Middle East pour figurer dans la liste des “30 Under 30”. Rien que cela! Une distinction hautement symbolique mais qui ne marque guère un aboutissement, au regard du primé! Une allure fière de voir ses efforts récompensés sous fond d’un challenge qu’il s’est lancé lui-même.
“Les histoires de succès que nous lisons avec un entrain excessif dans les feuillets des journaux ou autres, c’est la réalité, et cela s’est réellement passé! Alors pourquoi ne pas croire en ses propres chances dans le succès?” dira Mohamed qui n’en démord pas en dépit de la kyrielle de difficultés rencontrées en matière d’entrepreneuriat, devenue légendaire en Tunisie.
Sur la même lancée, ce sera sur la liste des innovateurs de moins de 35 ans de MIT Technology Review qu’il figurera sous la mention “humanitaire”! L’enfant prodigue de Sousse a bien décroché le cocotier, et c’est le moins que l’on puisse dire!
Portrait d’un jeune entrepreneur, ambitieux et libre!…
Il s’appelle Mohamed Dhaouafi, il a 27 ans et depuis un peu plus de deux ans, il a fondé son entreprise Cure Bionic, spécialisée dans la fabrication de prothèses bioniques en impression 3D. Vu ainsi, l’on pourrait être en droit de se demander quant à la singularité de l’innovation. Le jeune entrepreneur explique qu’il s’agit de prothèse fabriquée à partir d’une matière première écologique et qui peut se recharger à l’énergie solaire.
Fierté, responsabilité et motivation!
C’est donc l’histoire d’un passionné d’humanitaire et d’écologie. Car, oui des sourires il en a bien rendus. Mohamed raconte comment une fois, il a vu réaliser un acte, que nous-autres jugeons anodin, mais qui de par sa symbolique, il a acquis de véritables lettres de noblesse : ”Une fois, pour les besoins de tournage de vidéos faisant la promotion de nos prothèses, nous avons fait appel à une fille, née avec une malformation au niveau de son bras le réduisant à moitié, afin de démontrer un essai réel de ladite prothèse. Lorsque nous lui avons demandé de regarder la vidéo pour en vérifier le contenu, elle a refusé d’écouter sa voix prétextant qu’elle ne l’aime pas et s’est “spontanément” bouchée les oreilles avec ses “deux mains” en signe de protestation! Ce geste paraît si minimaliste et ordinaire, pourtant pour elle, il s’agit carrément d’un exploit!”
Plus excitant encore que le sentiment de fierté de paraître sur la liste de Forbes, ce sentiment de satisfaction mélangé à de la fierté et surtout au sens de la responsabilité et du devoir, ont tout bonnement fait la motivation de Mohamed.
Tu ne lâcheras point!
Comme tout jeune entrepreneur qui découvre le monde des affaires sous nos cieux, Mohamed s’est vite confronté à la dure réalité du parcours des procédures administratives. Un parcours qui requiert patience, persévérance et de surcroît des nerfs d’acier. En dépit de tous les discours d’encouragement et d’incitation à l’initiative privée, la voie de l’entrepreneuriat en Tunisie demeure semée de belles embûches.
Et Mohamed de raconter :”Il faut savoir qu’ici l’écosystème est fait de manière qui privilégie une vision à court terme voire même à très court terme. Je m’explique : en ce qui regarde mon projet, il est indéniable qu’une présence concrète sur le marché de nos produits devra prendre deux à trois ans au moins, car nous devons d’abord développer une technologie puis des prototypes avec différents essais.
Néanmoins, et tant que ce produit n’a pas été commercialisé sur le marché, l’écosystème ne nous considère pas comme étant un projet de succès ou tout simplement comme étant une entreprise existante.
Parti de ce constat, les difficultés déferlent! Je me suis heurté assez violemment à la réalité des procédures administratives qui nous “dépouillent” du temps et de l’énergie que nous devrions pourtant investir dans notre projet.” A contrario, et ayant pris part à une ribambelle de manifestations à caractère entrepreneurial dans de nombreux pays, Mohamed se voit attribué une crédibilité sans équivoque et même inconditionnelle.
Et c’est précisément cette “énergie positive” qui fait lieu de carburant haute qualité pour un avancement établi et infaillible. Puis, difficultés ou non, la motivation demeure intacte eu égard à toutes les personnes qui accrochent leur espoir d’une vie meilleure sur la fabrication des prothèses par Cure Bionic.
Bon à savoir que CURE BIONICS est une startup labélisée (a reçu son Label Startup en novembre 2019) et basée en Tunisie qui développe et fabrique des prothèses bioniques faites par impression 3D qui sont contrôlées par les muscles, personnalisables, ajustables et accessibles aux personnes ayant des différences de membres. Nous visons également à leur fournir une solution thérapeutique divertissante et immersive qui utilise la réalité virtuelle et la gamification leur permettant de voir et de contrôler une main virtuelle pour l’entraînement et la rééducation. »
Contourner un système et avancer…
“Notre chaîne d’approvisionnement dépend grandement de l’importation de matières de l’étranger”, explique Mohamed qui regrette un mode de vie étouffant en Tunisie notamment en ce qui concerne le financement des entreprises en l’occurrence les start-up. A ce titre, le jeune entrepreneur évoque un dossier de demande de financement qu’il a déposé depuis 2018 et dont il attend encore l’issue.
Dans un monde “parallèle”, lorsque Mohamed fait appel à des fonds étrangers, il lui suffit de remplir un formulaire en ligne, d’apposer une simple signature et son compte bancaire se voit engrosser du montant requis. Cela est sans nul doute, ce que le monde moderne appelle l’administration digitale.
La numérisation des procédures qui signifie indubitablement leur simplification avec pour but ultime l’aboutissement d’une affaire dans les plus brefs délais. Ne vivons-nous pas dans l’époque du “fast”?! L’on croirait que nous vivons encore dans un autre âge. Qu’à cela ne tienne! Les jeunes entrepreneurs tunisiens doivent dans l’essentiel, leur salut à des fonds étrangers avec la motivation prime.
Si l’on voudrait se référer à des chiffres, voici ce que Mohamed nous révèle :”un entrepreneur est supposé passer 17% de son temps à traiter avec l’administration, ceci est la moyenne mondiale, en Tunisie, ce taux est de l’ordre de 47% environ! Voyez par vous-même le gap entre ces deux valeurs et tirez les conclusions qui s’imposent!
Par exemple et pour revenir à notre chaîne d’approvisionnement, et parce que nous rencontrons, souvent, des difficultés avec la douane, nous faisons appel à des amis qui viennent de l’étranger pour disposer de notre matière première. Nous contournons le système en quelque sorte pour pouvoir avancer!”
Aux jeunes entrepreneurs, je dis : partez!
“Voyez-vous toutefois le bout du tunnel en Tunisie? Les choses sont-elles prêtes de changer?” -”Honnêtement, je ne pense pas que les choses changeront de si tôt dans notre pays. C’est davantage une question de volonté politique qui se démarque par son absence, hélas!
Personnellement, je dis à tout jeune entrepreneur, si tu as la chance de t’épanouir ailleurs qu’en Tunisie, de faire avancer ton entreprise à l’étranger, il ne faut pas hésiter à y aller!” réplique Mohamed. Et c’est ainsi que les responsables gouvernants créent ce qui est communément appelé ; la fuite des cerveaux. Des cerveaux de jeunes animés par de grandes ambitions qui sont exploités ailleurs au profit de terres et de gens d’ailleurs.
Mohamed dira : “si être heureux et épanoui dans sa vie professionnelle suppose partir sous d’autres cieux, alors qu’il en soit ainsi.” Et l’on attendra une prise de conscience collective de tous qui fera que le peu d’espoir que nourrit Mohamed actuellement prenne plus d’ampleur. Ce jeune entrepreneur qui, malgré lui, voit un tableau noirci dans une indifférence totale de la part des politiques et responsables gouvernementaux qui n’ont de cesse de batailler pour des intérêts individuels, bien loin des slogans chauvinistes. “Ce n’est pas un manque de patriotisme de ma part ou de celle des autres entrepreneurs dans la même position que moi, mais si nous choisissons de partir c’est que nous avons déjà épuisé les chances de réussite dans notre propre pays. C’est parce que nous sommes à bout de souffle et que nous souhaitons pouvoir continuer et ne pas se retrouver dans l’obligation de baisser les bras. Alors nous partons dans l’espoir de revenir un jour!”
Mohamed a conclu l’entretien en racontant une anecdote qui l’aura marqué tout au long de son parcours :”Une fois, j’ai rencontré l’ancien président feu Béji Caïd Essebsi, nous avons bien parlé de mon projet et il m’a bien encouragé. Nous nous sommes rencontrés une seconde fois et convaincu par mon entreprise, il a voulu en tant que président de la République me donner un coup de pouce.
Suite à cela, j’ai eu une réponse de la part de la Haute institution qui m’a refroidi sur le coup. “Nous n’avons pas trouvé une structure ou un mécanisme juridique pouvant y recourir afin de vous aider!”
Si même la présidence de la République ne pouvait pas m’aider, qui d’autre aurait pu le faire!” Mohamed en rigole presque mais n’en démordra pas pour autant! Voici donc un parcours à suivre de très près.
Portrait dessiné par
Nadya B’Chir.