TUNIS – UNIVERSNEWS (SEF) – Dans son interview accordée à Universnews, l’ancien Directeur Général de la Politique Monétaire auprès de la Banque centrale de Tunisie (BCT), Mohamed Souilem a déclaré que l’amendement des statuts de la banque Centrale et ce faux problème de son indépendance n’est pas vraiment une priorité pour le pays, avant d’estimer que le statut de cette institution d’émission est récent et date de l’année 2016 et que tous les articles étaient conçus tout en se référant aux meilleures pratiques déjà adoptées à l’échelle internationale.
La loi de 2016 avait pour finalité de consacrer, selon lui, le principe d’un rééquilibrage entre les différents chapitres de ce document notamment ceux portant sur les principales missions de la banque centrale : la stabilité des prix et la conduite de la politique monétaire, le privilège d’émission, le bon fonctionnement du système et des moyens de paiement, la stabilité financière, la politique de change et de gestion des réserves, le contrôle et la supervision des banques et des institutions financières ainsi que la relation avec les autres institutions de l’Etat. Il n’a pas manqué de rappeler que la mise à jour des statuts de la Banque Centrale en 2016, a pris entre 18 et 24 mois et que ce processus avait rendu essentiel le recours aux meilleurs experts nationaux et internationaux, mais aussi à des banquiers et des universitaires.
Quelques modifications… juste pour introduire quelques avis
Il a en outre indiqué que ce qui a été proposé récemment dans le projet d’amendement des statuts de la Banque centrale, tel que présenté récemment par un groupe de députés, est une simple reprise et réécriture des mêmes articles de cette loi de 2016, mais avec quelques modifications juste pour introduire l’avis du Parlement ou encore des deux présidences, à savoir du gouvernement et de la République, soit la modification d’articles pour permettre le financement direct de l’Etat par la Banque centrale… «Mais quel que soit le contenu, ça ne pourrait en aucun cas être une priorité», a souligné Souilem, faisant toutefois remarquer que c’est vrai que l’Etat a des contraintes de trésorerie et peut être des problèmes de liquidités pour honorer ses obligations financières surtout avec l’arrivée d’une importante échéance de crédit d’un milliard de dollars à payer fin janvier 2025 sur le marché financier international, qui s’ajoute à un autre remboursement de 700 millions d’euros en 2026, mais cela n’autorise pas de recourir à des solutions de facilités qui risquent de toucher à l’indépendance et à la crédibilité de la Banque centrale », a-t-il encore dit.
« Moi au contraire, je m’attendais à ce que l’indépendance de la Banque centrale soit inscrite dans la Constitution tunisienne comme c’est déjà le cas de plusieurs pays développés et émergents (…) Je m’attendais aussi à ce qu’on se réfère aux bons exemples et aux pays qui ont réussi à avoir une Banque centrale solide, efficace et crédible parce que au final c’est l’objectif », a regretté l’ancien directeur général des politiques monétaires auprès de la BCT, citant l’exemple de la Suisse, du Brésil, du Chili, de la Pologne et de plusieurs autres pays qui ont opté pour l’inscription de l’indépendance de leur Banque Centrale dans la Constitution dans l’objectif de la mettre loin des tiraillements et des manipulations politiques qui risquent de toucher un élément essentiel pour la réussite d’une banque centrale dans les principales missions qui lui sont confiées, celui de la crédibilité.
Selon lui, la crédibilité de la banque centrale est une condition indispensable et fondamentale à la réussite de la politique monétaire et c’est la principale raison d’ailleurs ayant permis à la BCT de sauvegarder la stabilité de sa valeur monétaire à l’intérieur et à l’extérieur du pays et de maintenir la stabilité des prix.
Mohamed Souilem a dans le même cadre estimé qu’aucun pays dans le monde ne peut combattre l’inflation et conduire une politique monétaire efficace si sa Banque centrale ne bénéficie pas d’une certaine crédibilité auprès du grand du public. C’est la clé de la stabilité d’un pays, selon ses dires.
Le taux directeur va certainement baisser
L’ancien responsable à la BCT a, sous un autre angle, indiqué qu’il est vrai que le taux d’intérêt directeur de la Banque centrale est actuellement relativement élevé et coûteux non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour l’investissement et l’économie en général, mais que cela ne va pas perdurer et va certainement changer à partir du moment où la BCT constate une baisse durable au niveau de l’inflation.
Il a tenu, toutefois, à préciser que le seul article qui mérite d’être changé est l’article 46 du statut de la BCT portant sur le mode de nomination du gouverneur de la BCT. Tout le reste devrait être gardé.
Et de marteler : « Si l’Etat a un problème de trésorerie, il faut réfléchir profondément et chercher d’autres solutions qui pourraient aider l’Etat à résoudre ces problèmes et faire face au dérapage des finances, sans apporter des modifications qui ne peuvent que défigurer les statuts de la banque centrale voire les déséquilibrer et toucher à la crédibilité de la Banque centrale. », a-t-il dit.
La BCT a évité un dérapage inflationniste
Il a rappelé que la BCT a joué un rôle crucial durant la période transitoire tout en maintenant les réserves en devises du pays à un niveau soutenu et en gérant efficacement les problèmes de liquidités auxquelles le système bancaire a été confronté juste après la Révolution de 2011. Durant cette période, la BCT a mis en place un ensemble de mesures ayant permis d’éviter les risques systémiques de liquidités.
Selon lui, le système bancaire tunisien a fait également preuve d’une grande capacité de résilience ayant permis de mettre le pays dans une trajectoire de croissance, aussi faible, tout en veillant à ce que les banques jouent un rôle primordial en termes de financement de l’économie et des entreprises quelle que soit leur taille.
La Banque centrale a également réussi à éviter un dérapage inflationniste et a réussi à maintenir une inflation beaucoup moins importante, pour se stabiliser aujourd’hui, à 6,7% seulement en septembre 2024 contre 10,4% en février 2023 (niveau le plus élevé depuis plus de 30 ans) soit 3,7 points de pourcentage de baisse.