Par Mohamed Ali Gherib *
La crise que vit le club africain depuis près d’une année et qui semble ces derniers jours avoir atteint son paroxysme avec la destitution du président Abdessalem Younsi a, du fait de la popularité du club, suscité l’intérêt de l’opinion publique mais aussi celui des juristes.
Surtout qu’au vu des dernières informations en provenance de Bab-Jedid, on se dirige vers une bataille judiciaire qui risque de s’éterniser, puis que le président destitué semble ne pas avoir dit son dernier mot puisqu’il aurait interjeté appel de la « décision » l’ayant évincé pour un comité provisoire de gestion.
Mais avant d’analyser la « décision » évoquée ci-haut il convient de revenir sur un peu en arrière en exposant sommairement les faits.
Mr Abdessalem Younsi a été élu président du Club Africain avec les membres de sa liste en mai 2018 dans le cadre d’élections organisées, à la demande du Club Africain, par la commission électorale indépendante relevant de la fédération tunisienne de football conformément à l’article 66 des statuts de ladite fédération.
Empêtré dans de très graves problème de gestion dû à un endettement ayant atteint des proportions gigantesques pour ce qui n’est en fin de compte qu’une association omnisport à but non lucratif, le club a été dans l’impossibilité de qualifier ses recrues de l’été ce qui a eu pour effet des résultats catastrophiques pour l’équipe fanion de football qui s’est retrouvée dans la position de relégable avec 7 points lors des douze premiers matches soit sept sur 36 points possibles.
Cela a eu pour effet de provoquer la colère du public qui est descendu à la rue demandant la tête du président, suivi depuis quelques jours soit les tous premiers jours de février 2021 par une action menée par un collectif d’adhérents-avocats- clubistes qui s’est déplacé au parc A accompagné de deux huissiers de Justice en vue de constater ce qu’ils ont appelé « la vacance administrative » .
Ce même collectif d’avocats-adhérents a, dans la foulée, obtenu audience auprès du président de la fédération au sortir de laquelle le porte-parole du collectif s’est montré optimiste et rassurant quant à la destitution imminente de Abdessalem Younsi.
Un jour plus tard le site de la fédération tunisienne de football publie un communiqué de la commission électorale indépendante duquel il ressort qu’elle constate la vacance de toute représentation légale du club africain et prends acte de la volonté de trois personnes de prendre le pouvoir au club africain en tant que comité de gestion jusqu’à la tenue des élections prévues dans seulement deux semaines soit le 21/02/2021.
Aux dernières nouvelles, Younsi a interjeté auprès de la commission d’appel de la « décision » de la commission électorale indépendante de la fédération.
Indépendamment de l’issue de cette procédure, il semble que sur le moyen terme les choses semblent bien engagés pour le président évincé du fait de l’hésitation de la fédération du dépassement de la commission de ses prérogatives, ce qui peut causer à long terme de sérieux ennuis à l’actuel bureau fédéral.
1/ L’hésitation de la fédération :
Lorsque le jeune et dynamique avocat Ahmed Tounsi avait, avec une pléiade de ses confrères Mes Zanni et Zagrouba notamment,
entamé la bataille contre la fédération en juillet 2020 en agissant en référé en vue d’obliger la commission indépendante électorale de continuer dans le processus électoral même en l’absence de candidats, peu étaient ceux qui croyaient en ses chances.
Mais le juge des référés lui a donné raison intimant à la fédération de continuer les procédures de convocation de l’assemblée générale.
Outre le courage et l’enthousiasme des avocats cités plus haut il importe de relever que lors du déroulement de cette affaire la fédération avait soutenu becs et ongles qu’il n’y a pas de vacance, que le président Younsi était le président légitime et légal du club africain que la supposé cascades de démissions de son bureau directeur ne saurait lui supprimer sa qualité de représentant légal du club africain.
La fédération aurait d’ailleurs continué à soutenir cette thèse dans ses mémoires d’appel autrement jusqu’à très récemment.
La question qui nous vient immédiatement à l’esprit est bien sûr évidente ; qu’est ce qui a fait changer d’avis la fédération ?
La réponse est tout aussi évidente ; le procès-verbal du huissier de justice établi à la diligence du collectif d’avocats.
Il semble que ledit constat ne peut faire office de preuve , en effet outre le fait que ce qui a été constaté par huissier de justice n’est pas opposable aux tiers et à Younsi dans la mesure où il n’a pas été fait suite à une ordonnance du juge cantonal seul compétent pour ordonner les constats urgents ( article 39 CPCC), il y a lieu de relever que le parc A n’est pas le siège de l’association qui jusqu’à un passé très récent mentionnait dans ses procédures judiciaires le 57- Avenue Bab-Jedid comme son siège, mieux même il est question du bureau de Slim Riahi aux Berges du Lac dans certaines correspondances .
En conséquence, le parc A aussi emblématique soit il, ne constitue pas le seul siège de l’association, d’ailleurs le fait que le président ait eu une entrevue avec Younsi tout de suite après celle qu’il a eue avec le collectif des avocats démontre que le président est là et bien là et qu’il n’y a donc pas de vacance de « pouvoir » .
Aussi il semble que ce qui est présenté comme l’évidence même à savoir la vacation du poste de président n’est pas aussi établie que cela d’autant plus que les statuts du club africain ne prévoient pas de vacance du poste de président.
2/ L’absence de vacance :
L’article 40 alinéa 2 des statuts du club africain évoque la démission du président ou son incapacité comme seules conditions pour convoquer une assemblée générale exceptionnelle élective, en conséquence évoquer la vacance pour convoquer une assemblée et pire évincer le président et nommer un comité de gestion fut-ce pour deux semaines constitue une violation manifeste de la loi.
En outre il n’est nullement dans les prérogatives de la commission électorale indépendante de « ratifier » ou « prendre acte » de la nomination d’un comité de gestion.
Comme on le voit il semble que les choses se sont faites dans la précipitation ce qui peut entrainer des conséquences fâcheuses pour l’actuel bureau fédéral qui semble avoir été cédé à la pression, il est vrai intenable, de la situation sportive et économique dramatique du club africain.
3/ Les conséquences sur la fédération de football :
Sans vouloir préjuger de ce que sera la décision de la commission d’appel saisie par Younsi selon les dernières informations , nous pouvons au vu de ce qu’elle a manifesté par le passé comme alignement sur la politique du bureau fédéral envisager qu’elle entérinera la « décision » de la commission électorale, auquel cas pareille décision pourra être attaquée par devant le Tribunal Arbitral du Sport .
Outre le fait que ce Tribunal a déjà émis de graves critiques quant à la composition des commissions juridictionnelles de la fédération tunisienne de football , il y a fort à parier qu’il ne verra pas d’un bon œil l’éviction d’un président élu au profit d’un comité de gestion nommé avec une assise juridique extrêmement faible et chancelante .
Bref il est difficile que le T.A.S s’accommode « d’un coup d’Etat ».
Si cela se confirme, il y a fort à parier que l’instance suprême du football très à cheval sur la démocratie et la légalité tirera les oreilles du bureau fédéral.
M.G
*Avocat et ex-membre puis président de la commission nationale de discipline de la FTF de 2007 à 2020)