Tawfik BOURGOU
Politologue
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Les sondages laissent entrevoir une majorité relative sinon absolue pour le RN, ce qui signifie que le parti de Le Pen dirigera la France pour les trois prochaines années
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Le RN veut d’ores et déjà imposer son imprimatur sur les affaires européennes et sur la relation avec l’Ukraine, avec la Russie et l’OTAN
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L’Allemagne préoccupée par la montée de l’AFD chez elle, ne pourra collaborer qu’à minima avec la France du RN
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La France d’avant, celle du point d’équilibre diplomatique, l’Europe d’avant, celle de la stabilité, vont manquer à la diplomatie mondiale à un moment critique
TUNIS – UNIVERSNEWS – L’ancien ministre des affaires étrangères allemand, Joschka Fischer, commentant le probable résultat des élections législatives françaises anticipées, a dit, il y a quelques jours que l’Europe pouvait se permettre une Italie basculant dans le giron de l’extrême droite, mais ne pouvait pas se permettre de laisser basculer la France. Pourtant c’est ce qui va certainement arriver, les sondages laissent entrevoir à minima une majorité relative sinon une majorité absolue pour le RN. Ce qui signifie que le parti de Madame Le Pen dirigera la France pour les trois prochaines années. Mais ceci n’est que le début du basculement. Déjà, avant même la tenue du premier tour, Madame Le Pen, a prévenu Monsieur Macron qu’en matière de diplomatie et en matière de défense, il ne pourra pas agir à sa guise. Autrement dit, le RN veut d’ores et déjà imposer son imprimatur sur les affaires européennes, sur la relation avec l’Ukraine, sur les relations avec la Russie et l’OTAN. Ce débat sur les prérogatives présidentielles française survient à un moment particulier du rôle et de l’action de la France dans le monde. Sauf à ne pas vouloir accepter l’évidence, nous avons assisté à un reflux du rôle français un peu partout au moins depuis 2022. De l’Afrique du Nord au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique Subsaharienne, la France chemine au mieux vers un rôle comparable à celui du Royaume-Uni. Sans engagements directs, avec quelques capacités résiduelles, une éclipse progressive.
L’affaire ukrainienne, car envisagée sous un angle européen, a donné l’illusion d’un « come-back » français, car il correspondait certainement à une envie de leadership macronien en Europe, mais la dissolution et le probable désastre électoral pour le parti du président, vont faire avorter ce « projet » de passage à l’histoire. Le RN n’entendra pas laisser à un président la primauté dans ce domaine, certainement à dessein.
L’autre point de bascule est plus européen, Madame Meloni s’est trop vite vue en faiseuse de reines ou de rois, elle a été mise de côté par la nouvelle coalition au sein du parlement européen, centrée sur l’Allemagne et quelque peu en dehors de la France, car l’Allemagne préoccupée par la montée de l’AFD chez elle, ne pourra collaborer qu’à minima avec la France du RN. A Berlin on affirme que Macron a été un « investissement » allemand, mais l’action erratique du chef de l’Etat français, avec une dissolution inexplicable, précipitée, sans réel intérêt politique, dangereuse pour l’Europe, pousse déjà l’Allemagne à chercher des appuis ailleurs, en dehors du « couple franco-allemand ».
Le troisième point de bascule sera l’été politique américain avec pour la première fois dans l’histoire récente, où un basculement vers des majorités illibérales en Europe précède et pourrait amplifier le re-basculement des Etats-Unis dans le trumpisme.
La construction d’ententes asiatiques, les querelles commerciales entre la Chine, l’Europe et les Etats-Unis, l’approfondissement de la fracture avec la Russie, l’impossible solution au Moyen-Orient et la course régionale vers l’abîme constituent un clap de fin de la mondialisation prétendument heureuse.
C’est la fin de ce que Walter Russel Mead a appelé le carnaval mondial. Le moment mondialiste est fini, on peut craindre l’impact de cette fin.
La France d’avant, celle du point d’équilibre diplomatique, l’Europe d’avant, celle de la stabilité, vont manquer à la diplomatie mondiale à un moment critique.
Les trois basculements conjugués avec des évolutions internes forcément problématiques, voire violentes tant en Europe, aux Etats-Unis, en Asie, en Méditerranée, ainsi qu’au Moyen-Orient, donnent l’impression d’un monde mûr pour une grande déflagration. Peut-être plus qu’une impression, une préparation de guerres multiples.