Nous sommes entrés dans une vision de croissance
- Acquisition de 10 nouveaux avions d’ici 2023
- Départ de 1200 personnes sur 3 ans et dans le cadre d’une CAREP
En 2018, Tunisair a fêté son 70ème anniversaire ! En 2019, elle s’engage dans un plan d’actions et de sauvetage pour retrouver une nouvelle jeunesse, même si elle ne l’a pas totalement perdu.
Le plan approuvé et soutenu par le gouvernement et les syndicats de la compagnie, devrait permettre au transporteur national de gagner en rentabilité. Pour relever ce défi, le plan suppose une nette croissance de l’activité, une compression significative des coûts, une modernisation rapide de la flotte, une amélioration du réseau et, surtout, une bonne restructuration administrative.
Ali MIAOUI, directeur général commercial de Tunisair, estime que ce plan ne manquerait certainement pas de placer la compagnie nationale au niveau de la concurrence internationale.
Mais avant de relever les principales orientations de ce plan, le responsable pense qu’il est important de procéder à un petit diagnostic de la situation de la compagnie aérienne ».
En 2018, rappelle-t-il, « Tunisair a fêté son 170ème anniversaire. Une durabilité remarquable qui fait d’elle une compagnie de référence ».
Ce qui est important toutefois, c’est que depuis sa création et jusqu’en 2010, Tunisair a toujours réalisé des bénéfices aussi bien pour l’Etat que pour elle-même. Et les statistiques sont aussi importantes que la durabilité de la compagnie. En effet, jusqu’en 2010, le transporteur aérien a assuré plus de 125 millions de passagers et généré plus de 700 MD de bénéfices.
Tous ces bénéfices ont été malheureusement consommés entre 2011 et 2017, en raison de la conjonction de plusieurs facteurs qui ont handicapé sérieusement l’activité de la compagnie.
Primo, il y a eu une augmentation sensible des coûts, due essentiellement au recrutement massif de 1200 personnes ».
Il faut rappeler à ce niveau qu’avec la suppression de la sous-traitance , la société a été obligée de recruter, ce qui justifie donc une masse salariale beaucoup plus importante.
Une conjoncture défavorable
Le responsable précise que si on prend la masse salariale avant et après la révolution, « on constate qu’entre les 1200 personnes recrutées, et les augmentations naturelles du personnel, cette masse est passée de 220 MD en 2010 à 370 MD en 2018. Comprendre qu’on paie 150 MD de plus chaque année.
Le deuxième facteur qui a fait que les résultats soient inversés, c’est la baisse de l’activité. En effet, les marchés émetteurs de touristes sont très sensibles à la question de sécurité.
Il faut rappeler dans ce contexte que juste après la révolution, il y a eu une baisse nette des entrées touristiques. Puis, on a assisté à une légère reprise en 2013-2014, avant de se retrouver face à une chute libre et complète de l’activité suite aux événements du Bardo et Sousse. Et ce n’est pas tout : le marché le plus important et le plus rentable pour Tunisair, soit le marché libyen a été suspendu en juillet 2014, privant ainsi la compagnie de 500 000 passagers. Cela est d’autant plus vrai que la compagnie assurait plus de 70 vols par semaine sur ce marché et enregistrait aux alentours de 115 MD de chiffre d’affaires (CA).
Il est donc très difficile pour la compagnie de gérer ou encore composer avec autant de facteurs défavorables.
Et c’est justement cette difficulté de gestion qui explique que depuis 2011, la compagnie a commencé à enregistrer des résultats très négatifs et qui ont fini par consommer toutes les réserves et toutes les capacités de Tunisair.
Ainsi, note le DG : « on s’est retrouvé en 2017, avec la nouvelle direction nommée face à deux défis stratégiques. D’abord, redonner de l’activité à la compagnie. Un tel enjeu était réellement difficile, surtout qu’on a terminé l’année 2016 à moins de trois millions de passagers.
Sans parler des négociations de l’open sky entre la Tunisie et l’UE et qui imposent des dispositions bien particulières. On s’est retrouvé donc dans l’obligation de mettre en place un nouveau plan de redressement structurel plus complet qui aurait l’avantage de couvrir tous les domaines d’activités de la compagnie. Et c’est ainsi qu’on a réussi à clôturer l’année 2017 avec une croissance de l’activité de 17%. Et on a enchaîné avec une nouvelle croissance de 9%. en 2018 »
Cette amélioration de l’activité a permis de réaliser un chiffre d’affaires de 1200 MD en 2017 et 1700 MD en 2018.
Mieux encore, pour la première fois de son histoire, la compagnie a réussi à atteindre un coefficient de remplissage de 74,5%. De son côté, l’utilisation journalière des avions qui était moins de 7 heures en 2016 s’est située aux alentours de 9 heures en 2018.
Reste qu’une telle croissance n’a pas été réellement rentable, car les coûts et les charges financières tout comme les investissements engagés restent très élevés et continuent à impacter sérieusement les comptes de la compagnie.
Et il faut reconnaître que tous les engagements financiers étaient incontournables, étant donné que Tunisair ne travaille pas seulement pour elle-même mais aussi et surtout pour l’économie tunisienne.
« Si on a fait par exemple de l’investissement sur l’Afrique, c’était d’abord pour ouvrir un nouveau portefeuille de destinations par rapport à l’open sky et pour éviter ainsi au tourisme tunisien d’être dépendant uniquement des marchés européens. Egalement le marché africain donne un nouveau souffle à l’économie tunisienne en ramenant des étudiants, des patients ou encore assurer des échanges commerciaux. Cela est d’autant plus vrai que l’Afrique se positionne désormais comme l’eldorado des nouvelles richesses mondiales. On ne peut donc le négliger.
Aujourd’hui, la compagnie se retrouve vraiment dans une situation complexe : il y a de l’activité sur le marché, et il y a une nette croissance à soutenir, mais elle ne peut pas y répondre car elle n’a pas l’argent nécessaire pour engager des investissements au niveau de sa flotte. »
Et c’est donc cette même complexité qui justifie l’engagement, depuis 2017, du plan de redressement et de restructuration.
Ce plan de restructuration, qui a été décliné par le ministre en plan d’actions et de sauvetage, a cherché à toucher tous les aspects structurels de Tunisair. Il faut préciser que pour conduire ce plan, il y avait deux options : ou bien se dire que Tunisair est une compagnie privée tournée totalement vers la rentabilité , avec une participation minoritaire de l’Etat, à l’image des compagnies européennes, où bien faire en sorte que Tunisair reste une entreprise publique et un maillon solide au service de l’économie tunisienne, à l’image de la RAM.
C’est-à-dire se placer autour d’une vision globale du pays et être un vecteur stratégique de cette vision.
« Et c’est finalement pour le deuxième choix qu’on a opté. Une option logique, surtout que l’on sait pertinemment que si Tunisair se tourne totalement vers la rentabilité, il y aurait des zones totalement dépourvues de vols, comme Tozeur à titre d’indication.
Le responsable rappelle sur ce même point que depuis la révolution, « la compagnie perd chaque année 5 MD sur Tozeur sans aucune compensation financière. Et pourtant, elle continue à le faire pour aider la région à sortir de sa situation difficile. Et cela constitue une charge financière supplémentaire pour la compagnie ».
Un souci de rentabilité
Le directeur général reconnaît tout de même que la compagnie ne peut pas continuer longtemps à accuser ces déficits. Il faut renouer rapidement avec la rentabilité.
Le plan retient ainsi une nouvelle stratégie commerciale axée autour d’un réseau. D’abord, le réseau européen qu’on ne peut pas négliger, car il reste toujours stratégique, mais il est question en parallèle de développer d’autres réseaux, comme le marché africain, très prometteur comme on l’a déjà soulevé.
Il ne faut pas oublier justement que le marché africain n’est pas soumis à l’open sky et cela permet de garder 50% de l’activité (étudiants, malades…), alors qu’une autre bonne partie continue sur des vols européens ce qui aide à remplir les vols de la compagnie.
On a jugé utile également de développer le long courrier. D’ailleurs, après Montréal, on va ouvrir New York puis la Chine, avec une croissance qu’on a programmée de 7 à 8% par an jusqu’à 2023.l
Le deuxième axe de la stratégie est plutôt logistique. En effet, pour soutenir la croissance programmée, il est nécessaire de développer la flotte. Le plan de sauvetage a retenu ainsi 10 nouveaux avions entre 2020 et 2023 : un grand porteur, pour s’attaquer au long courrier comme la Chine, cinq nouveaux avions A 320 et quatre autres module 176 qui auraient entre 6 et 10 ans et devraient remplacer quatre anciens avions qui ne sont plus opérationnels.
Tunisair avait, également, l’habitude d’acheter ses avions. Mais cette formule est plutôt dépassée puisque toutes les compagnies aériennes possèdent 50% de leur flotte et le reste sous forme de leasing.
Nous avons donc décidé d’opter pour cette formule et placer les 10 avions programmés sous forme de leasing. Justement, parfois, il faut savoir tenir compte de la politique de ses moyens.
Cette formule permet d’éviter le recours immédiat aux banques, et cela permettrait également de rajeunir plus rapidement la flotte.
Le troisième volet du plan de sauvetage repose essentiellement sur la restructuration du capital.
Aujourd’hui, Tunisair est sous l’article 388, c’est-à-dire que nos pertes cumulées ont consommé largement le capital. Il faut donc recapitaliser la compagnie. Nous avons donc demandé 1, 8 milliard de dinars dont les 600 MD de l’OCEA.
En plus de toutes ces questions, le plan a mis en place toute une stratégie de compression des coûts avec l’objectif d’atteindre une réduction de 4% de nos coûts, c’est-à-dire de 40 à 50 MD d’économie chaque année.
Notre politique de compression des coûts devrait reposer également sur une restructuration administrative, car notre objectif est de réduire la masse salariale qui est l’un des volets les plus importants en matière des coûts. On vise ainsi de passer le nombre de personnel de 7 700 actuellement à 6500 en l’espace de trois ans.
Entretien conduit par : Anis SOUADI