En parlant de référentiel « El Banna », Chahed assimile, pour la 1re fois, Ennahdha aux Frères musulmans…
Dans un bras de fer, qui s’annonce sans merci, Montplaisir et La Kasbah risquent de laisser des plumes
Le discours de Youssef Chahed, chef du gouvernement, prononcé à la cérémonie de clôture du parti Tahya Tounès, on en parle encore, au vu des effets d’annonce qu’il a multipliés.
En effet, M. Chahed s’est montré sûr de lui et ferme sur les différentes questions qu’il a soulevées. Ainsi, après avoir énuméré les réalisations depuis son avènement à La Kasbah dans le sens où il a trouvé le pays dans un état désastreux. Voire au bord de la faillite !…
La Tunisie se trouvait dans un climat sécuritaire précaire après trois attentats majeurs. Il fallait, donc, travailler sur le volet sécuritaire, faire face à la dégradation de la situation sociale et tenter de redresser la barre sur le plan économique. Ce qui fut fait avec des résultats qui commencent à se faire sentir, assure avec conviction le chef du gouvernement, qui met en relief les premières prémices de la reprise de la croissance.
Sans oublier la guerre qu’il a lancée contre la corruption comme il se plait, ainsi que ses « supporters », à répéter malgré les multiples critiques affirmant qu’il s’agit plutôt d’une « campagne sélective et sur mesure dirigée contre les adversaires… ».
Qu’à cela ne tienne. Youssef Chahed persiste et signe en réitérant que ce qu’il a fait sur ce plan, n’a pas été réalisé en plus de 60 ans de pouvoir. Et maintenant qu’il a un parti pour le soutenir, le chef du gouvernement estime qu’il se sent plus en confiance et qu’il n’a plus peur de personne. Un langage, encore une fois critiqué et qualifié de trop d’autosuffisance.
Mais, le passage qui a retenu le plus l’attention des observateurs est celui où il crie haut et fort que le nouveau parti n’a pas de référentiel ni de Mao Tsé Toung ni de Hassan El Banna, en allusion aux Frères musulmans et, bien évidemment, au parti islamiste d’Ennahdha. Il a également révélé que « certains le soutenaient en apparence, mais lui faisaient secrètement la guerre, et ce dans une autre allusion à Ennahdha.
D’ailleurs, nous croyons savoir que rien que cette phrase, elle a fait sortir les grands barons du parti de Montplaisir de leurs gonds, d’où la rencontre réclamée d’urgence par Rached Ghannouchi qui est allé, illico presto, voir le chef du gouvernement pour lui demander des éclaircissements et des précisions sur ce passage.
Un passage que les islamistes jugent malvenu puisque coïncidant avec l’imminence d’une décision du président américain, Donald Trump, plaçant le mouvement des Frères musulmans sur la liste du terrorisme international avec tout ce que cela implique comme isolement du parti de Ghannouchi qui demeure, de facto, membre du l’Union mondiale des savants musulmans qui a, théoriquement, un bureau en Tunisie dirigé par Abdelmajid Najjar, membre influent d’Ennahdha.
Ainsi, Ennahdha craint un revirement de 180 degrés de la part de Youssef Chahed – si ce n’est déjà fait suite à de nombreux indices laissant entendre qu’il compte, désormais, voler de ses propres ailes. Il faut dire, qu’effectivement, Chahed pourrait compter sur un grand parti pour peu qu’il annonce publiquement et sans équivoque qu’il n’a plus aucun lien avec le parti islamiste. Ceci lui vaudrait le ralliement de Machrou Tounes, d’Al Badil, de Qadiroun, et bien d’autres initiatives lancées par Abid Briki, Mabrouk Korchid, Ahmed Néjib Chebbi, la faction de Nidaa de Hammamet et l’autre éventuelle faction à former par Faouzi Elloumi.
Ennahdha se trouverait, de ce fait, dans l’embarras et dans de très mauvais draps, après avoir cru avoir « déchiré » Nidaa Tounès. Mais Ennahdha, qui devrait avoir plus d’un tour dans son sac, ne s’avouerait pas vaincu aussi facilement, sachant qu’il ne pardonnerait pas du tout ce que certains qualifient, d’ores et déjà, de « trahison » de Youssef Chahed.
C’est donc dans cet esprit que les analystes placent les dernières prises de position d’Ennahdha concernant l’affaire de l’arrêt de diffusion de la chaîne Nessma TV, les hausses des prix et la baisse du pouvoir d’achat des citoyens, les récentes nominations qu’il fustige parce qu’il n’a pas été préalablement consulté. Sans oublier la détermination, claire, mais inavouée, de Chahed à se présenter à la prochaine élection présidentielle.
Tous ces facteurs ont poussé Ennahdha à se désengager de son alliance avec le chef du gouvernement qui devrait, selon le parti islamiste, assumer tout seul le bilan hautement négatif de trois ans de gestion de la chose publique alors que Youssef Chahed ne veut pas, maintenant que le vent international a tourné contre l’Islam politique, se faire coller l’étiquette « d’allié d’Ennahdha », un parti qui défend avec acharnement ledit Islam politique.
En tout état de cause, tout laisse entrevoir une rupture inéluctable entre Montplaisir et La Kasbah, Ennahdha ne supportant pas ce qu’il qualifie de « trahison » après avoir été utilisé par Chahed pour se maintenir à son poste, et le chef du gouvernement ne voulant pas prendre le risque d’être l’allié d’un mouvement banni, mal vue par une forte proportion de la population et carrément banni sur la scène internationale.
Un été chaud, chaud, chaud attend les Nahdhaouis, mais Chahed aussi, accusé d’avoir utilisé et profité de Nidaa, du Palais de Carthage et d’Ennahdha qui l’accusent, chacun pour des raisons différentes, de les avoir « trahis… ».
Noureddine HLAOUI