Par Mansour M’henni
Dernièrement, les informations ont fait état d’un sérieux mécontentement d’élèves allant jusqu’à un geste symbolique consistant à s’attaquer à leur établissement par un jeu de pierres. Cela rappellerait sans doute ces autres élèves, mais des élèves quand même, qui avaient déclenché des incendies dans leurs établissements scolaires ou dans des internats. C’est dire combien la situation nous responsabilise devant l’Histoire et nous oblige à nous convaincre qu’il y a bien péril en la demeure.
Il faudrait d’abord comprendre que les vraies raisons d’un tel comportement ne résident pas seulement dans le refrain de « la réforme de l’enseignement », brandi à chaque occasion, même si cette raison n’est pas à négliger. La question nous paraît d’abord relever d’une éthique sociétale sur laquelle il serait urgent de s’entendre d’abord, pour ensuite la consigner clairement comme une ligne de conduite contractuelle relevant du devoir de citoyenneté.
Au centre de cette éthique qui, une fois entendue, se muerait en une politique pratique et surtout en une culture générale valant pour un mode de vie en société, s’imposerait le principe de base que tout est école dans une société. Or une telle vision des choses a son revers lié à l’idée que chacun se fait de la notion d’école ; c’est pourquoi l’autre impératif de base sur lequel il est nécessaire de s’accorder devient la précision des rapports et des interactions au sein de l’école comme une institution en action non seulement dans les établissements d’enseignement et d’éducation, mais dans tout lieu d’échange et d’influence, depuis la famille la plus réduite jusqu’à la société entière, constitutive d’un état de droits et de devoirs.
Certains diraient : c’est l’évidence même ! Certes, mais ce n’est malheureusement pas aussi évident et la plupart des gens semblent l’oublier. Aussi me permettrais-je ce modeste avis pour valoir ce qu’il vaudrait dans une conversation obligée sur la question, dans l’espoir de nous voir avancer vers la sortie du tunnel au lieu de nous perdre dans les dédales latéraux d’un labyrinthe sans issue.
« Conversation », ai-je dit ? C’est bien de cela qu’il s’agit. Encore faut-il s’entendre sur le sens profond et l’éthique fondamentale de la conversation, qui est loin d’être un simple échange de paroles légères sur des sujets peu importants. La conversation est essentiellement un état d’esprit où l’écoute de l’autre vaut plus que ce qu’on voudrait dire et l’objectif de la parole n’est pas plus d’amener l’autre à ce que je crois vrai que de trouver en lui matière à m’interroger sur cette mienne vérité pour la relativiser en toute humilité. C’est pourquoi la conversation est un état d’esprit à même de constituer la principale, sinon la seule voie pour une démocratie authentique, la démocratie en tant que culture du vivre ensemble dans le respect réciproque.
- De ce point de vue, il nous revient à tous de nous poser au moins les deux questions suivantes :Combien d’enseignants, dans nos écoles tous niveaux confondus, agissent-ils avec leurs disciples, « les apprenants », comme une source d’intelligence capable d’enrichir leur perception des choses et leur savoir du monde et même de la matière qu’ils enseignent. Une vraie école de la conversation est celle où les élèves et les enseignants sont tour à tour fournisseurs et récepteurs d’apprentissage partagé. C’est que l’école d’aujourd’hui n’est plus le lieu d’un transfert de connaissances, celles-ci devenant à la portée surtout grâce au développement technologique, mais le lieu des interrogations et des intelligences partagées.
- A observer nos échanges en société, abusivement appelés « dialogues », sommes-nous vraiment, ne serait-ce qu’un tant soit peu, dans l’esprit de conversation ? Plateaux de télévision, réunions de négociations socioprofessionnelles et, pire encore, débats dans l’Assemblée des Représentants du peuple ! Est-ce bien cela la démocratie ? Il y a bien lieu d’en douter.
Conversons donc pour l’école, mais conversons surtout pour faire de notre vivre-ensemble une vraie école de la conversation.