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Le retour médiatique récent des islamistes est comme le retour d’un criminel sur les lieux de son forfait
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Les gouvernants des onze dernières années ont préparé le point de bascule vers une perte de capacités de développement
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Il sera difficile de rattraper ce qui a été perdu et le rendez-vous du 17 décembre ne fera qu’accélérer le basculement
Taoufik Bourgou[1]
TUNIS – UNIVERSNEWS Il y a dans le retour médiatique récent des islamistes et de leurs supplétifs quelque chose d’obscène et de vulgaire. Comme le retour d’un criminel sur les lieux de son forfait. Par la maladresse de l’actuel régime, les islamistes et leurs acolytes se répandent en leçons de démocratie, de droit de l’homme et même, comble de l’insolence, en leçon de rigueur et de bonne gouvernance. Ce serait oublier leur responsabilité quasi criminelle dans la dégringolade du pays. Ragaillardis par les erreurs de débutant de l’actuel régime et par un soutien étranger, ils croient encore en la chance de leur retour sur la scène publique alors que le pays les a littéralement vomis. S’ils devaient revenir aux affaires, le pays ne le supporterait pas et pourrait connaitre une aventure encore plus dramatique.
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La chute et le probable effondrement sont à mettre au passif de l’islam politique
Lorsque Ghanouchi s’est fait remettre par ses parrains les clés du pays en 2011 la situation de la Tunisie était largement meilleure à ce qu’elle est aujourd’hui. Personne ne peut le nier désormais. La chute et le probable effondrement, qui semblent inéluctables, sauf miracle, sont à mettre au passif de l’islam politique, de la funeste troïka, des hommes et des femmes qui ont gouverné le pays dont bien sur l’ancien Président provisoire, les premiers ministres successifs d’Ennahdha et la flopée de ministres qu’a connu le pays entre 2011 et 2021, sans exception aucune. Tous sont solidaires du pire bilan de l’histoire du pays, pire que la période coloniale de 1881 à 1956.
L’équipe actuelle, quoiqu’elle s’en défende est elle aussi comptable de la situation catastrophique du pays. Le Président de la République avait dés 2019 suffisamment de leviers pour redresser le pays et pour stabiliser la situation. A partir du 25 juillet 2021 il a eu non seulement la plénitude des pouvoirs, mais aussi surtout le temps pour agir en urgence pour sauver ce qui peut l’être. Il a semblé s’intéresser à des enjeux périphériques qui ont plus aggravé la situation du pays qu’ils n’ont résolu les problèmes immédiats relevant du vital à très court terme et non de l’institutionnel à très long terme. Le blé ne peut pas attendre, la constitution et les élections ne remplissent pas les ventres.
De 2011 à 2022 des pouvoirs démiurges se sont succédés à la tête du pays promettant l’irréalisable et l’impossible, se sont drapés de compétences fictives et ont promis ce qu’ils savaient impossible. En cela, l’actuelle équipe ne déroge pas aux mœurs du pouvoir qui se sont installées avec les mystificateurs de 2011.
Souvenons-nous de Ghanouchi lors de la campagne de 2011 debout sur la scène d’un théâtre de plein air professant à une foule toute acquise à ses lèvres que la Tunisie allait connaitre des 9 ou des 10% de croissance. Un mensonge où le grotesque le dispute à l’incompétence abyssale d’un homme dont l’horizon intellectuel est consigné dans l’un de ses livres sur le rôle de la femme (Sic).
Abreuvé de slogans, d’identitaire et de promesses, le peuple a plus cru ces mystificateurs que ceux nombreux déjà à l’époque, qui essayaient de démasquer la supercherie planétaire d’une révolution sur commande extérieure et un futur des plus sombres. En vain, il était impossible de se faire entendre. Les peuples se trompent souvent, c’est même une constante de l’histoire.
Il est regrettable de revenir à chaque date anniversaire de la catastrophe de 2011 pour souligner encore une fois de plus que l’islam politique, Ennahdha, prolongement étranger d’un projet de destruction de la Tunisie emmènerait le pays à terme, vers une faillite. Nous y sommes.
Mais ceci ne saurait non plus absoudre l’actuelle équipe de ses fautes et de ses errements. Loin s’en faut.
A l’adresse de l’actuelle équipe on dira que l’obsessionnel et le politique ne font pas bon ménage. L’exemple de la fameuse « cité de la santé » en est l’illustration. Ce projet est à contre rebours de l’histoire, des règles de l’économie de la santé, de la situation même de la santé en Tunisie ainsi que des règles les plus simples des politiques publiques.
L’explication est très simple. Elle tient en une démonstration de quelques phrases. Les grandes infrastructures de santé dépendent des bassins de population, dépendent des moyens d’un pays, du panier de soins à offrir et dépendent aussi des moyens de financement de l’accès aux soins des personnes. Il suffit de regarder les expériences étrangères dans les pays les plus en avance pour se rendre compte que le choix n’est pas de concentrer dans un même point des systèmes surdimensionnées mais d’offrir un équilibre d’accès aux soins dans différents points d’un territoire. Autrement dit, qu’il y ait un CHU à Kairouan, cela est nécessaire, utile et urgent. Mais faire croire en l’utilité d’une ville entière dédiée à la santé est une erreur de dimensionnement et une promesse difficilement réalisable. D’abord, la Tunisie n’a pas les moyens propres pour réaliser un tel projet. Les financements étrangers ne feront pas l’économie d’une demande de participation aux profits possibles. Cela amène inévitablement à poser la question de l’accès aux soins. En clair qui paye ? Que payera le patient ? Qui est propriétaire des infrastructures ? Quel sera le statut des soignants ? Etc. On peut espérer que l’actuelle équipe qui porte ce projet a déjà répondu à ces questions très simples.
Plus fondamentalement, dans un pays où tous les indicateurs sont orientés vers le rouge et ce sur un plan structurel, y-a-t-il encore place à une improvisation ou une erreur de dimensionnement d’un projet ? Quand on songe à l’aéroport d’Ennfidha, quand on songe à l’erreur que sera le port dans la même localité en dépit du bon sens de l’économie portuaire et maritime, on peut craindre pour ce type d’annonces qui relèvent plus du slogan que d’un projet réaliste.
Au bout des onze années, aucun projet structurant n’a été présenté par les équipes de mystificateurs qui se sont succédés à la tête du pays. Pire encore, les indicateurs capacitaires du pays se sont dégradés à tel point qu’on peut dire que le point de bascule a été déjà franchi et que les impacts négatifs commencent à se voir au jour le jour et au quotidien.
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Un choc d’incompétence frappe le pays de plein fouet
On passera sur les indicateurs budgétaires et financiers du pays, ceux du commerce extérieur, ceux de la sécurité énergétique et alimentaire. Tous sont dramatiques (le mot est faible). Ce qui n’est pas dit et ce qui n’est pas apparent ce sont des dégradations qui commencent à se sentir ces dernières années : c’est ce que nous appelons un choc d’incompétence qui frappe le pays de plein fouet. Un expert reconnu, M. Saidene a évalué à 150 000 fonctionnaires admis avec de faux diplômes, soit le quart des recrutements en dix ans, on peut être saisi d’effroi pour l’avenir de la Tunisie.
Au cours de la même période c’est un exode massif de compétences que la Tunisie a connu. Il est supérieur à celui qu’a connu l’Algérie durant les années 1990 à 2000 pour une population algérienne quatre fois plus importante. De sa saignée l’Algérie ne s’est jamais relevée. La Tunisie aura beaucoup de mal a remplacer ses compétences parties. C’est un choc qui va frapper assez rapidement. « Produire » un médecin ou un ingénieur ce n’est pas moins d’une décennie, les remplacer au pied-levé est chose impossible eu égard aux conditions de vie et de travail qui continuent à se dégrader dans le pays. Or les compétences et les capacités ne se remplacement jamais automatiquement et à l’identique.
Au cours de la même période, ce sont 100 000 élèves par an qui ont décroché de l’enseignement de base (soit un million environ en dix ans). Ils iront grossir les rangs de futurs laissés-pour-compte dans les prochaines années.
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Un retour du régime d’Ennahdha serait synonyme d’une nouvelle révolte
En fait sous le règne des mystificateurs la Tunisie s’est déjà construit un avenir de difficultés structurelles majeures qui vont croiser des évolutions déjà connues et inéluctables : le stress hydrique, la perte de 50% des terres agricoles en moins d’une génération soit moins de 30 ans, la dépendance énergétique, la dépendance alimentaire et bientôt sanitaire, un surendettement insupportable, un alourdissement de la charge des caisses de retraite et de maladie, une quasi absence de richesses permettant une rente durable.
L’effondrement du tissu industriel et entrepreneurial sous les coups de boutoir de la contrebande savamment entretenue et choyée par Ennahdha qui l’avait octroyée à frange proche et utilisée pour détruire l’ancien patronat, mais aussi en raison d’une invasion de produits turcs ne sera pas facile à compenser.
Durant ces onze années de mystification, d’identitaire et d’abrutissement, la Tunisie a raté presque tous les virages technologiques et économiques possibles et imaginables. Le départ de groupes pharmaceutiques n’est qu’un épisode parmi tant d’autres. Le pays est désormais mal placé dans les grandes innovations et révolutions scientifiques. Pour l’avoir éloigné de son bassin géographique économique au profit de débats identitaires stériles, les gouvernants des onze dernières années ont préparé le point de bascule vers une perte de capacités de développement.
Sauf miracle d’une nouvelle stratégie, qui existe, qu’on pourrait exposer, il sera difficile de rattraper ce qui a été perdu. A ce titre le rendez-vous du 17 décembre ne fera qu’accélérer le basculement. Quant à un retour du régime d’Ennahdha il serait synonyme d’une nouvelle révolte onze après une première catastrophe.
[1] Politologue.