Par Nadya Bchir*
Yasmina Khadra a écrit: “les grandes causes sont parfois l’aboutissement de vœux pieux; elles naissent au détour d’une lueur d’espoir, se prolongent dans les gémissements d’un opprimé, s’affermissent dans la promesse d’un jour meilleur”!
Et la liberté de la presse et de l’expression est une grande cause et elle le demeurera. Une cause qui a vu ses chaînes brisées un certain 14 janvier, du moins c’est ce que nous croyions. De la poudre aux yeux, voilà ce que cela a été le temps que cela a duré. Aujourd’hui, une certaine cabale est menée contre des patrons de médias, en glorieuse position sur la place et pour cause! Ces patrons se sont déclarés contre le système et le pouvoir en place.
Bien sûr, ces patrons au nom de Nabil Karoui et Sami El Fehri ne sont pas des “immaculés conceptions”. Ils ont dû remplir quelque étagère dans les armoires des juges compétents. Néanmoins, jusque l’avant élections présidentielles puis législatives, ces deux barons de médias trinquaient d’un pincement d’oreille si les bords ont été effleurés, en l’occurrence ces trois dernières années.
Rien de bien méchant ne les inquiétait et tant que les intérêts des hautes bienveillances étaient préservés, la cohabitation se passait en paix, à quelque chose près. Fausse paix, fallait croire!
Les hostilités ont commencé à se manifester dès lors que Nabil Karoui montait dans les sondages et frôlait de très près la magistrature suprême. Même sort a été réservé au patron de la chaîne El Hiwar depuis qu’il a été déclaré ennemi juré du clan des islamistes et des pro-Youssef Chahed et son parti Tahya Tounes.
La guerre déclarée à ces deux patrons est très vite devenue « sale » et les choses se sont corsées par l’emprisonnement de Nabil Karoui. Tous ou une belle frange majoritaire criaient à la manipulation politique en dépit de ses déboires avec la justice. Opération réussie, maintenant qu’il a perdu à la présidentielle!
Bien joué! Mais fausse victoire, il faut dire. Car les sympathisants de Karoui se sont multipliés en parallèle avec la multiplication des haters du camp de Youssef Chahed et ses acolytes islamistes. Aujourd’hui, nous assistons à un presque remake de l’affaire Karoui.
Ultime ennemi : Sami El Fehri! Cette fois il a dépassé hardiment et malicieusement les bornes. Il a carrément mis un coup de pied dans la fourmilière des islamistes. Mauvaise pioche! L’on pourra faire étaler tous les procès d’intention possibles et imaginables, l’on pourra inculper Sami El Fehri de tous les maux disposés dans les codes de loi, coupable ou non, d’aucun ni de rien ne pourra estomper l’effet d’une arrestation à motivation politique.
Fehri tout comme Karoui devait servir d’exemple. Oui, des exemples de ceux qui ont osé critiquer et s’opposer au pouvoir en place et à ceux qui tirent les ficelles, entendez les islamistes. Une haine hargneuse est carrément vouée à tous ceux qui s’opposent à eux : “tu n’es pas avec moi, alors tu es contre moi. Et l’amour que j’attache au mien est égal à la haine que je promets aux tiens!” C’est leur aphorisme et nul ne peut y échapper.
Aujourd’hui, il n’est irréfutablement pas question de défendre ce qui est moralement indéfendable, soit les crimes de corruption et de blanchiment d’argent. Mais, soyons lucides et justes à quelque endroit, les Karoui et Ferhi ne sont pas les seuls loups dans la bergerie. Ceux qui les montrent d’un doigt accusateur sont vraisemblablement tâchés par la “chose”, car nul de ceux qui nous ont gouvernés jusque-là, n’est exempt de tout péché. Hélas!
Que faire alors, maintenant que la presse libre et sa cause noble sont menacées au vu et au su de tous? Devrions-nous nous remettre à la doctrine de Ben Ali en la matière et reprendre la muselière? Aujourd’hui, certains journalistes continuent à être victimes de censures et de harcèlement. Mais, chut! Personne ne doit en parler, de surcroît en cette ère de liberté.
Aujourd’hui, l’on continue à sonder de l’appréhension et de l’inquiétude dans les rangs des journalistes et des médias. Il y a les intouchables, que personne n’a le droit d’atteindre et auquel cas, elle aura décidé de sa propre sanction.
Si aujourd’hui, nous nous accordons le droit de nous poser ces questions et d’imposer ce constat, c’est qu’il devient aussi clair que de l’eau de roche, que le timing des arrestations de Karoui et de Fehri est loin d’être innocent.
Ne soyons pas dupes par choix, ni complices par négligences. Ne soyons pas passifs par crainte, ni indifférents par égoïsme. Si nous n’avons certes pas le droit d’émettre des jugements de justice, nous sommes toutefois, en droit de nous poser les questions de liberté et d’entrevoir les menaces qui la guettent.
*Journaliste et communicatrice