- Depuis les élections de 2019, nous assistons à une comédie qui cache une arrière-scène d’une recolonisation qui ne dit pas son nom.
- La nomination d’une novice flanquée d’un CV des plus fantasques à la tête de Tunisair, prouve la volonté de destruction des moyens et des capacités de l’Etat et du pays.
- De pays souverain, la Tunisie deviendrait un pays corridor, un Panama, sans le Canal
Par Taoufik BOURGOU[1]
Si la fin des régimes politiques constitue une énigme et un objet d’étude au cœur de la science politique, elle est dans le cas de la Tunisie post-2011, un long feuilleton dont on peut suivre les épisodes au jour le jour et dans l’instantanéité des déroulements.
Nous savons tous que le régime et le système issus des événements de 2010/11 sont morts. L’épisode de la missive entre Carthage et La Kasbah est un faire-part pour un ridicule décès. Le parchemin signé par le locataire de Carthage, dans une théâtralité incongrue par ces temps de délabrement de l’Etat, n’a de pendant que la loufoque pirouette institutionnelle imaginée par le Chef du Gouvernement nommant des intérimaires pour remplacer les recalés d’un remaniement tout en pantalonnade digne de la plus bananière des républiques. Le tout portant la marque du Régent véritable du pays, Ghannouchi.
Dans le ridicule, les trois pouvoirs se répondent admirablement. Les trois ont sombré dans leurs obsessions qui cachent mal des personnalités sans épaisseurs politiques et peu soucieuses de la trace qu’ils laisseront dans l’histoire. Depuis les élections de 2019, nous assistons à une comédie, une sorte de mauvaise pièce, pendant que le pays se fissure et que l’économie s’écroule. Une mauvaise pièce qui cache une arrière-scène d’une recolonisation qui ne dit pas son nom.
En ce début d’année 2021, il règne une atmosphère de 1867 et de 1869, un retour à la pire case de l’histoire du pays, celle qui a ouvert la porte à sa colonisation et à la fin de sa souveraineté.
En ces temps de mystificateurs grimés en sauveurs, une camarilla d’intrigants s’est emparée du pays et, dans une frénésie qui trahit l’empressement et l’inconséquence, elle s’est lancée dans une aventure dont on commence à saisir les linéaments.
Le Régent du pays, monsieur Ghannouchi et le chef du gouvernement, ont compris que la nasse est en train de se fermer et que le gouvernement ainsi que le régime issus de 2011 sont programmés pour une chute aussi rapide que soudaine, dans la veine des précédents systèmes. Comme leurs prédécesseurs en 1867, pour durer ils ont entrepris de céder le monnayable et le vendable dans ce qui reste de la souveraineté nationale et de la souveraineté économique du pays.
Les exemples ne manquent pas en ces temps de destruction des moyens et des capacités de l’Etat et du pays.
La nomination, en dépit du bon sens, à la tête de Tunisair, d’une novice, sans connaissance aucune du domaine aérien, flanquée d’un CV des plus fantasques, le prouve à l’envi. Amie de quelques lobbyistes apparus dans le sillage de janvier 2011, connus pour leurs accointances avec certains milieux anglo-saxons, notamment ceux qui ont dicté la funeste constitution par-dessus l’épaule du neveu du Régent.
Depuis peu, cette nomination a pris l’allure d’une péripétie à la Mata Hari de pacotille. Une PDG de compagnie aérienne reçue par trois ambassadeurs passerait pour un événement anecdotique s’il n’y avait pas une suite de déclarations intrigantes qu’on peut relier à sa nomination à la tête de la plus emblématique des entreprises publiques, une des plus anciennes d’Afrique.
La compagnie aérienne est dans une situation des plus fragiles. Ce n’est pas son sauvetage qui mobilise les énergies et qui aiguise les intelligences. C’est certainement sa disparition. La fin de la compagnie historique ouvrirait la porte à un nouveau paradigme, un nouveau modèle. Au centre de ce modèle affairiste, la négation du pavillon national et la concession de l’exploitation de la position géographique du pays à qui paierait le plus.
De pays souverain, la Tunisie deviendrait un pays corridor, un Panama, sans le Canal. Voilà ce qui semble être programmé pour le pays. Sous des airs de modernisme, de fongibilités multiples : islamisme et ultralibéralisme, privatisation des gains et socialisation des pertes collectives, partenariats multiples, etc. Or, ces recettes sont partout battues en brèche et abandonnées, sauf dans le pays laboratoire de la démocratisation comme il sied à ses nouveaux parrains, d’appeler la Tunisie.
Une simple lecture des déclarations révèle la suite et l’incongru, voire l’inacceptable et le condamnable.
D’autres concessions semblent avoir été programmées. Ainsi, la sortie du ministre des Transports venant, soudainement, exhumer le projet de l’aéroport à Utique prouve que nous sommes face à un boneto politico-économique d’un autre temps qui nous fait penser aux temps des concessions et autres Commissions Financières de la fin du XIXe siècle.
Il est vrai que l’emplacement de l’Aéroport de Tunis Carthage et le prolongement vers la Base de l’Aouina, font saliver nombre de spéculateurs, le projet de transfert de l’aéroport a été relancé au temps du premier gouvernement d’Ennahdha, de réputation à l’époque, certains plans de lotissements avaient même circulé sous le manteau dans quelques cercles affairistes proches du nouveau régime alors en installation. Utique semble être une sorte de concession de plus qui serait du même type et du même niveau qu’Enfidha.
Un partenariat public-privé qui serait concédé par un pays affaibli, qui constituera une prébende de plus dans la braderie de la souveraineté du pays. On connaît en effet, les clauses léonines qui jalonnent ces partenariats et ce qui peut rester en définitive à l’Etat national dans ce genre de contrats. Le mauvais épisode de TAV le prouve. Le concédant perd presque tout, y compris la possibilité de se prévaloir de sa territorialité pour le compte de sa propre compagnie nationale en difficulté. Un comble.
L’affaire d’Utique est plus importante qu’une déclaration. Elle constitue le paradigme, le modèle et la planche de salut d’un régime aux abois. Vendre le futur, le structurel pour financer l’immédiat et durer politiquement. La comparaison avec 1867 et 1869 est à cet égard instructive quant à la suite.
On découvre d’ailleurs, que l’esprit de braderie tient lieu de preuve de satisfécit de démocratisation et de méthode de gouvernement. C’est ainsi qu’on apprend qu’au sein même de l’ARP, des associations étrangères se sont vues concéder le droit de tenir la main des législateurs ; de rémunérer leurs assistants parlementaires et de financer leurs permanences électorales. Si cela pouvait s’avérer de cette ampleur, nous aurions dépassé 1867. Cela constituerait un scandale de régime, cela invaliderait au nom de la souveraineté du pays la légalité des pouvoirs en place, légitimerait in fine un droit de pétition pour les citoyens et permettrait d’instruire la dissolution de l’Assemblée et la fin du Régime.
T.B.
[1] Politologue, Chercheur au CERDAP2, Sciences Po Grenoble.