Tawfik BOURGOU .
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La transition est morte car elle n’était pas viable, une chimère à la Frankenstein un accommodement impossible entre islam politique et démocratie
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La transition perfusée depuis l’étranger n’a eu pour conséquence que le démantèlement politique, diplomatique et économique de la Tunisie moderne postcoloniale
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Les électeurs croyaient voter pour un Président loin des schémas de l’islam politique n’a pas été en mesure de comprendre que 2019 allait renforcer le camp islamo-conservateur
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Ragaillardi, le camp islamiste à force de lobbying washingtonien, l’a emporté sur le camp présidentiel sans stratégie hormis la véhémence, coincé au coin du ring.
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Ce n’est pas le salut de la Tunisie que cherche ce front hétéroclite mais des maroquins en guise de retraite dorée et l’absolution pour un parti qui a détruit la Tunisie. En guise de stratégie de sortie de crise économique ils n’ont que la mendicité.
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Contrairement à ce qu’a dit le Président algérien, la Tunisie n’a pas de classe politique. Il y a des affairistes, des intrigants, un parti de l’étranger (Ennahdha), mais pas de classe politique.
TUNIS – UNIVERSNEWS – Sauf à s’armer d’un optimisme naïf, béat ou washingtonien, sauf à être cynique comme l’est le parti islamiste d’Ennahdha, la transition «démocratique» tunisienne est morte, même si le faire part de son décès est récent, la mort cérébrale a quant à elle été constatée en 2014, lorsque suite à l’adoption de la constitution Feltman, une réunion se tint à Paris sous la férule d’un affairiste aujourd’hui en fuite, pour rassembler les deux vieux grigous, les contraires partenaires de circonstance dans une tromperie électorale d’avant scrutin. Une tromperie manifeste qualifiée par certains laudateurs « d’expression du génie politique tunisien ». Le « tawafook » était né et avec lui s’approfondirent les malheurs du pays.
Depuis ce jour-là, par absence d’une alternance de rupture et de mise en procès de la période nahdhawiste, le processus de transition a fini par rendre l’âme. Rappelons juste la position du Parlement européen qui tint un discours surprenant après les élections de 2014, nous citons : «Le Parlement Européen s’inquiète de l’éviction du courant islamiste de la vie politique tunisienne». Le Parlement Européen si prompt à proposer des solutions parfois contre-nature au point de frayer avec le Qatar, un des fossoyeurs de la Tunisie ! Bien sûr, dès 2014, il n’a manqué personne autour du cadavre. Le Qatar, la Turquie, les Etats-Unis, l’Union Européenne et d’autres acteurs de l’ombre tiraient les ficelles en coulisses, jusqu’à la très discrète Allemagne.
La transition est morte car elle n’était pas viable, une chimère à la Frankenstein un accommodement impossible entre islam politique et démocratie. L’aboutissement de cette expérience a fait du pays un laboratoire mondial d’un concordat mondial avec l’islam politique. La transition perfusée depuis l’étranger n’a eu pour conséquence que le démantèlement politique, diplomatique et économique de la Tunisie moderne postcoloniale. N’ayons plus la pudeur de désigner par des termes aseptisés ce qui a été une mise à mort et qui vient d’aboutir à une faillite de l’Etat.
L’échec des années 2019 – 2022.
Sans 2014 et l’accommodement des contraires aboutissant à un blanchissement d’Ennahdha, jamais on n’aurait eu 2019. Ennahdha a permis l’élection au second tour de Monsieur Saïed après avoir été déçue par le score famélique de Chahed, passé sous la férule de Ghannouchi. Mais 2019, construit sur des non-dits, comme en 2014 a abouti à une discorde au sein de la «famille» idéologique conservatrice et islamiste. Les électeurs croyaient voter pour un Président loin des schémas de l’islam politique n’a pas été en mesure de comprendre que 2019 allait renforcer le camp islamo-conservateur. Trois ans après, à force de références et de vases communicants on comprend où s’est situé le centre de gravité politique et idéologique de la Tunisie après les élections de 2019. La chimère transitionnelle, maintenue en état végétatif a permis à Ghannouchi de se faire introniser faiseur de rois. L’échec des années 2019 à 2022 est une reproduction des échecs de 2011 à 2019 : faire croire à un peuple crédule en un miracle institutionnel en capacité d’ouvrir les vannes des aides étrangères. Voilà l’autre face de la tromperie. Une farce qui succède à une tragédie, celle de la destruction d’un pays.
Mais 2019 s’est construit sur une immense mystification. Alors que le pays glissait vers au moins un effondrement économique et ce bien avant la crise du COVID et bien avant la guerre en Ukraine, une majorité d’électeurs accorde sa confiance à un candidat sans parti et sans programme. Face à lui une sorte de clown farfelu empêché de faire campagne dans des conditions rocambolesque digne d’un film de série Z. Dans n’importe quel pays cet épisode aurait eu pour conséquence le renvoi du second tour. En Tunisie ça n’a soulevé aucune interrogation. Le résultat quasi soviétique, cachait un malentendu majeur. Un président élu par un maximum de voix, dont celles d’Ennahdha, sans aucun pouvoir, dans un pays dans une crise profonde traversé par une violence politique larvée et une impunité totale des destructeurs du pays qui trônaient au perchoir. C’est ce recyclage qui a creusé la tombe de la mandature de 2014, c’est une forme de blanchiment en préparation qui est en train de creuser la tombe du pays dans son ensemble, après l’échec de la stratégie présidentielle de recomposer le jeu politique le 17 décembre 2022.
Quel salut peut venir d’un tel front ?
L’épisode du 25 juillet 2021, les maladresses en tout genre de l’équipe présidentielle vont donner à Ennahdha la bouffée d’oxygène nécessaire à sa survie. Sans le 25 juillet 2021, le parti islamiste était fini. Ragaillardi, le camp islamiste à force de lobbying washingtonien, l’a emporté sur le camp présidentiel sans stratégie hormis la véhémence, coincé au coin du ring. Il ne restait à Ghannouchi qu’à réveiller le vieux « Tawafok » en exhumant d’anciens acteurs et autres cadavres politiques. Certains avaient milité contre Ben Ali avant de le qualifier de patriote. Certainement croyant en la promesse de Ghannouchi de se faire introniser à Carthage en lieu et place de l’ancien allié, une ancienne gloire croit incarner un salut décidé de créer un front.
Quel salut peut venir d’une alliance avec un parti responsable de la faillite économique, sociale, sécuritaire, un parti qui a installé le terrorisme en Tunisie et qui a envoyé 9000 hommes perpétrer des crimes de guerres en Syrie et des femmes s’y prostituer ?
A la tête de ce front, un ancien militant espère que le soutien de Washington suffirait à lui accorder Carthage. Ce n’est pas le salut de la Tunisie que cherche ce front hétéroclite mais des maroquins en guise de retraite dorée et l’absolution pour un parti qui a détruit la Tunisie. En guise de stratégie de sortie de crise économique ils n’ont que la mendicité. A cette danse à deux, la centrale syndicale a cru que son devoir lui imposait de battre la mesure et de se joindre à la ronde, comme à l’extrême fin de 2010, comme en 2013.
L’UGTT et le Conseil de l’ordre des avocats. Encore une valse de plus sur musique de Quartet !
Attentiste comme toujours pour sentir le sens du vent, toujours en capacité de sauter dans le dernier wagon au bon moment, l’UGTT s’est jointe à la danse, enrôlant le nouveau Bâtonnier, qui voit dans ce pas de danse un baptême politique en vue d’un tremplin. Bouderbala a fait des émules, même s’il a choisi le mauvais cavalier (de danse bien sûr). Taboubi veut danser avec le Bâtonnier, il veut un duo, au pire il accepterait un trio, mais sans les partis politiques et sans le patronat. Un clin d’œil pour amadouer le camp présidentiel allergique aux deux. Une autre ronde, une valse, un tango, peu importe le rythme pourvu qu’on bouge en ces temps de bougisme collectif.
A quoi va aboutir l’initiative de l’UGTT et du conseil de l’ordre des avocats ? Certainement à imposer un nouveau gouvernement qui permettra à Ennahdha, au front et aux soutiens du Président de se faufiler dans le processus subrepticement. A défaut d’audience, ils auront les strapontins. Au moins ça de gagné en attendant que se dégage la piste de danse.
Un syndicat qui vole au secours d’un système politique en mort cérébrale au point de retarder l’avènement d’une solution viable et à long terme, on aura tout vu au pays de la transition qui éblouit le monde. En somme toute cette danse n’est qu’est remake de 2011 et de 2013. Vieilles lunes et vieux refrains.
La solution ? Parce qu’il en faut une !
Tous les processus depuis fin 2010 sont morts et sont déjà dépassés. Les solutions proposées du côté de la Présidence, comme du côté du parti responsable de la faillite sont obsolètes. L’urgence absolue est de sauver économiquement les Tunisiens et de sauver leur patrie. L’actuelle équipe, celle du front comme celle de l’UGTT ne peuvent être la solution, marqués tous, à divers degrés par les échecs répétés et disons-le tous responsables de la faillite du pays. Contrairement à ce qu’a dit le Président algérien, la Tunisie n’a pas de classe politique. Il y a des affairistes, des intrigants, un parti de l’étranger (Ennahdha), mais pas de classe politique. Du point de vue de la science politique, la Tunisie se rapprocherait plus d’un roman de Saviano ou du Parrain de Coppola que d’une vraie société politique. Il faudra sans doute une génération ou deux avant de voir éclore une classe politique fiable et responsable. La situation du pays ne peut attendre trente ans.
La solution consisterait dans l’immédiat en l’organisation d’une élection présidentielle, sur la base de la constitution de 1959 dans sa version initiale afin d’initier ensuite, sous une nouvelle présidence une refondation de la République. Les candidats devraient s’engager sur un programme de sauvetage économique et de transition politique en dehors des équipes de 2011 à 2022. Le mandat du président élu devrait être limité dans le temps, il serait unique. Les candidats se doivent de révéler leurs options économiques et les chiffrer au dinar près. Ils devraient annoncer clairement les options institutionnelles qu’ils défendent et s’engagent à quitter la scène eux et leurs équipes une fois accomplie la tâche de sauvetage du pays.
Les demi-solutions, le projet du « front nahdhawiste » de voir ressusciter une transition déjà usée seraient les pires solutions. Elles amèneraient le pays au bord de la guerre sociale. Personne ne peut accepter le retour du système 2011 au pouvoir. Ce serait un casus belli.
Dernier point et non des moindres, à titre de comparaison, des pays ayant vécu des situations similaires d’affaissement économique et politique ont connu une longue période de marasme économique et d’effondrement social. La Grèce qui a eu la possibilité de compter sur l’Union Européenne et sur le FMI a mis pas moins de douze ans avant d’envisager un début de sortie du tunnel. L’Argentine qui a beaucoup festoyé pour son dernier titre footballistique (vrai opium du peuple) stagne au milieu d’une crise depuis… 2003 avec des ressources dont la Tunisie ne dispose pas.
C’est à l’aune de ces exemples qu’on mesure l’écart entre la situation du pays et les danses ridicules et irresponsables des seconds couteaux.
T.B.