Taoufik Bourgou
• Au cours des onze dernières années, la classe politique a ravagé les fondamentaux de la diplomatie tunisienne
• Pour la majeure partie des pays de l’Europe, la Tunisie est envisagée comme un problème et plus comme un partenaire crédible
• Ennahdha avait entrepris d’orienter les relations avec l’Europe pour les intégrer dans la stratégie turque et le résultat fut désastreux
• En diplomatie, le dogme ne remplace jamais la stratégie sauf à croire que les idées gouvernent le monde, ce qui est le pire des fantasmes
• En trois ans, les relations de la Tunisie avec les Etats-Unis sont devenues exécrables, mauvaises avec l’UE, distantes avec la France et avec l’Italie.
En plus d’avoir été élu sans un programme ouvertement exposé, le Président de la République semble n’avoir aucune stratégie pour la Tunisie, hormis, bien sûr, le volet institutionnel avec le résultat que nous connaissons et qui peut s’apprécier à la lecture du texte constitutionnel qu’il a rédigé et promulgué.
L’action internationale du Président se fait au coup par coup avec une impression de brouillon, il faut le reconnaitre.
La Tunisie n’a pas de ressources minières et énergétiques sérieuses, sa seule richesse était son ouverture et son attractivité grâce à un niveau d’enseignement et de formation, qui d’ailleurs se sont effondrés depuis la « vertigineuse ». Son attractivité était fondée à la fois sur le pragmatisme économique et la méfiance vis-à-vis de tout enrôlement dans des guerres et des combats qui ne la concernent pas. C’en est fini avec cette ligne, l’idéologie a pris le pas sur le reste.
Au cours des onze dernières années, entre 2011 et 2022, la classe politique a ravagé les fondamentaux de la diplomatie tunisienne, hormis bien sur la période de la Présidence de Béji Caïd Essebsi, parasitée par le lobbying des frères musulmans d’Ennahdha auprès de
Londres, Washington, Doha, et Ankara. Avec les islamistes, la Tunisie avait un ministre officiel des affaires étrangères et un chef officieux de la diplomatie : Ghannouchi. Entre 2019 et 2021, on avait même l’impression qu’il y avait la « petite république du Bardo » face à la République de Carthage. Ghannouchi recevait à l’Assemblée avec la pompe d’un Chef d’Etat.
L’affaire du Sahara marocain vient ternir une fois de plus la diplomatie du pays et place la Tunisie au centre d’une affaire qui ne la concerne en rien.
Fallait-il recevoir le chef d’une entité non reconnue selon le protocole du au Chef d’un Etat avec drapeau et armoiries? Assurément non. Fallait-il contrevenir à ce qui a été la constante du jeu diplomatique tunisien pour plaire à une autre partie ? La aussi, il fallait se garder de tout parasitage politique d’un sommet économique certes plus symbolique qu’important.
Cette bévue (le mot est faible) prouve l’absence d’une stratégie de Monsieur Saïed pour la Tunisie. Non seulement dans le champ diplomatique, mais aussi dans le champ économique, celui qui intéresse le quotidien de tous. Or, dans la situation actuelle, pour la vie de tous les jours, les deux sont liés. Les échéances futures le prouvent à commencer par le rendez-vous avec le FMI et en finissant par la réunion de Washington.
Sur le plan diplomatique, le bilan de l’actuelle mandature est désastreux. En trois ans, les relations de la Tunisie avec les Etats-Unis sont devenues exécrables. Elles sont mauvaises avec l’Union Européenne, distantes avec la France et avec l’Italie. Ces deux pays n’ont désormais plus qu’un seul objectif : faire de telle sorte que le pays n’envoie plus de clandestins. Pour la majeure partie des pays de l’Europe, la Tunisie est envisagée comme un problème et plus comme un partenaire crédible. Cette tendance s’est accentuée ces derniers mois, non pas en raison des problèmes politiques internes, mais en raison de signaux contradictoires envoyés par Tunis sur son positionnement diplomatique.
Les pays du Golfe se sont désintéressés totalement de la Tunisie. Avec la Libye il n’y a pas une ligne directrice claire. Avec l’Afrique Subsaharienne c’est le domaine du dogmatisme et du défunt tiers-mondisme, pour un résultat économique nul mais avec une immigration subsaharienne qui submerge la Tunisie avec des problèmes internes immenses dans l’avenir proche.
Si ce bilan paraît aussi catastrophique, c’est tout simplement par ce que le chef de l’Etat agit sur la scène internationale avec les mêmes dogmes que ceux qui peuplent son discours politique en interne.
Bien sur, personne ne peut nier le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais inscrire dans sa propre constitution le droit d’un autre peuple à son indépendance au point de mentionner le nom d’une capitale future pour un hypothétique Etat, expose le pays diplomatiquement. Car en diplomatie, ce qui compte ce sont les résultats réels, ce n’est pas la répétition des dogmes et des convictions au point de les graver dans le marbre constitutionnel. En outre, de quels leviers disposerait la Tunisie pour résoudre les problèmes auxquels elle n’a pas contribué et qui sont irrésolus depuis 1947 ? Aucuns
La diplomatie, dans le cas d’un pays faible et sans ressources, sert d’abord à augmenter son attractivité, à choisir la meilleure formule pour tirer profit économiquement de ses alliances passées et qui, il faut le dire, ont permis à la Tunisie, durant des décennies de bénéficier d’un élan de coopération asse appréciable. Cet élan a été cassé par les frères musulmans d’Ennahdha.
Ces derniers prenaient leurs ordres à Ankara, voulant plaire à leur protecteur, avaient entrepris d’orienter les relations de la Tunisie avec l’Europe pour les intégrer dans la stratégie turque. Le résultat fut désastreux.
Actuellement, l’orientation du pays est incompréhensible. Le dernier épisode peut être interprété comme un alignement sur les positions de l’Algérie. Car en effet, on ne peut penser que le Japon, parrain du sommet, dont la diplomatie est très précise ait pu commettre l’erreur d’inviter ce qui n’est pas reconnu officiellement par la communauté internationale.
Un épisode inutile pour le pays, qui n’en sort pas sans dégâts. Au matin du début du sommet, les grands médias du monde n’ont retenu que la brouille avec le Maroc et ont éludé l’essentiel. Pas certain que le Japon reviendrait de sitôt en Tunisie. C’est aussi un coup de semonce qui fait réfléchir avant le sommet de la francophonie à Djerba.
Des réactions en chaîne qui auraient pu être anticipées avant de valider le volet protocolaire du TICAD. En effet, sauf à tout méconnaitre, qui peut croire que le Japon pourrait avoir des velléités d’investir dans un territoire disputé ? On serait arrivés très vite à la nécessité de ne pas inviter le Polisario.
En diplomatie, le dogme ne remplace jamais la stratégie sauf à croire que les idées gouvernent le monde, ce qui est le pire des fantasmes. Seuls les intérêts gouvernent la diplomatie.