Tawfik BOURGOU
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L’allié américain est devenu encombrant depuis les funestes « Printemps » qui ont montré par la négative au monde arabe et aux gouvernants que les Etats-Unis n’ont pas d’amis
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En dix de règne des islamistes, sous tutelle américaine, Washington s’est montré très conciliant vis-à-vis d’Ennahdha y compris dans des dossiers que les Américains imposaient comme cruciaux : le jihadisme et le terrorisme islamiste
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De 2001 à 2023 toutes les interventions américaines dans le Monde Arabe et en Afrique du Nord se sont soldées par des désastres aussi dramatiques les uns que les autres
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Le moment arabe des Etats-Unis appartient déjà au passé, çà et là quelques survivances, le divorce est d’abord intellectuel
TUNIS – UNIVERSNEWS l y a un an on n’aurait très certainement pas avancé une telle conclusion sur la rapidité de la perte t’influence des Etats-Unis dans le Monde Arabe, pris dans sa globalité. La malédiction du Quincy semble avoir pris fin doublement. D’abord, l’importance économique du monde arabe riche s’est atténuée pour les Etats-Unis. Ensuite, le poids négatif des Etats-Unis, comme puissance tutélaire est apparu sous une lumière crue qui a accentué le divorce non seulement entre les peuples arabes et les Etats-Unis, divorce ancien et irrévocable, mais entre les Etats-Unis et les Etats arabes qui petit à petit se défont d’une tutelle devenue irraisonnable, y compris pour eux.
L’allié américain est devenu encombrant depuis les funestes « Printemps » qui ont montré par la négative au monde arabe et aux gouvernants que les Etats-Unis n’ont pas d’amis, ont des intérêts momentanés et des obligés. L’autre grief aussi important que celui d’avoir promu les frères musulmans à la tête des partenaires centraux des Etats-Unis dans le monde arabe, c’est la tutelle tacite accordée à la Turquie sur le Moyen-Orient. Les Etats-Unis semblent avoir méconnu, ou tout simplement ignorent, l’histoire désastreuse de la tutelle turco-ottomane sur le levant. Nous assistons sans doute à la fin d’une période.
Une fin de cycle, peut-être d’une histoire.
Etrangement, comme une coïncidence, le siècle américain dans le monde arabe démarre avec la rencontre du Quincy* au large de l’Arabie Saoudite, la perte d’influence se constate à propos de ce pays à l’occasion de la reprise des relations diplomatiques avec l’Iran qui s’est faite par l’entremise et la bienveillance de la Chine. Pays challenger des Etats-Unis et qui entretient savamment, l’image d’un contre-modèle à l’action américaine, jugée militariste, brutale, fondée sur la volonté d’imposer un modèle uniforme au monde entier.
Comme seule réaction l’ancien allié américain, par la langue de son Président, répond par une gaffe de plus dont il a le secret. Il « Il aurait été préférable d’annoncer des relations avec Israël ». Un parallèle désastreux dans le monde arabe et dans le monde musulman.
Entre l’action chinoise et la déclaration américaine, un siècle de maladresses, d’incompréhension de de désagrégation de l’influence américaine, tant au Moyen-Orient qu’en Afrique du Nord. Comme signe de cette incompréhension qui touche les masses et les gouvernants, l’obsession américaine à vouloir réinstaller les islamistes à la tête de la Tunisie sans égard au bilan désastreux et quasi-criminel des frères musulmans dans ce pays.
Sans oublier la froideur des relations avec l’Egypte, ni le meccano libyen où les américains et les occidentaux ont englué toute une région dans la pire crise de son existence.
En dix de règne des islamistes, sous tutelle américaine, Washington s’est montré très conciliant vis-à-vis d’Ennahdha y compris dans des dossiers que les Américains imposaient comme cruciaux : le jihadisme et le terrorisme islamiste. L’implication des frères musulmans tunisiens dans ce qui relève d’une participation à la commission de crimes de guerre en Syrie, ne semblaient pas effrayer les américains.
C’est ainsi que les Etats-Unis ont perdu leur crédit, du moins ce qui devait en rester dans le monde arabe et au Maghreb. Comme ultime affront les déclarations de la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme sur la Tunisie viennent conforter l’opinion que désormais, les Américains, dans cette zone du monde, sont à côté de l’histoire.
Au Moyen-Orient, lié à leur seul allié stratégique dans la région Israël, les Américains semblent dans une incapacité totale à imposer une solution à la question palestinienne se contentant de suivre l’allié israélien, sans vouloir influencer le cours des choses. La dernière visite de Blinken dans la région fut pathétique tant l’absence de vision, ou la volonté d’en avoir, étaient manifestes. Le dossier iranien semble plus obnubiler les différentes administrations américaines que tous les autres dossiers de la région. Cette obsession américaine tranche avec la position de la partie arabe qui ne semble plus accorder la même acuité à l’affaire iranienne que Washington.
Ce divorce n’est pas une simple brouille diplomatique. Il est le résultat direct de l’application des « percepts » cachés du discours du Caire de Monsieur Obama. Lui-même construit sur une fausse lecture du monde arabe et du Maghreb. C’est la fin du moment américain dans le monde arabe, ceci est indéniable, même si persiste ça et là quelques ilots d’intérêts.
Un bilan désastreux.
Sur le long terme, si on prend la période qui va de 1947 à 2023, le bilan des interventions américaines et le jeu d’influence américain dans le monde arabe est désastreux. Si on prend juste la période 1990 à 2023, celle encore dans la mémoire des générations actuelles, elle aura été la plus désastreuse.
Notamment en raison de l’invasion de l’Irak, qui du point du vue du droit international est une copie conforme de l’invasion de l’Ukraine par les russes. Pire encore, de 2001 à 2023 toutes les interventions américaines dans le Monde Arabe et en Afrique du Nord se sont soldées par des désastres aussi dramatiques les uns que les autres.
Songeons juste à l’intervention en Irak de 2003 qui a détruit un pays, qui a préparé le lit de Daech quoi qu’en s’en défendent les analystes américains. La gestion de ce qui a été appelé « printemps arabe », version obamienne et « soft » de la reconfiguration du Moyen Orient chère à George Bush Jr, a abouti à un désastre sans nom.
Transformée en laboratoire des accommodements imaginés à Washington la Tunisie a sombré dans la pire crise économique de son histoire, la fragilisation de l’Etat, confié aux frères musulmans sur injonction américaine, le pays fait face à la pire crise de son histoire, qui menace son existence même, alors que le pays a existé dans ses frontières actuelles depuis 1705.
En Libye le bilan est tout autant désastreux, l’influence américaine et occidentale a abouti à une balkanisation sans espoir de sortie de crise pacifiquement. Douze années d’une longue agonie que peine à résumer la dernière déclaration du représentant de l’ONU dans ce pays nommé sur pression américaine.
En Syrie, pays où stationnent encore des troupes américaines pour protéger les puits de pétrole syrien dont les revenus financent les groupes liés aux islamistes, après avoir aidé directement ou indirectement toute une nébuleuse de groupes combattants, les Etats-Unis se trouvent sans solution englués là aussi, dans un statu quo qui en dit long sur l’absence d’une stratégie globale. Ce qui est dit de la Syrie peut être dit du Liban. La tentation de vouloir rallumer le brasier syrien pour contrecarrer Moscou semble obséder les Américains, c’est sous cet angle qu’ils ont lu le rapprochement saoudo-iranien qui contrecarrent leurs plans. Au Yémen, les Etats-Unis ont, durant les deux mandats Obama pratiqué une guerre secrète par drones dont on peine aujourd’hui à voir les résultats. Les relations avec l’Egypte sont au plus bas.
L’Algérie est dans une position attentiste, avec le constat de l’affermissement de la présence russe aux côtés de Algériens et inversement d’ailleurs. La présence au Maroc est anecdotique, même si elle est présentée comme stratégique, en tout cas pour le moment.
Entre temps, les rares gouvernants des pays précédemment intéressés par des relations fortes et stables avec les Etats-Unis ont assisté, médusés, au traitement de la fin de la présence américaine en Afghanistan.
Sous-traitée par un petit Emirat dont le poids diplomatique se mesure essentiellement à l’épaisseur de son carnet de chèques et surtout à un moment où secrètement on commençait démêler les fils du scandale européen du Qatargate, l’affaire afghane et les images médiatiques de la fuite américaine ont terni encore plus l’image des Etats-Unis.
Comme ultime et négative leçon adressée au Monde arabe et au Maghreb, le désengagement d’Afghanistan et le lâchage du Gouvernement Afghan n’aura été que le remake du lâchage du Vietnam du Sud après une négociation avec le nord. Tout en maintenant sous perfusion le gouvernement officiel, les Américains négociaient leur départ avec les talibans par l’entremise du Qatar promu allié stratégique.
Cet épisode rappelle d’ailleurs étrangement la préparation des fameux « printemps arabes » à partir de 2003 : tout en enrôlant des pays comme l’Egypte dans la guerre contre le terrorisme, les Américains et les Britanniques avaient entrepris de négocier avec les islamistes, dont certains qui avaient applaudi les attaques du 11 septembre 2001, pour les adouber à la tête du monde arabe. On connait la suite de l’histoire et le désastre qui s’ensuivit.
Le moment arabe des Etats-Unis appartient déjà au passé, çà et là quelques survivances, le divorce est d’abord intellectuel. Il l’était déjà dans la période avant les printemps, il est encore plus fort aujourd’hui. La diplomatie américaine est brouillonne, sans schéma général facile à décrypter par un monde arabe en crise profonde. On n’ira pas jusqu’à entrevoir l’enrôlement des Saoudiens dans le pacte russo-irano-chinois.
L’Occident a perdu sa crédibilité, les Etats-Unis surtout et pour longtemps, certainement.
T.B.
Politologue
Centre d’Etudes de la Diplomatie et de la Politique
Sciences Po Grenoble.
* Le Quincy est le croiseur américain sur lequel se sont rencontrés Franklin. D. Roosevelt et le roi d’Arabie Saoudite le 14 février 1945 scellant le transfert de l’influence sur le levant des britanniques aux américains.