- L’affaire du sit-in de l’Avenue Kheireddine Bacha montre l’ampleur du pouvoir parallèle sous influence étrangère
- De facto, la Tunisie est gouvernée par un parti de l’étranger
- Ce 10 mars 2021, l’avenir du pays ne s’écrira plus avec Ghannouchi. Peu importe l’issue du bras de fer avec Abir Moussi. Il a perdu la face aux yeux du monde.
- Les services de renseignements de notre pays sont soit dépassés, soit complaisants, ce qui est très grave
Par Taoufik Bourgou
Peu importe la méthode, Madame Abir Moussi a réussi à nous montrer la farce du printemps arabe. Les documents fuités depuis le siège de l’association de Qaradhawi montrent d’ores et déjà l’ampleur du viol des lois et de la souveraineté du pays. Ces documents prouvent que la Tunisie a été, est encore, le laboratoire et le centre de repli de ceux qui ont été les supplétifs des puissances régionales dans la destruction des Etats et dans la construction de régiments entiers de terroristes.
Depuis quelques jours le chef d’Ennahdha s’emploie à coup de millions de dollars à se blanchir auprès de son mentor washingtonien, l’affaire du siège de Tunis de l’association de Qaradhawi qui tient lieu d’université idéologique d’Ennahdha révèle des ramifications dangereuses. Elle vient de ruiner ses efforts. On ne peut que s’en réjouir.
Sauf à regarder ailleurs et de laisser l’impression de complicité douteuse, l’ambassade américaine à Tunis, le Département d’Etat des USA se doivent de clarifier leur position vis-à-vis de cette organisation et de son siège qui a fourni des diplômes à des terroristes recherchés par les Etats-Unis en 2017 et qui ont été diplômés en Tunisie en 2018[1].
Nul besoin de commémorer Ben Guerdane en grande pompe quand le centre idéologique mondial du terrorisme se trouve à quelques kilomètres des sièges gouvernementaux et à deux pas du ministère de l’Intérieur. Nous savons enfin à quoi ont mené les dix années d’une expérimentation étrangère en terre tunisienne.
L’Etat tunisien s’est tout simplement évaporé. Il n’ya guère plus que le Président Saïed qui croit encore depuis son palais que l’abstraction juridique continue à vivre. L’affaire du sit-in de l’Avenue Kheireddine Bacha montre l’ampleur du pouvoir du parti-Etat-parallèle sous influence étrangère.
En ce 10 mars 2021, le Secrétaire général de l’UGTT nous apprend que des services de renseignement étrangers pullulaient dans le pays. Monsieur Taboubi mettait en parallèle la présence de l’association de Qaradhawi et les multiples ingérences des pays parrains de cette structure dans l’Etat et les institutions tunisiennes.
On présume en lui donnant raison, qu’il vise les services turcs et ceux du Qatar. Ces derniers, ceux du Qatar, chacun le sait, ne sont pas tenus par des Qataris, mais par des sociétés militaires et de s internationales privées. Nous n’avons aucune raison de ne pas croire Monsieur Taboubi.
Désormais, nous sommes plus proches de la situation d’un Liban que de la Tunisie d’avant l’hubris de 2011. Un parti-Etat disposant de milices et de la protection de services de renseignement étrangers sur le sol du pays auquel il prétend appartenir.
Dire cela montre que les services de renseignements de notre pays sont soit dépassés, soit complaisants, ce qui est très grave. Dans un pays qui se respecte, c’est-à-dire dans un pays avec des institutions dignes de ce nom, une telle affirmation aurait déclenché immédiatement l’ouverture d’une information judicaire et une saisine du procureur de la République près du Tribunal militaire.
On peut espérer que dans un sursaut de patriotisme et d’amour du droit, les magistrats se saisiront de cette affaire et que le parquet militaire lance les convocations. On peut espérer que le ministre de la Défense, arrive à convaincre le Président de la République d’ouvrir enfin ce dossier.
Affirmer que des pays étrangers entretiennent des officines dans le pays à travers une association qui a des ramifications jusque dans le terrorisme international, signifie, en d’autres termes, une colonisation du pays.
Une telle affirmation devrait tirer la Présidence de la République de sa léthargie. Elle pourrait susciter la convocation du Conseil de Sécurité Nationale afin de soulever le viol de la souveraineté du pays.
Mais presque au moment de la parution de la phrase de Monsieur Taboubi, fidèle à son inénarrable style, le Président de la République était affairé à recevoir quelques seconds couteaux prétendument politiques, représentant la partitocratie insignifiante issue de la médiocre constitution de 2014. Il déclara et déclama que « l’Etat n’était pas une marionnette ». Phrase aussi insignifiante que grotesque au moment même où avenue Kheireddine Bacha se jouait, à quelques encablures du Palais, la souveraineté du pays. Tel l’orchestre du Titanic, le palais joue une partition pendant que le pays coule. La proue est déjà dans l’eau et que la gite du navire penche dangereusement. Imperturbable, devant des seconds couteaux médusés, tel le personnage du film La Chute, le Président déplace des régiments imaginaires et prépare des fusées en parchemin. Triste spectacle.
En ce 10 mars 2021, nous pouvons déclarer la mort du parlement. On ne vise pas ici les députés d’Ennahdha et leurs acolytes d’al-Karama, ni ceux de Qalb Tounes leurs supplétifs. On vise quelques uns, qui pourraient exister dans cette assemblée, qui soudain, dans un élan de patriotisme pouvaient oublier juste un instant leurs personnes et penser enfin au pays et rejoindre l’avenue Kheireddine, non pour soutenir Abir Moussi, mais juste pour lever la tête et défendre le pays.
Mais depuis 2011, cette assemblée n’a d’ailleurs été qu’un cirque où se produisent les gros bras d’Ennahdha et leurs supplétifs. Sans dignité ni utilité, le parlement a coulé comme le reste. Ce 10 mars, les députés qui ne sont affiliés ni à l’un ni à l’autre camp ont montré que le plus important pour eux c’est certainement le salaire de la fin du mois. Le parlement est mort. Tant mieux, le peuple ne va pas le pleurer.
Quant au gouvernement et son chef certainement les pires de l’histoire du pays, en ce 10 mars 2021, ils inaugurent des insignifiances. Ils parlaient de culture. Cela serait salutaire sauf qu’à vol d’oiseau de la Cité de la Culture, une organisation diffusait des livres qui n’ont qu’un lointain rapport avec la culture. « Ahkem Annikeh » et « L’islam et le terrorisme » tiennent lieu de culture. L’incongruité de l’état de ce gouvernement suscite plus la pitié que le blâme. Lui aussi est mort en ce 10 mars 2021.
En ce 10 mars, les défenseurs de Qaradhawi et de son association ont donné de la voix. De Marzouki à Sihem Badi, ceux payés par le Qatar, le gendre de Ghannouchi, Bhiri et tout l’aréopage des relais de la Turquie et du Qatar, certainement aiguillonnés par leurs parrains et financeurs se sont précipités tel un troupeau vers leur université idéologique. Une précipitation qui trahit quelque chose. Certainement les jours qui viennent nous apporteront la réponse.
En ce 10 mars, la pire des absences, c’est celle des démocrates de salon. Les prétendues figures nationales ont déserté les plateaux. Leurs silences sont à la hauteur de leurs résistances à Ghannouchi. Les « forces du centre » (al koua al wassatia) sont mortes emportées par la vague. Définitivement démonétisées, personne ne votera, ni même prêtera attention à ceux qui sont si prompts à dialoguer avec Ghannouchi pour se réserver un strapontin et qui laissent une association, une pieuvre gangrener un pays. Le 10 mars 2021 sera la date du début de la retraite politique des partis qui se prétendent modernistes et démocrates. Tous, sans exception aucune, sont condamnés à disparaitre. L’occasion historique était à portée de main. De peur, ils se sont laissé mourir. Personne ne constatera désormais leur absence. Les 250 qui peuplent l’alphabet des appellations de A à Z sont en état de mort cérébrale. De la gauche tunisienne faut-il encore parler ? Elle est restée dans les cales de ce Titanic politique.
La Tunisie a certainement le plus peuplé des cimetières de partis politiques depuis l’antiquité grecque. On ne regrettera personne.
En ce 10 mars 2021, la clarification tant attendue, depuis dix ans a eu lieu. C’est le plus beau cadeau que le pays pouvait espérer. Elle a été même accélérée par les déclarations de l’irakien à la tête de l’association des oulémas, qui a proféré une fatwa comme si la Tunisie devait lui appartenir. Comme si l’Irak en charpies n’était pas suffisamment vaste et ensanglanté pour qu’il n’y exerce pas son talent de suppôt du terrorisme. La course précipitée de Bhiri au siège de la branche implantée en Tunisie, prouve l’allégeance du parti au pouvoir en Tunisie à un ordre étranger. De facto, la Tunisie est gouvernée par un parti de l’étranger. La preuve visuelle est faite. On ne dira plus qu’on ne savait pas.
Désormais, dans la scène il n’y a plus que les nationalistes patriotes, le PDL d’un côté et Ennahdha de l’autre. Le reste s’est évaporé, si tenté qu’il ait pu exister un jour en dehors de ce que le parti islamiste octroyait à ses supplétifs comme marge d’existence.
Définitivement et pour les années qui viennent, la bataille politique se joue désormais entre Madame Moussi et le système issu de 2011. Entre les deux rien ne pourra plus jamais exister, car la bataille ne se joue plus sur un accommodement (un tawaffok) avec un parti tunisien conservateur comme a essayé de le présenter son chef aux médias américains. La bataille se joue entre les patriotes tunisiens et le parti de l’étranger, Ennahdha.
Ce 10 mars 2021, l’avenir du pays ne s’écrira plus avec Ghanouchi. C’est l’autre point positif. Peu importe l’issue du bras de fer avec Madame Moussi. Il a perdu la face aux yeux du monde. Le peuple a vu sa vraie dimension politique. Faible, impotent, incompétent, trop lié à ses parrains étrangers, contesté dans son propre parti. Il est certainement fini. Sa chute est proche.
L’avenir du pays ne s’écrira pas avec les partis supplétifs d’Ennahdha. Ils s’écrouleront à mesure que s’amenuisera le pouvoir des islamistes. Qalb Tounes, parti de circonstance, Al Karama, supplétif d’Ennahdha disparaitront. C’est inéluctable.
Il est évident aussi que le Président de la République, en échec depuis le premier jour de sa mandature, est lui aussi frappé par une obsolescence aussi rapide que sa soudaine fortune politique. Il finira son unique mandat dans l’indifférence qui nous caractérise, nous autres, le peuple de ce pays. Saied a tout raté. Il lui reste la véhémence. Il partira sans regrets ni traces.
Ces derniers jours, même le moins informé parmi nous a compris la profondeur de la détresse du pays. Deux pouvoirs qui s’étripent comme des chiffonniers pour s’attribuer le mérite d’avoir pu mendier quelques vaccins. Le mérite en reviendrait apparemment à une personnalité en dehors des sphères du pouvoir. Dans leur course aux honneurs de pacotille, les deux pouvoirs auxquels on peut rajouter le locataire du perchoir du Bardo, en oublieraient même que nous ne sommes plus au temps où on pouvait raconter des fariboles et des mensonges. Plus de 8000 morts et un pays en faillite, des vaccins obtenus par dons, d’autres entrés dans le pays, donnés à la présidence par une chancellerie étrangère.
Aussitôt dite, l’information s’est évaporée comme le gaz de la fameuse enveloppe empoisonnée qui aurait envoyé la Directrice du Cabinet Présidentiel à l’hôpital militaire. Un cirque pitoyable et grotesque et un bilan qui auraient pu les inviter à démissionner en dignité. Ils ne le feront pas. Mais ils partiront, c’est inéluctable.
Plus que toute autre date, ce 10 mars 2021 révèle au pays l’étendue du mensonge de 2011. C’est même une leçon de science politique, une leçon à la Tocqueville. Ces derniers jours nous avons vu un pouvoir parallèle servir Ennahdha, comme il a servi les deux premiers régimes. Le comportement de la police est à cet égard illustratif de l’admirable continuité de l’autoritarisme. Des hommes cagoulés, viennent frapper nuitamment, une milice ? Une police ? Nul ne sait. Mais ce pouvoir parallèle, cet Etat profond, s’apprête à changer de monture pour sauver son propre pouvoir.
En ce 10 mars 2021, nous revient, une des dernières scènes du Guépard de Gianni de Lampedusa, où le Prince de Salina disait : « Nous étions des lions et des renards, nous voilà loups et hyènes ». L’ancien monde ne s’est pas estompé, à travers lui, des hyènes et des loups se sont engouffrés pour étriper le pays. Le seul espoir reste dans la rue. C’est elle qui a toujours arbitré à chaque carrefour de l’histoire l’avenir du pays.
Seule 2011 fut une farce de l’histoire et une confiscation. La rue avait créé un espoir, le parti de l’étranger l’avait usurpé. Ce 10 mars 2021 signe la fin de la farce de l’histoire, dix ans après. Le saltimbanque a eu un perchoir, mais a perdu son cirque. Cela nous donne espoir pour la suite.
T.B