Par Taoufik BACCAR
- Le 16 janvier 2011, la Tunisie disposait d’un matelas de 5,6 milliards de dinars d’économies budgétaires et de 13 milliards de dinars de réserves en devises
- On disposait d’une des meilleures notations d’Afrique autorisant l’accès à des conditions favorables à tous les marchés financiers
- Face aux dégâts, même l’argument d’une démocratie naissante ne tient plus et les possibilités d’une digne mobilisation des ressources se sont bel et bien fermées.
- La pauvreté a enregistré des niveaux que la Tunisie n’a jamais atteints auparavant.
- Il faudrait un programme de réformes à l’instar de celui que la Tunisie a su concevoir, défendre et mettre en œuvre en 1986
Taoufik Baccar, ancien Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie et ex-mnistre, a rendu publi un statut Facebook dans le quel il révèle des vérités jamais dites sur la situation économique et financière qu’il a laissée un certain 16 janvier 2011 et la détérioration vertigineuse des tous les indicateurs qui sont allés decrescendo jusqu’à nos jours.
Un témoignage pertinent que nous reproduisons intégralement avec des sous-titres de la rédaction, mais tirés du texte même :
« En raison vraisemblablent de l’impasse budgétaire et financière que vit le pays aujourd’hui, je suis assailli, ces derniers jours, par des questions récurrentes que me posent plusieurs personnes, des initiés mais également des personnes lambdas que je rencontre au hasard d’une course ou d’une marche.
Je confirme par ce statut qu’au moment de mon départ de la BCT le 16 janvier 2011, la Tunisie disposait d’un matelas de 5,6 milliards de dinars d’économies budgétaires dont essentiellement 2,5 milliards de dinars provenant de l’opération d’ouverture du capital de Tunisie-Télécom, environ 1 milliard de dinars de bénéfices de la Compagnie de Phosphate de Gafsa et du Groupe chimique et presque autant au titre des bénéfices de la BCT, non utilisés durant trois exercices successifs.
La Tunisie disposait, également, de réserves en devises d’un montant de 13 milliards de dinars, soit 145 jours d’importation, sachant que ces réserves provenaient non pas de l’endettement supplémentaire du pays mais du dynamisme de l’activité́ d’exportation de biens et de services et des rapatriements des Tunisiens à l’étranger, la dette extérieure étant faible car ne dépassant pas 23 milliards de dinars (contre près de 100 actuellement ) et la Tunisie n’ayant pas levé́ de fonds sur le marché́ financier international entre juillet 2007 et décembre 2010 en raison de la crise financière internationale. Elle n’en avait d’ailleurs pas besoin compte tenu de la situation financière du pays.
Ces économies budgétaires étaient destinées à servir de levier pour financer en partie un grand programme de relance après la crise financière internationale qui bien qu’elle n’ait pas eu d’impact direct sur la Tunisie, a entraîné néanmoins, une réduction de la croissance du pays dont le taux n’a pas dépassé́ 3,5% en 2009 et 3% en 2010, soit les taux les plus faibles que la Tunisie ait connus sur la décennie 2000-2010 et ce, en raison de la baisse de la croissance mondiale qui a suivi cette crise.
Le programme de relance comprenait notamment le soutien à la construction du port en eaux profondex, l’extension du réseau autoroutier et en particulier, le financement de l’autoroute du Centre et Sud-Ouest reliant Tunis à Kairouan, Sidi Bouzid, Kasserine et Gafsa, le programme des parcs technologiques, de nouvelles générations de zones industrielles, etc.
Sur le même registre et en plus de ce coussin fait des économies budgétaires et du matelas de réserves en devises disponibles à fin 2010, la période 2011-2021 a hérité́ d’importantes marges de manœuvre dont notamment :
– une dette extérieure ne dépassant pas 37% du RNDB et une dette publique modérée de 41% du PIB, laissant au pays d’importantes possibilités de mobilisation de ressources extérieures.
– une notation souveraine plus qu’honorable, une des meilleures d’Afrique et qui autorisait l’accès à des conditions favorables à tous les marchés financiers. La dernière sortie réalisée avant 2011 celle de 2007 a permis, faut-il le rappeler, de lever sur le marché́ samouraï, des fonds sur vingt ans à une marge de 0.75% !
– une pression fiscale modérée, de moins de 19% du PIB laissant près de 3 à 4 points de marge.
Et au-delà̀ de tout cela, une réputation internationale d’un pays économiquement et financièrement bien gèré comme le reflète la réactivité́ des marchés financiers face à ses sorties sur le marché, le bon positionnement de la Tunisie dans les Forums et Rapports internationaux comme celui de Davos où la Tunisie était classée 32 ème sur le plan mondial, ou encore les communiqués du FMI, de la BIRD ou d’autres acteurs financiers internationaux de premier plan.
Entre 2010 et 2015 la Tunisie est passée de la 32ème à la 92 ème place soit une dégradation de 60 rangs en 5 ans soit la dégradation la plus sévère connue par un pays depuis que le forum de Davos a pris l’habitude de publier son rapport annuel .Heureusement que ce classement s’est quelque peu redressé depuis ( 87ème en 2020) bien qu’il demeure très loin de celui de 2010.
Grâce à ces marges, la Tunisie a pu financièrement survivre ces dix dernières années .Elle n’a cependant pas malgré nos multiples appels réussi à mettre à profit ces acquis afin de relancer la croissance et l’investissement et préparer l’avenir du pays.
Ces marges sont aujourd’hui épuisées sans qu’une contrepartie soit ressentie en termes d’augmentation du potentiel productif, du niveau de vie de la population, de réduction du chômage ou d’amélioration de l’infrastructure socio-économique du pays.
Face aux dégâts, même l’argument d’une démocratie naissante ne tient plus et aujourd’hui les possibilités d’une digne mobilisation des ressources se sont bel et bien fermées.
Au moment où̀ l’idée de coussin financier est de plus en plus répandue dans le monde, on peut dire que la Tunisie avait pensé́ à cela depuis un certain temps.
La disponibilité de telles ressources ou de marges pour la mobilisation rapide de ressources aurait aujourd’hui permis à la Tunisie de faire front à la pandémie du coronavirus en mettant à niveau ses structures hospitalières et en engageant à temps la campagne de vaccination, ce qui aurait évité́ des pertes de vies humaines.
La Tunisie aurait également eu les moyens de l’accompagnement social de cette pandémie et du soutien aux entreprises et aux différents corps de métiers, ce qui aurait permis de préserver un tant soit peu le tissu économique du pays et d’éviter l’augmentation de la pauvreté́ qui a atteint des niveaux que la Tunisie n’a jamais atteint auparavant.
Devant cette impasse, il n’y a point de salut que l’engagement d’un grand programme de réformes à l’instar de celui que la Tunisie a su concevoir,défendre et mettre en œuvre en 1986 et qui a permis de sauver le pays des risques d’effondrement .
Ces questions sont traitées en long et en large dans mon livre «Le Miroir et l’Horizon:rêver la Tunisie» Le livre aborde, dans sa partie Horizon, la manière de d’engager le redressement de la situation à la lumière des expériences vécues en 1986 et en 2007/2008 au moment du déclenchement de la crise financière internationale.
T. B.