Tawfik BOURGOU
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Les guerres et les diplomaties ne se mènent pas par les mots, les discours tonitruant en direction d’une foule convaincue et seule la réalité du terrain compte
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Le monde arabe n’est qu’un référentiel pour les consommations internes, il est juste servi à des sociétés humiliées par des défaites successives
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Cette guerre israélo-palestinienne est un faire-part de la mort, cette fois finale, du monde arabe, de la Ligue des Etats arabes et de la période nasserienne
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Gaza éclaire le rôle de l’Iran tant au Moyen Orient qu’en Afrique du nord. L’Iran a des velléités y compris en Tunisie, ce que beaucoup semblent ne pas voir
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Les frères musulmans qui agissent sur aide qatari sont en lien direct avec le Département D’Etat, et on peut tirer des conséquences pour l’aile syrienne, tunisienne, libyenne et certainement d’autres
TUNIS – UNIVERSNEWS Les guerres ne peuvent être analysées scientifiquement qu’une fois dégagé le brouillard qui enveloppe leurs débuts et après que retombent au sol leurs poussières. Ce n’est que longtemps après qu’on peut se hasarder à en analyser les causes et à en mesurer les conséquences diplomatiques et politiques.
Néanmoins, la guerre actuelle israélo-palestinienne ne se traduira pas par un gain territorial pour les Palestiniens, ni en percée diplomatique en leur faveur. Le rapport de force est en défaveur des solutions équitables et durables. On ne peut que le déplorer.
Les guerres et les diplomaties ne se mènent pas par les mots, les discours tonitruant en direction d’une foule convaincue. Seule la réalité du terrain compte. Certains semblent méconnaitre cette simple règle.
Le 3 novembre 2023, beaucoup étaient scotchés aux lèvres de Hassan Nasrallah le chef du parti libanais Hezbollah. Certains attendaient une posture à la Saladin. Ils se sont trompés d’homme et d’époque. Nasrallah a parlé en homme politique libanais et non en chef de guerre arabe.
Certains feignent de croire que le monde arabe a existé et existe toujours en tant que bloc acteur des jeux dans l’espace arabe.
Les faits montrent à chaque crise le contraire et ce depuis au moins 1967. Le monde arabe n’est qu’un référentiel pour les consommations internes, il est juste servi à des sociétés humiliées par des défaites successives.
Cette guerre israélo-palestinienne, au-delà des sorties des foules, tout à fait attendues et habituelles, est un faire-part de la mort, cette fois finale du monde arabe, de la Ligue des Etats arabes et de tout le reliquat de la période nasserienne à laquelle certains se référent encore y compris par la diction. A l’examen des postures on comprend que c’est la fin.
Le Maroc a préférée en ces temps de guerre reparler de son éternel mantra, le Sahara, pour amener son peuple à regarder au sud et non à l’est.
L’Algérie, qui a dicté à la Tunisie sa dernière position, a préféré regarder ailleurs. Les Algériens floués par Moscou dans le cadre de l’adhésion aux BRICS sont en train de négocier avec Washington et préparent leurs commissions stratégiques majeures avec l’Oncle Sam. Les Etats-Unis joueront les bons offices entre le Maroc et l’Algérie avec certainement des résultats. La Tunisie n’aura fait que détruire sa ligne et semble sans aucune stratégie diplomatique.
L’Egypte étranglée par une crise économique d’une rare violence ne peut pas et ne veux plus s’impliquer dans les conflits extérieurs. C’est dit et c’est net. Tout comme la Jordanie. Les autres sont assez loin, assez faibles et pour certains déjà vassaux des Etats-Unis comme le Qatar pour oser poser une autre option. Le ban est fermé.
Subsistent deux questions lancinantes, passées sous silence par les médias « main stream » dans le monde arabe et ailleurs. Pourquoi Gaza et pourquoi en ce moment ? La seconde question concerne le rôle du Qatar. Son rôle passé et surtout son rôle futur.
Pourquoi Gaza et pourquoi en ce moment ?
Gaza éclaire le rôle de l’Iran tant au Moyen Orient qu’en Afrique du nord. L’Iran a des velléités y compris en Tunisie, ce que beaucoup semblent ne pas voir. L’Iran n’agit directement que dans le cadre de l’axe chiite. Malgré les appels du pied de quelques sunnites, y compris dans la nébuleuse islamiste tunisienne à la gauche d’Ennahdha, qui agit beaucoup ces derniers jours, l’Iran gère les marges arabes, sunnites uniquement dans le cadre de ses intérêts nationaux. Gaza répond à un élargissement de la confrontation entre l’axe Moscou/Téhéran et l’axe occidental vers le Caucase. Le rôle d’Israël et de la Turquie dans le Caucase a été déterminant aux côtés des azéris pour procéder à un nettoyage ethnique dans le Haut Karabakh arménien. La courte guerre du Karabakh à laquelle Washington a apporté un accord tacite, a eu deux conséquences majeures : ouvrir un front dans le dos de Moscou et offrir à Israël un poste d’observation au nord de l’Iran. La situation avait de quoi inquiéter l’Iran. Incapable d’agir depuis la Syrie ni le Liban contre Israël, l’Iran a choisi d’agir par un proxy : le Hamas toléré par les Israéliens, les Américains, financés par le Qatar comme tous les segments des frères musulmans.
Le 7 octobre est une date symbolique, mais ne correspond pas à une situation de crise telle qu’elle devait inviter une nouvelle guerre. Le moment est plus propice à l’Iran qu’à tout autre pays arabe ou même les Palestiniens.
Quels premiers enseignements tirer ?
Pour répondre à cette question beaucoup se réfèrent à 2006 et à la guerre entre le Hezbollah et l’armée israélienne. En réalité le processus de référence serait plutôt 1982. Dans le contexte mondial actuel, dans la confrontation russo-occidentale, tous les théâtres secondaires seront investis par l’un ou l’autre des protagonistes pour améliorer les conditions de sortie du conflit en Ukraine et pour régler des questions liées à leurs relations spécifiques. Les droits des Palestiniens seront, comme après la guerre de 1982 secondaires par rapport au principal du contentieux. Les postures de Monsieur Erdogan, les menaces de l’Iran et les rodomontades des autres n’y feront rien.
Les Etats arabes agissent séparément, pour eux-mêmes, la fraternité et l’amitié est un produit non-fongible dans la diplomatie. D’ailleurs, la Tunisie ferait mieux de s’en inspirer au lieu d’approfondir sa vassalité vis-à-vis de l’Algérie dans une honteuse dépendance. Mais ce que révèle cette guerre meurtrière et destructrice c’est le rôle néfaste du Qatar.
A la faveur de ce qui s’est passé le 7 octobre 2023, les médias occidentaux, d’habitude si serviles quand il s’agit de l’émirat gazier révèlent ce que nous n’avions cessé de dénoncer depuis 2011 : le rôle du Qatar dans le financement des frères musulmans, ceux-là mêmes à qui l’Occident a offert sur un plateau la Tunisie, lors de la réunion de Paris en février 2011 en présence du Qatar. Ce dernier a financé aussi l’aide en armes des milices islamistes libyennes. Dans le cadre de l’aide aux frères musulmans libyens, à l’époque le ministre de la Défense du Qatar avait fait le voyage jusqu’à Bruxelles pour signer le chèque en présence aussi de certains membres de l’OTAN. Nous connaissons la suite.
Dans sa réunion à Amman le 4 novembre, Blinken était flanqué du Qatar afin de préparer l’étape d’après.
Le même jour, la commission du renseignement du Congrès mettait en cause directement et officiellement le Qatar dans son rôle de financeur et d’hôte du Hamas et de ses chefs à Doha.
Le Qatar a répondu à cette mise en cause soulignant sa vassalité en affirmant que « c’est sur demande américaine que le Hamas a été accueilli pour créer et maintenir des liens de contact avec les Etats-Unis ». On peut tout à fait conclure que les frères musulmans qui agissent sur aide qatari sont en lien direct avec le Département D’Etat. On peut tirer des conséquences pour l’aile syrienne, tunisienne, libyenne et certainement d’autres. Cela relativise les «printemps». Nous l’avions dit en 2011, nous nous réjouissons qu’enfin les Américains et les Qataris nous apportent la preuve du caractère artificiel et téléguidé depuis Washington, via Doha de tous le processus destructeur.
Quel est le bilan provisoire ?
La population palestinienne paie un lourd tribu pour des jeux de guerres dont elle n’a pas connaissance. Il semble certain que, eu égard au rôle joué par Washington dans cette guerre auprès d’Israël, il n’y aura aucune concession, ni élargissement du cadre de la négociation. Les invités de Washington à Amman le 4 novembre, sont des Etats faibles, trop liés pour leur survie à Washington pour oser ne serait-ce que réfléchir à l’étape d’après.
Certes sur le plan émotionnel, Israël sort affaibli, tout comme les Etats-Unis qui, en raison des révélations quant au rôle du Qatar auprès des frères musulmans, viennent d’enterrer le détestable processus obamien des «Printemps». Les Etats-Unis sont plus que jamais détestés dans la rue arabe, ce qui annonce de mauvaises aventures, on peut le craindre. Mais la détestation n’est pas une sanction internationale.
En Europe, plus aucun pays n’est en capacité de jouer un rôle d’arbitre. Les diplomaties européennes, trop faibles, trop liées à Washington dans la foulée de la guerre en Ukraine, sont dans le camp israélien, sans exception aucune. La France a tourné la page de sa diplomatie moyen-orientale. Signe des temps, pendant l’affrontement à Gaza, le président français était au Kazakhstan pays du gaz, du pétrole et de l’uranium. La France a tourné la page de l’Afrique, du Maghreb, et du Moyen-Orient, hormis bien sur les plus riches des monarchies.
T.B.
Politologue