Par Taoufik Bourgou*
Au » Quo Vadis Domine ? » Il répondit : » Je vais à Rome me faire crucifier. »
Il partit à Ankara et c’est la Tunisie qui se fait crucifier sur l’autel des compromissions secrètes avec la Turquie et avec le gouvernement Sarraj et autres milices infréquentables.
Exclue d’une Conférence internationale majeure à laquelle même le Congo a été convié, la Tunisie dirigée par la paire Ghannouchi-Saïed obtient un aller simple pour un purgatoire diplomatique. Quelle défaite !
On n’attendra pas les cent jours de Monsieur Saïed, ni la formation d’un gouvernement pour tirer les conclusions. Les cent premiers jours de la nouvelle présidence seront d’une médiocrité affligeante, comme l’a été la grosse décade que nous venons de vivre, commémorée sans envie ni entrain le 14 janvier.
Diplomatiquement, nous sommes désormais une « Iyala » turque, les dénégations de Monsieur Ghannouchi, les ridicules explications quant à sa visite sont une insulte à notre intelligence. Le silence énigmatique du président de la République est tout autant intolérable.
Disons-le directement, la venue d’Erdogan semble avoir changé quelque chose dans le statut de notre pays dans le jeu autour de la Libye, dans le monde arabe et dans le contexte géopolitique immédiat du pays. Ce changement a été négocié avec le maître de la Turquie qui a obtenu délégation. Des questions méritent alors d’être posées et méritent réponse.
Sommes-nous dans la même situation que le gouvernement Sarraj ? Autrement dit qui a aliéné la souveraineté du pays dans l’affaire libyenne et pour quelle contrepartie ?
Neuf ans après l’appel à la préservation de la dignité de tout un chacun, c’est l’indignité nationale et collective qui prévaut. Le silence de la présidence de la République sur l’escapade turque de Ghannouchi vaut-il consentement ?
Que pouvait négocier le titulaire du perchoir en dehors de ses prérogatives constitutionnelles ?
Plus fondamentalement : qui dirige la Tunisie aujourd’hui ? Nous ne vivions pas une vacance de pouvoir, nous vivons simplement une confusion des pouvoirs. Quel est le statut exact de Monsieur Ghannouchi qui agit plus en proconsul qu’en simple président d’une assemblée parlementaire ? A-t-il négocié un élargissement de facto de ses prérogatives avec le président de la République ?
En tout cas, le silence présidentiel sur les pérégrinations turques de Ghannouchi vaut consentement ou faiblesse. Nous optons pour la première option. Il y a tout lieu de penser qu’il y a eu coordination, osmose entre Ennahdha et la présidence de la République, entre Monsieur Ghannouchi et Monsieur Saïed. Depuis l’élection présidentielle, bien au-delà de la proximité idéologique, de plus en plus évidente à mesure qu’avance la mandature.
Dans ce cas, les appels du pied d’un Lénine, les affirmations présidentielles sur la réforme des institutions ne sont qu’un leurre, des promesses qui n’engagent que ceux qui seraient suffisamment naïfs pour y croire.
*Professeur à l’Université de Lyon