Par Khélil LAJIMI
Ancien ministre
TUNIS – UNIVERSNEWS Après sa visite éclair de mardi dernier Georgia Méloni, Cheffe du gouvernement italien, revient ce week-end à Tunis. Pour cette seconde visite elle sera accompagnée de Mark Rutte, Chef du
gouvernement néerlandais, et Ursula Von Der Leyen, Présidente de la Commission européenne. Du beau monde. Deux faits anodins, certes passés inaperçus, me semblent fortement liés à ces deux
visites : l’entretien téléphonique de samedi dernier du Président Macron avec le Président Kaies Saied et la déclaration de Paolo Gentiloni, Commissaire européen aux affaires économiques, sur l’enveloppe
d’aide de 900 millions d’euros à la Tunisie.
Que se passe-t-il ?
Pourquoi subitement cet intérêt pour la Tunisie ? Deux raisons essentielles : la première, est l’inquiétude des européens face aux flux migratoires au départ de la Tunisie qui envahissent les côtes italiennes ; la seconde, est le refus du Président de la république de signer l’accord du FMI.
Les partenaires européens de la Tunisie ont une peur bleue d’un afflux massif de migrants avec l’approche de la saison estivale.
D’ailleurs, les ministres de l’intérieur de l’UE viennent de s’accorder sur une politique commune sur l’immigration et le droit d’asile.
D’un autre côté, les partenaires économiques de la Tunisie mettent une très forte pression sur le président de la république pour signer l’accord de prêt de 1,9 milliards de dollars paraphé en octobre 2022.
C’est une réelle opportunité qui se présente à la Tunisie. Espérons que cette fenêtre ne se referme pas rapidement. Il faut en profiter pour obtenir un bon accord pour la Tunisie. Dans la négociation on doit faire des concessions et un bon négociateur prépare à l’avance les concessions qu’il accepte de faire en se fixant des limites acceptables (les lignes rouges). Autre élément important dans ce dossier : il faut savoir que la signature préalable de l’accord avec le FMI est une condition sine qua non pour le déblocage de l’aide économique internationale à la Tunisie.
Même l’Ambassadeur de Chine à Tunis vient de le confirmer dans une récente déclaration.
Que demande le FMI ?
En des termes simples, l’institution de Bretton Woods demande l’application de mesures pour revenir à la stabilité macroéconomique. En effet, la Tunisie vit au-dessus de ses moyens depuis 2011. Nous devons revenir à des niveaux de dépenses courantes qui s’alignent avec nos moyens pour, d’une part,
avoir un niveau d’endettement soutenable et, d’autre part, dégager des moyens budgétaires pour financer la croissance future. Deux postes budgétaires dérapent depuis 2011 : les salaires et les subventions. Ils ont mécaniquement fait doubler la dette publique de 40 à 80% du PIB. Pour les salaires, les accords conclus fin 2022 avec l’UGTT, qui couvrent la période 2023-2025,
remettent les choses dans le bon ordre. Leur trajectoire d’évolution évite tout dérapage.
C’est le numérateur du ratio de la masse salariale. Reste à booster le dénominateur, le PIB, pour retrouver une masse salariale publique de l’ordre de 12% à l’horizon 2026. Et là, il faut rétablir la confiance auprès
des investisseurs sur la base d’un accord win-win. Quelles que soient les mesures et les incitations, la croissance ne redémarrera que si la confiance revient.
En ce qui concerne les subventions, on peut négocier deux choses : un étalement de la levée des subventions énergétiques, d’ailleurs les niveaux de prix du baril pour l’année 2023 sont bien orientés et nous donnent une marge de manœuvre de l’ordre de 2 milliards de dinars ; pour les denrées alimentaires nous devons négocier un appui technique pour mettre en place un système numérique
pour transférer les compensations aux familles nécessiteuses avant d’entamer la levée graduelle des subventions alimentaires.
On évitera ainsi l’erreur de l’annulation brutale de la subvention alimentaire qui a conduit au choc social de 1984.
Demander un Plan de relance
En parallèle à la stabilisation macroéconomique, un plan de relance est nécessaire. Ce plan s’articulera
autour de plusieurs thématiques. A titre indicatif et non exhaustif :
- Réhabiliter les infrastructures scolaires et sanitaires ;
- Mettre à niveau nos réserves hydriques par un entretien approfondi de nos barrages et leur mise en réseaux afin de transférer les excédents hydriques du Nord vers le Centre et le Sud ;
- Le lancement d’un plan solaire avec l’UE ;
- La consolidation de nos ressources en eau potable par l’installation d’unités de dessalement d’eau de mer dans les principales villes côtières ;
- La création de plusieurs pôles industriels spécialisés. Un pôle acier à Menzel-Bourguiba, un pôle papier à Kasserine, un pôle marbrier à Thala.
- Négocier des quotas de régularisation des immigrés tunisiens en situation irrégulière en Europe ;
- Obtenir des quotas d’immigration régulière pour les métiers en tension dans l’espace européen.
Ce sont là les contours d’un accord global qui pourrait être négocié avec nos partenaires économiques et nous remettre sur le chemin de la création de richesses avec des perspectives pour notre jeunesse.
Profitons de cette opportunité avant que la fenêtre ne se referme.