
Tunis, UNIVERSNEWS (Politique) – Entre images-choc, divergences profondes et réalignements géopolitiques, les relations tuniso-américaines entrent-elles dans une phase de malentendu structurel ?
Il est difficile pour tout analyste ou observateur des affaires publiques de rester indifférent face à la grande scène marquante qui a accompagné la rencontre de Massad Boulos, haut conseiller de Donald Trump pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord avec Saïed.
En effet, le président tunisien avec un ton diplomatiquement aigu a brandi une image qui symbolise les souffrances, la famine et le génocide préméditée des gazaouis.
Une image certes choquante pour la conscience humaine, mais dont l’impact a probablement atteint aussi le visiteur américain —non pas nécessairement au niveau de sa sensibilité ou de sa conscience morale, puisque l’attitude émotionnellement froide des administrations américaines successives laisse peu de place aux valeurs et aux sentiments— mais plutôt parce que ce geste constituait une forme de dénonciation claire adressée à Washington. Il s’agissait aussi d’un signal de divergences réelles dans les visions entre Tunis et Washington.
En fait, le président Kaïs Saïed a envoyé un message clair à Washington : la Tunisie n’entend pas s’aligner sans réserve. Ce qui est sûr c’est que derrière ce geste symbolique, se cache un malaise plus profond —une fracture politique qui pourrait redéfinir les rapports entre Tunis et son allié historique.
Depuis plusieurs mois, les relations tuniso-américaines sont marquées par une forme de dualité contradictoire : d’un côté, un renforcement des partenariats sécuritaires et militaires et, de l’autre, un refroidissement clair sur le plan politique, notamment autour des questions des libertés, de la gouvernance et de la souveraineté.
À Tunis, on voit dans les critiques américaines une certaine teinte d’ingérence, que la diplomatie présidentielle rejette fermement. L’accueil réservé à Massad Boulos n’était pas anodin. L’image des souffrances à Gaza affichées sur la photo présentée par le président tunisien n’était pas une simple mise en contexte : elle sonnait comme une accusation politique envers les États-Unis, alliés indéfectibles d’Israël. Une manière aussi pour Saïed de rappeler que la Tunisie entend tracer ses propres lignes rouges, même face à des partenaires puissants.
Ce type de posture n’est pas sans précédent. D’ailleurs 2008, déjà, Zine El-Abidine Ben Ali avait agi avec une grande froideur politique similaire avec Condoleezza Rice. En dénonçant la politique américaine en Irak et à Guantánamo. Quelques mois plus tard, il était chassé du pouvoir. Si les contextes différents, le parallèle historique n’est pas sans écho, à chaque fois que Tunis prend ses distances, Washington reconfigure ses attentes, voire ses pressions.
Ce climat tendu s’inscrit dans une recomposition plus large des équilibres géopolitiques. La visite de Boulos s’inscrivait dans le cadre d’une tournée régionale stratégique incluant les pays du Golfe dont l’objectif consiste à redéfinir les priorités américaines au Maghreb et au Moyen-Orient, à l’aune des enjeux sécuritaires, énergétiques et commerciaux.
Dans cette optique, la Tunisie, tout comme l’Algérie, suscite un intérêt particulier. D’autant que les rapports de Tunis avec Pékin, Moscou et Téhéran s’intensifient —ce qui irrite visiblement Washington.
L’Algérie, elle aussi, semble prête à réajuster sa diplomatie. Certains signaux récents laissent entrevoir un refroidissement de ses relations avec la Russie, interprété par certains comme un clin d’œil en direction des États-Unis.
Quant à la Libye, elle reste au cœur des projections américaines. Elle présente réellement une porte d’entrée vers l’Afrique. Et un potentiel incontournable qui concentre tous les enjeux de la compétition globale. La stabilité libyenne est ainsi devenue un levier stratégique majeur dans la politique américaine en Méditerranée.
Face à cette complexité régionale, la Tunisie peut-elle tenir la ligne de sa politique étrangère indépendante ? Tout choix souverain requiert des moyens, de l’influence, et une cohérence stratégique sur le long terme. L’équation reste entière.