Du jamais vu. Ce qui s’est passé, jeudi 13 juin 2019 au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) restera dans les annales du Palais du Bardo. Jusqu’à 13 heures de cette journée, tout semblait en règle pour les auteurs du projet d’amendement de la loi électorale.
Il faut dire que depuis plusieurs mois, un débat s’est instauré, d’abord, autour du seuil minimum du taux de voix obtenu pour aspirer à l’obtention de sièges, la fourchette dudit seuil variant, selon les parties, entre 3 et 5%. Ensuite sur l’exclusion ou non des anciens RCDistes des comités de dépouillement des bulletins de vote.
Or, ces deux points ont été oubliés et le grand débat tournait, depuis quelques jours, autour d’une nouvelle série de propositions d’amendement de la même loi électorale portant sur quatre points essentiels dont voici les grands traits :
-L’ISIE doit rejeter la candidature de tout en chacun utilise l’argent des associations qui, par définition, n’ont pas le droit de faire de la politique
–L’ISIE doit rejeter la candidature de tout un chacun dispose de son propre média ou use d’œuvre de bienfaisance à des fins politiques
-L’ISIE doit rejeter la candidature de tout un chacun dont le discours fait l’apologie de régime ou de pratiques de dictature.
-L’ISIE doit rejeter la candidature de tout un chacun dont le discours fait l’apologie du terrorisme
Qu’à cela ne tienne ! Ces dispositions à introduire ont soulevé un tollé général à travers les réseaux sociaux, les médias, les partis, exceptés, bien évidemment ceux qui les ont initiées et certains qui s’en sont érigés en défenseurs acharnés. Et encore, car Ennahdha semble avoir sauté sur l’occasion pour faire passer son désir d’imposer le seuil des 5%.
Et jusqu’à jeudi 13 heures, des consensus semblent avoir été trouvés entre les deux ténors, en l’occurrence Ennahdha et Tahya Tounès, pour faire le passage en force. Ce qui a fait dire à Ghazi Chaouachi, secrétaire général d’Attayar démocratique que son parti s’y opposera de toutes ses forces pour la simple raison, notamment, que son parti n’a pas été invité aux discussions sur les clauses du projet d’amendements.
Et la mascarade a démarré dans l’après-midi lors de la plénière, censée être consacrée au débat et au vote des nouvelles dispositions. En effet, des divergences de dernière minute sont apparues entre les deux principales formations au pouvoir. Du coup, la plupart des députés de la « majorité » sont restés en dehors de la Salle des plénières.
On parlait de retouches, de correctifs et autres détails à régler. Mais les tractations se sont éternisées au point que le quorum de 109 élus était rarement atteint, obligeant Abdelfattah Mourou à procéder au comptage des présents à plusieurs reprises. Et on commençait à évoquer des « traitrises » entre les membres des blocs qui se présentaient, au départ, comme alliés solidaires.
D’ailleurs, des membres des partis initiateurs du projet ont dû réclamer une suspension de la plénière pour d’éventuelles consultations, mais à chaque fois la confusion refaisait surface et le blocage a été total au point qu’aucune disposition d’amendement passée au vote n’a recueilli la majorité requise. Même la dénomination du projet de loi d’amendement a été rejetée !
Des observateurs ont parlé de volte-face de certains députés qui se seraient rendu compte qu’ils allaient commettre une bavure monumentale si le projet était adopté. Surtout que tous les spécialistes de droit constitutionnel l’ont qualifié d’inconstitutionnel. Et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, on ne change pas les règles du jeu électoral au cours de la dernière année précédant le scrutin. On ne change pas les règles du jeu en optant, curieusement, pour l’effet rétroactif. On ne change pas les règles du jeu en les faisant tailler sur mesure contre certaines personnes bien déterminées. Et même la durée de rétroactivité a été fixée, arbitrairement à 12 mois avant le scrutin.
Les *véritables visées étaient trop voyantes sans la moindre subtilité. Hsouna Nasfi a beau dire qu’il n’était pas question de débattre des récentes propositions d’amendement, mais que faisait alors, Iyad Dahmani qui distribuait les poignées de mains et les accolades ?
Force est de reconnaître qu’on n’a jamais vu des dispositions de loi aussi subjectives puisque basées sur la lecture et les interprétations que peuvent faire les membres de l’ISIE des déclarations ou des écrits des éventuels candidats. En d’autres termes on voulait faire des procès d’intention à certains candidats, devenus des favoris
C’était tellement voyant que tout le monde, même le commun des citoyens a compris que les initiateurs du projet voulaient barrer la route à Nabil Karoui, Abir Moussi, Olfa Terras et Kaïs Saïed. Ces derniers sont devenus, selon les différents sondages d’opinion récents, trop menaçants pour les partis classiques et leurs leaders, voire des candidats potentiels à la victoire finale des prochaines élections aussi bien législatives que présidentielles !
Sans oublier que des échos parvenant de l’étranger, notamment les démocraties occidentales, font état que leurs gouvernements voient d’un très mauvais œil ledit projet d’amendement. D’ailleurs, plusieurs personnalités ont usé, à maintes reprises, de termes tels «le risque de guerre civile » ou d’une « volonté d’incendier le pays » si jamais le passage en force était maintenu.
En tout état de cause, il s’agit d’un camouflet subi par le gouvernement dans le sens où il a été « désavoué » par l’ARP. Mais La Kasbah acceptera t-il une pareille défaite ou reviendra t-il à la charge ? Dans un cas comme dans l’autre, les rapports de forces sont en train de changer et se seraient même inversés. Irrémédiablement ou provisoirement ? C’est ce que les prochains jours se chargeront de dire…
Noureddine Hlaoui