Par Naoufel Ben Rayana*
Notre débat continue grâce aux contributions des spécialistes et experts économiques et financiers en fournissant leurs idées, leurs visions et leurs conceptions de ce qu’il faut entreprendre lors de l’étape d’après le Covid-19, car il faut penser, d’ores et déjà, à la relance économique…
« L’année 2020 restera dans les annales comme étant « L’Année du Corona ». Elle laissera des traces indélébiles dans la mémoire de l’Humanité et le monde n’est déjà plus le même depuis l’arrivée de la pandémie. La Tunisie n’y échappe pas et les lendemains du COVID-19 risquent d’être douloureux. Néanmoins, des fenêtres de prospérité future s’ouvrent aussi dans plusieurs secteurs et le pays pourrait en bénéficier s’il met ses atouts en œuvre et s’il entreprend les réformes nécessaires.
Le COVID-19 a fait subir un crash-test à toutes les économies du monde. Certains secteurs, comme le tourisme, le transport aérien, l’évènementiel, la restauration, la presse écrite, les industries culturelles, etc. n’ont pas résisté à cette méga-épreuve. En Tunisie, ces secteurs ont été mis KO par le virus et leur relance sera un défi énorme pour le gouvernement. Au chapitre des gagnants potentiels figurent l’industrie agroalimentaire, les services de santé, les TICs et le e-commerce.
Alerté par l’ampleur de la pandémie chez nos voisins du nord, et malgré quelques tâtonnements et les inévitables erreurs dues au caractère inédit de cette catastrophe sanitaire mondiale, le gouvernement tunisien a été plutôt réactif et a joué un rôle de pompier pour préserver d’abord les vies de ses citoyens et pour sauver les meubles de son économie et de son tissu de PME et de petits métiers.
Malgré les limites des finances publiques et l’état de son infrastructure sanitaire, le pays s’en sort plutôt bien et limite la casse au double-niveau social et sanitaire. Toutefois, ce rôle de pompier ne sera pas suffisant pour inverser la tendance et remettre debout l’économie du pays. Le gouvernement et le FMI s’attendent à une régression de -4,3% du PIB du pays. Cela correspond à environ deux semaines d’activité du pays ou à 50% de la production normale de richesses durant un mois d’activité. A notre avis, cela ne restitue pas l’ampleur des dégâts sur l’économie du pays et la facture risque d’être plus lourde !
Plusieurs observateurs et experts se sont exprimés sur le sujet de la relance de l’économie tunisienne après cette épreuve du COVID-19. Il est risqué de s’aventurer dans ce débat avec des projets concrets et des chiffres précis. Toutefois, des préalables à toute entreprise de relance sont nécessaires.
D’abord, il faudrait que les principaux acteurs politiques et économiques (y compris les partenaires sociaux) se mettent d’accord sur le rôle de l’Etat dans la Tunisie de demain. De ce fait, ils devraient s’entendre sur l’étendue de l’Etat-providence, sur le train de vie de l’Etat, sur la place du secteur privé dans l’économie du pays, sur les entreprises publiques, sur la sécurité sociale, sur les dualités éducation publique-éducation privée, santé publique-santé privée, transports-publics-transports privés, etc. Même si les réponses à ces questions semblent évidentes en 2020, d’aucuns sont encore attachés à des dogmes d’une époque révolue.
La vérité est que, même dans les pays les plus libéraux et comme l’a confirmé la crise du COVID-19, un minimum d’Etat-providence est nécessaire. La question est : où doit-on mettre le curseur ? L’essentiel est d’aboutir à un bien-être social à même de rétablir, un tant soit peu, la classe moyenne, véritable moteur économique du pays et véritable socle de la stabilité sociale jusqu’à quelques années en arrière et à sortir des centaines de milliers de tunisiens de la précarité dans laquelle ils se sont trouvés piégés.
Pour ce faire, le pays a besoin aussi bien de son secteur public que de son secteur privé, de tous ses enfants, de toutes ses énergies, de toute sa créativité et de toutes ses régions. Le devoir des gouvernants du pays est de trouver cette combinaison optimale entre Etat et marchés pour aboutir au meilleur résultat social, c’est-à-dire une administration efficace, un climat des affaires propice pour la création des richesses à travers l’investissement, la production et l’exportation. Cette création est un préalable à une redistribution juste des richesses.
On ne peut, en discutant du rôle de l’Etat dans la Tunisie de demain, faire l’impasse sur la gouvernance instaurée dans le pays depuis la constitution de 2014 qui a, de facto, fragmenté les pouvoirs au point de rendre le pays, par moments, ingouvernable. A moyen terme, la Tunisie ne peut pas faire l’économie d’une réforme constitutionnelle. Sinon, l’instabilité politique va resurgir de manière fréquente avec le risque d’affaiblir encore plus l’Etat.
Dans une récente tribune (https://www.tustex.com/economie/covid-19-mesures-economiques-l-arme-fiscale-n-est-pas-la-solution), l’accent a été mis sur la nécessité de secourir en urgence les secteurs sinistrés, tels que le tourisme, le transport aérien et une multitude d’autres activités. Beaucoup de chantiers s’imposent déjà aux gouvernants du pays : la digitalisation (enfin !) de l’administration, le ciblage des bénéficiaires des subventions à travers l’identifiant unique, les investissements dans la santé et les sciences de la vie, dans les infrastructures, dans l’éducation, dans l’e-learning, dans les Fintechs, dans l’Intelligence Artificielle (IA), dans les énergies renouvelables, dans la culture, dans la réindustrialisation de la Tunisie, l’agriculture, le e-commerce, la réforme du secteur bancaire trop fragmenté, etc.
La mise en place de ces projets herculéens nécessite beaucoup de fonds et de la méthode. Ils pourraient constituer les piliers d’un nouveau modèle de développement que nous cherchons depuis une décennie. L’avantage de ces projets, c’est qu’ils ne seront pas à fonds perdus : bien au contraire, ils pourraient être rentables aussi bien socialement qu’économiquement. Ils sont mêmes à haute valeur ajoutée et pourraient nous sortir du modèle d’économie low-cost qui a fait son temps et que nous trainons depuis des décennies.
Il serait judicieux de convier dans les prochaines semaines les acteurs politiques, économiques et sociaux ainsi que l’élite tunisienne (y compris la diaspora) pour discuter de l’après-COVID-19 dans des « Assises de la Relance » afin de valider les choix futurs (priorités, réformes, projets transversaux, projets sectoriels, etc.) dans une logique constructive et ambitieuse pour notre pays.
La Tunisie regorge de talents dans tous les domaines et il est grand temps de leur donner la chance de servir de manière durable leur pays comme ils le font si bien lors de la gestion de la pandémie du COVID-19.
La relance aura un coût important que certains estiment à plusieurs milliards de DT. Mais, elle pourrait aussi être rentable, voire très rentable. Cela ne devrait pas poser un problème de financement, si on est en mesure de « vendre » ces projets de relance à des investisseurs et autres bailleurs de fonds internationaux. La relance pourrait passer aussi par une concrétisation de plusieurs projets de Partenariats Publics Privés (PPP), déjà identifiés et qui ne demandent qu’à être lancés.
Tous ces chantiers exigent un travail énorme pour améliorer le climat des affaires, pour promouvoir la « Destination Tunisie » et pour activer les leviers de la diplomatie économique afin d’attirer à nouveau les investisseurs étrangers, synonymes de créations d’emplois, d’exportations, de créations de richesses, de stabilité sociale et d’amélioration du bien-être.
Au-delà des projets, la relance exige une vision, une stratégie et un leadership à même de donner le ton, à faire des priorités et à fédérer les énergies. La relance n’est pas du rafistolage et du bricolage de mesurettes court-termistes : elle est comparable à l’édification d’un pays après son indépendance ou à sa reconstruction après une guerre. L’Année du Corona vaut bien une relance ambitieuse ! ».
*Fondateur de médias économiques et Enseignant Universitaire