Tawfik BOURGOU*
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Pékin ne viendrait à Tunis que si Washington franchissait le «Rubicon» en s’engageant directement et ouvertement auprès de Taipeh
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La Tunisie a perdu son attractivité depuis 2011 et la seule motivation d’intervention européenne, c’est d’éviter l’effondrement du pays et les vagues migratoires
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Ennahdha au pouvoir avait un double objectif : elle ambitionnait d’installer une nouvelle classe mercantile qui regarde plus vers Istanbul que Berlin ou Paris
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Le Fonds qatari avec lequel les frères musulmans nahdhawistes ont signé l’accord de vente de la Tunisie actuelle et à venir à ce micro Etat, appartient à l’Emir Tamim.
TUNIS – UNIVERSNEWS Il y a environ un an, dans ce même journal nous avions souligné l’absence d’un plan « B » pour la Tunisie et montré à l’époque qu’à défaut d’un « capital » national ou de ressources nationales, le pays devait se diriger vers la recherche d’une solution alternative à ce qui a été refusé par « idéologie », à savoir le recours au FMI. Malgré le désaccord total avec la décision on peut entendre les arguments même si nous savons d’avance que ce recours sera en dernier ressort mis en œuvre.
Pour rappel et afin de souligner les choses une seconde fois, le FMI ne s’impose à personne, qu’il n’oblige aucun Etat à avoir recours à son concours. Le FMI active son aide sur demande des Etats et sous conditions. Il est nécessaire de souligner ce point car nombre d’analyses sont fausses et complotistes. Non, le FMI n’est pas une structure par laquelle s’immiscent des structures et des officines. Le FMI n’est qu’une institution financière. L’autre bêtise lue et relue, affirme que les pays pauvres ou ceux qui sont mal gérés sont les victimes expiatoires du FMI. En réalité ils ne sont victimes que de leurs propres turpitudes, de la corruption de leurs élites et de leur incapacité à se gouverner. Mais comme le dit l’adage juridique, nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes en accusant le FMI et les autres de ses propres maux. Si la Tunisie en est arrivée à ce stade c’est à cause des errements de ses dirigeants depuis 2011, de ses chefs de gouvernements issus des assemblées révolutionnaires comme ils se plaisaient à se définir. Heureusement que le ridicule ne tue pas !
Ce sont les incompétences, les dogmatismes, les corruptions et les inconséquences qui envoient les pays en enfer et non les institutions financières internationales.
Ces dernières semaines, ces derniers jours, une simple observation de l’activité gouvernementale localement et à l’étranger montre que la Tunisie est arrivée au bout de l’hypothèse du non-recours à une aide internationale massive, conséquente et surtout salvatrice de la dernière chance.
Sans être désobligeants à l’égard de personne, la tournée du premier ministre à Davos fut anecdotique. L’honnêteté intellectuelle nous impose de dire que la Tunisie est passée de mode. Pour le « monde riche » l’urgence est en Ukraine et il faut le dire, la Tunisie a donné des signaux contradictoires. Courtiser la Chine et le fameux « sud global » qui n’est pas plus riche que la Tunisie, en ayant refusé le FMI est un pas de danse très peu apprécié au sommet de Davos.
Bien avant Davos, la Tunisie s’est tournée vers la Chine, mais sans un réel succès. La Chine avait d’ailleurs conseillé à la Tunisie d’avoir recours au FMI et ce depuis plus d’un an et demi. L’Empire du Milieu est un pays capitaliste comme les autres, il ne s’engage que lorsqu’il estime que les garanties présentées sont suffisantes pour que la Chine puisse dégager un profit de son engagement. La solidarité sud-sud est un simple slogan à Pékin. La Chine ne prête qu’aux riches et aux pays solvables. Les autres ne l’intéressent pas.
Mieux que cela, en plein bras de fer avec Washington à propos de Taiwan, Pékin ne viendrait à Tunis que si Washington franchissait le «Rubicon» en s’engageant directement et ouvertement auprès de Taipeh.
Quant aux pays européens et l’Union Européenne plus spécialement, ils semblent avoir tourné la page tunisienne. Au Maghreb, le Maroc est l’unique « focus » des pays européens et de l’UE, sinon, c’est l’Ukraine qui est la préoccupation principale et unique de l’Europe. Au-delà des questions guerrières, l’intérêt européen pour l’Ukraine s’explique par les atouts futurs de ce pays : agriculture, terres céréalières, industries militaires, capacités de progression, verrou stratégique à l’est et surtout la culture commune avec un futur membre de l’OTAN et de l’UE. Pour l’UE, hormis les questions de l’immigration clandestine et du terrorisme, le Maghreb ne présente plus aucun intérêt, même l’Algérie et la Libye avec leurs gaz et pétrole.
La Tunisie quant à elle, a perdu son attractivité depuis 2011 et ne présente plus un intérêt économique de premier ordre. La seule motivation d’intervention européenne, c’est d’éviter l’effondrement du pays et les vagues migratoires. C’est lapidaire, mais l’honnêteté invite à le souligner.
Ce statut peu enviable de la Tunisie n’est que la conséquence des choix politiques faits depuis 2011. Le prix payé pour s’être livrée aux frères musulmans supplétifs de Washington, à la Turquie et au Qatar est exorbitant. Cet alignement sur l’axe frériste islamiste washingtonien a eu pour conséquence d’expulser les anciens partenaires économiques de la Tunisie, hors du pays. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur environ 5000 entreprises entièrement exportatrices avant 2011, vers l’Europe principalement, 3000 ont mis la clé sous la porte et d’autres ont quitté la Tunisie, principalement vers le Maroc. Le pays a perdu quasiment toute son attractivité pour les investisseurs. Le marketing de la révolution, de la pauvreté et de la mendicité est le plus puissant répulsif pour les investisseurs.
En 2011 la Tunisie s’est tournée vers la Turquie dans le cadre de ce qu’on pourrait appeler une «économie de bazar», des produits low-cost, de qualité médiocre, importés frauduleusement pour certains, qui ont tout simplement tué l’industrie nationale. L’objectif d’un tel dumping était politique. Ennahdha au pouvoir avait un double objectif : en tuant l’industrie nationale, elle ambitionnait d’installer une nouvelle classe mercantile qui regarde plus vers Istanbul que Berlin ou Paris.
Sur ordre d’Ankara, le parti frère musulman participait aussi à la guerre économique que menait Ankara contre Paris et en partie contre l’Union Européenne. La démolition de son patrimoine industriel, a fait de la Tunisie une immense friche. Il n’a jamais été compensé par un quelconque investissement turc comme se plaisait à le raconter Ghannouchi à pleine gorge. En fait, son mentor Erdogan n’avait absolument pas l’intention d’investir en Tunisie. Il s’est contenté de récupérer les capacités du pays, alimenter sa contrebande et récupérer son tourisme interne.
La troisième désillusion a été de se tourner épisodiquement vers l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unies. Là aussi, la faute diplomatique et même géo-économique est manifeste. Le seul pays du Maghreb sur lequel ont misé saoudiens et émiraties c’est le Maroc. Financièrement et politiquement, les Saoudiens et les Emiraties ne pourront pas dédoubler leurs intérêts, car le Maroc offre plus de garanties de stabilité, d’attractivité et d’arrimage à un pôle moteur : l’Union Européenne ce qui n’est plus le cas de la Tunisie.
Dernière illusion, combien dangereuse et même mortelle pour la Tunisie, c’est le retour du Qatar dans le jeu tunisien. Rappelons juste que l’Emirat du Qatar a été un des acteurs de la démolition de la Tunisie, économiquement et surtout sécuritairement par le financement des réseaux terroristes via les associations et les ONG et via le centre de Qaradhawi implanté à Tunis. Les ingérences du Qatar en Tunisie auraient dû susciter une réaction vigoureuse du pays. Il n’en fut rien.
L’accord signé par le nahdhawiste frère musulman Zied Laadhari avec le Qatar n’est pas moins qu’une recolonisation de la Tunisie. Disons-le, cet accord avec le Qatar est pire que le traité du Bardo et de la Marsa de 1881.
Expliquons les choses afin que ce soit noté pour l’histoire et pour la patrie.
D’abord un point central : les finances du Qatar, les finances de l’Etat Qatari, si tenté qu’il puisse exister en dehors de la personne de son Emir, sont la caisse personnelle, individuelle du l’Emir lui-même. Le Qatar est la propriété individuelle de son Emir. Quand l’Emirat prétend agir dans un pays via une caisse, un fond, une banque ou même une simple équipe de football, c’est l’Emir du Qatar qui agit. Il est le détenteur unique et final de tout. Ses sujets n’ont absolument aucun droit sur les engagements du Qatar qui sont les engagements personnels de l’Emir. Le Fonds qatari avec lequel les frères musulmans nahdhawistes ont signé l’accord de vente de la Tunisie actuelle et à venir à ce micro Etat, appartient à l’Emir Tamim.
Donc prétendre qu’il ne s’agit que d’une structure sans lien avec le pouvoir du Qatar, comme nous avons pu le lire ici et là est faux. Avant d’aller dans le fond de l’accord lui-même, il faut réaffirmer clairement que le Fonds de développement du Qatar est une structure de gestion en lien direct avec l’Emir. Si nous étions en gestion privée, ce fond serait un trust de gestion d’une fortune.
Par l’accord que nous avons eu en main, ce fonds prendra possession du pays et qui automatiquement, serait sous le contrôle d’une tierce partie : l’Emir du Qatar. Autrement dit, eu égard aux privilèges exorbitants accordés par les islamistes d’Ennahdha au Qatar, ce fonds devient maitre et possesseur de la Tunisie, intégralement, au-delà de ce qui fut accordé au protectorat français en 1881.
Nous devenons de facto une excroissance du cabinet de l’Emir. Ce que nous refusons et nous refuserons toujours.
Quant au fond technique de l’accord, il s’agit d’une honte nationale pour laquelle l’ensemble du parti islamiste devrait être traduit devant les tribunaux compétents. Si on devait chercher une définition au mot trahison, nul besoin de chercher dans un dictionnaire, il suffit de lire ce funeste accord et ses clauses léonines. Songeons juste qu’un Etat, la Tunisie en l’occurrence, accorde à un simple service, à un trust personnel, la possibilité d’intervenir dans tous les domaines dans le pays sans limitation de temps, de plafonds, de domaines, de disposer d’immunités qu’on n’accorde qu’à une puissance occupante qui peut même s’arroger le droit d’importer une main d’œuvre étrangère, de disposer des terres agricoles dans un pays au bord de la famine.
Dans l’accord, le trust émirien ne donne absolument aucune indication sur ce qu’il projette de faire en Tunisie. Les rares formules sont vagues et imprécises. Même pour une personne compétente dans les «projets complexes» (ce que nous avons enseigné durant plus de quinze ans), l’accord semble avoir été rédigé par un qatari, pour des qataris et Zied Laadhari a eu juste l’ordre d’engager la Tunisie dans une hypothèque qui détruira le pays à très brève échéance.
Cet accord est la preuve du pire cynisme de certains pays du Golfe, en l’espèce, c’est une simple recolonisation.
Etranglée par sa situation la Tunisie semble vouloir exhumer ce dangereux accord qui signifie sa simple recolonisation sans aucun espoir de gains, d’investissements et d’emplois pour ses enfants. Faut-il se livrer à ce danger mortel juste pour ne pas aller devant le FMI ? Non, car une fois la signature de cet accord acquise, le Qatar peut soumettre la Tunisie à une pression particulière, y compris en matière fiscale. Songeons juste au diktat fiscal imposé par le Qatar à la France, 5e puissance mondiale, obligée de se plier à des dérogations indues au profit d’un micro-Etat.
S’engager dans cette voie signifie la fin de la Tunisie, purement et simplement. Il fallait le dire, l’écrire et le souligner, pour l’histoire et pour la Patrie.
T.B.
* Politologue
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