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Il est impossible de passer outre la prestation de serment et le décret présidentiel de nomination
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En l’absence de la Cour constitutionnelle, il faut faire preuve de sagesse et de bon sens
Au moment où la polémique bat son plein concernant l’obligation ou non pour les ministres faisant partie du dernier remaniement de prêter serment devant le président de la République, les avis sont partagés.
Pour contribuer à enrichir le débat, notre journal Univers News a invité l’éminent juriste et ancien ministre de la Justice, Ghazi Jeribi, à fournir son avis sur la question. Cédons-lui la parole :
« La section 2 du chapitre 4 de la Constitution, intitulée « Du gouvernement », ne concerne pas exclusivement la composition du premier gouvernement à la suite des élections, mais concerne aussi les différents remaniements ministériels intervenant ultérieurement. Autrement, la section 2 sus-indiquée aurait été intitulée « De la constitution du premier gouvernement « . Par conséquent :
-le paragraphe 1er de l’article 89 concerne la composition du gouvernement en général, aussi bien à la suite d’une élection que lors d’un remaniement, et ce conformément au principe général de droit qu’il ne faut point distinguer là où la loi n’a pas distingué « .
-Ce principe s’applique également au dernier paragraphe (paragraphe 6) de l’article 89 de la Constitution, relatif au serment que doivent prêter les membres du gouvernement devant le président de la République, puisque ses dispositions sont générales et nullement réservées aux membres du premier gouvernement. En conséquence, les nouveaux membres du gouvernement nommés à la suite d’un remaniement ministériel doivent obligatoirement prêter serment et accomplir cette formalité substantielle.
Soutenir la thèse contraire pour dire que l’article 89 concerne exclusivement le cas de la constitution du premier gouvernement, écartant ainsi les remaniements ministériels de son champ d’application, conduirait à des bizarreries juridiques, notamment ce qui suit :
-Le chef du gouvernement ne serait plus tenu par les dispositions du paragraphe 1er de l’article 89 relatif à la composition du gouvernement, ceci implique qu’il pourrait le cas échéant, former un gouvernement composé uniquement de secrétaires d’Etat.
Il serait aussi dispensé de se concerter avec le président de la République avant de choisir les ministres des Affaires étrangères et de la Défense.
Le gouvernement serait composé de ministres ayant prêté serment devant le président de la République et d’autres dispensés de cette formalité substantielle.
-Le même gouvernement comprendrait des ministres nommés par décret présidentiel et d’autres exerçant leurs fonctions sans acte de nomination. En effet, si nous admettons dans certains cas précis, que la compétence pourrait découler de l’application du principe du parallélisme des formes, elle ne peut jamais être attribuée sans fondement juridique clair et précis ou d’une manière arbitraire.
-Aussi, il importe de préciser que la théorie des formalités impossibles, qui permet dans certaines circonstances de fait ou de droit, à l’autorité investie du pouvoir décisionnel de passer outre une formalité substantielle, impossible à accomplir, cette théorie ne peut guère s’appliquer à la décision elle-même.
L’article 31 de la loi numéro 46 du 1er août 2018, conditionne l’entrée en fonction des ministres, à l’accomplissement de la déclaration sur les biens et les intérêts, auprès de l’INLUCC, cependant cette formalité ne peut-être accomplie qu’après avoir obtenu la qualité qui est tributaire de la publication du décret de nomination.
-l’article 88 de la Constitution est impossible à mettre en œuvre juridiquement, puisque l’institution investie du pouvoir décisionnel, et seule habilitée à prononcer la destitution n’est toujours pas constituée.
Même si nous considérons sans équivoque, que la compétence du président de la République, aussi bien pour la nomination des membres du gouvernement, que leur invitation à prêter serment devant lui, appartient à la catégorie juridique de la compétence liée, nous affirmons toutefois, qu’en l’absence de la Cour Constitutionnelle, seule habilitée à trancher ce genre de litiges, il n’y a point d’issue à cette crise, en dehors du recours au dialogue et à la raison. Notre devoir à tous consiste à dépassionner le débat pour faire prévaloir l’intérêt suprême de notre patrie ».