Dans le billet économique du mois de juin 2021 publié par l’intermédiaire en Bourse MAC SA, l’économiste Moez Labidi, a dressé une liste de leçons à tirer pour que l’économie tunisienne ne risque pas de sombrer dans une crise à la libanaise.
De prime abord, en se posant la question suivante: « La Tunisie risque-t-elle de sombrer dans une crise à la libanaise ? », M. Labidi a affirmé qu’étant donnée la complexité des deux expériences tunisienne et libanaise, la réponse à cette question dépend des origines et de la profondeur de la crise financière, des politiques publiques mises en place depuis plusieurs années, du positionnement géostratégique, de la qualité de la gouvernance institutionnelle et économique, de l’importance des forces de résistance aux réformes structurelles, de la résilience du secteur bancaire,….
Pour donner des éléments de réponse à cette question, l’économiste a distingué, dans son analyse, les points de convergence et de divergence entre les deux économies, pour pouvoir livrer au final des leçons pour l’économie tunisienne.
Quelles leçons pour l’économie tunisienne ?
Plusieurs leçons peuvent être tirées de la crise financière libanaise pour que l’économise tunisienne ne risque pas de sombrer dans une telle crise, selon Moez Labidi.
Il s’agit de la consolidation d’un Etat démocratique reposé sur une économie résiliente et inclusive. « Une économie en crise, est une démocratie sous stress permanent. Les seuls Etats-démocratiques du monde arabe, le Liban et la Tunisie, sont frappés par une crise économique sans précédent. Du coup, le blocage des réformes économiques s’avère déstabilisant pour l’expérience démocratique », explique-t-il.
Ainsi, la bipolarisation qui gagne du terrain dans le paysage politique et son corollaire de discours de haine et de diabolisation de l’adversaire politique, pourrait prendre de l’ampleur et devenir menaçante pour l’économie et l’édifice démocratique. « Car une telle bipolarisation, en présence d’un Etat faible, finira par pousser les forces politiques antagonistes à chercher du renfort en dehors du pays, ouvrant ainsi la porte à la mainmise étrangère dans la gouvernance locale », a-t-il indiqué.
En outre, un Etat faible ne pourrait pas réussir l’exercice d’implémentation des réformes. « Tant que le déficit de confiance, d’audace et de crédibilité frappent les institutions de l’Etat, et tant que l’économie de rente gangrène le pays, il est difficile que la culture de la réforme puisse arracher la place qu’elle mérite dans les politiques publiques », affirme-t-il.
Et d’ajouter, dans le même sillage, qu’une économie qui repose sur le secteur des services est une économie très fragile, et la diversification sectorielle consolide les fondamentaux et amortit les chocs, expliquant que « les autorités tunisiennes devraient, en même temps, stopper le processus de désindustrialisation qui gagne du terrain dans le monde des affaires, comme en témoigne le tsunami des contrats de franchise, et définir une vraie politique industrielle ».
Par ailleurs, la porte d’entrée de toute dynamique de réformes structurelles dans une économie est l’assainissement des finances publiques. En ce sens, M. Labidi a souligné que « le rétrécissement de l’espace budgétaire bloque les réformes et plonge l’économie dans les méandres de l’insoutenabilité de la dette et son cortège de dégradation du rating souverain et d’assèchement des sources de financement concessionnelles ».
Toujours parmi les leçons qui peuvent être tirées, le billet économique de MAC SA a cité l’efficacité de l’exercice de consolidation budgétaire qui demeure conditionnée par la bonne gouvernance des institutions de la République et par la résilience du secteur financier. « Le déficit de confiance et de crédibilité du décideur bloque le processus des réformes, d’une part. La fragilité du secteur financier grippe les canaux de transmission de la politique monétaire, freine le retour de la croissance et amplifie les chocs économiques et financiers, d’autre part », a souligné Moez Labidi.
Et de préciser que la signature d’un accord avec le FMI doit être conçue comme une première phase dans un programme complet de réformes structurelles. « Un accord souvent ramené par les autorités locales à un exercice de cadrage budgétaire d’un mauvais goût sur le plan social. Le rôle du gouvernement est déterminant pour dépasser cette approche comptable avec le bon dosage des réformes tout en intégrant les composantes sociale et politique dans l’agenda de leur mise en œuvre. Ainsi, avec l’inscription de la phase de consolidation budgétaire dans une dynamique de réforme structurelle de moyen et long terme, permettant le changement du modèle de développement ».
En effet, la sortie de crise suppose une rupture avec le courant populiste et ses « tubes historiques ». En ce sens, l’économiste a déclaré que « l’heure est plutôt à une approche pragmatique, qui pourrait amener le décideur à prendre des mesures restrictives provisoires sur certains produits sans sombrer dans le protectionnisme, et qui pourrait conduire la BCT à soutenir le budget de l’Etat et à recourir à des mécanismes innovants, et ce, afin d’enrichir sa boite à outils non conventionnelle pour soutenir des secteurs sinistrés, sans perdre un iota de sa crédibilité ».
Pour finir, la dernière leçon mentionnée dans ce billet économique concerne l’assouplissement de la réglementation du change qui devrait atterrir dans une économie résiliente, diversifiée et dynamique. « La prudence adoptée par la BCT, sur certains aspects de la réglementation de change est justifiée dans un contexte d’insoutenabilité de la dette. L’expérience libanaise a montré que les dommages collatéraux du phénomène de la dollarisation de l’économie sont énormes », conclut l’économiste.
M.N.