
- Un déficit alarmant qui prête à équivoque et donne matière à réflexion… Faut-il taxer pour rééquilibrer ?
- La relation commerciale entre Tunis et Pékin se caractérise depuis plusieurs années par une asymétrie croissante !!!
- Le déficit commercial avec la Chine est particulièrement préoccupant, contribuant significativement à l’aggravation du déficit total.
- Une piste et une petite porte de sortie: la taxation sélective des produits chinois à faible valeur ajoutée
- Dans un contexte où la Tunisie subit les effets d’un ralentissement global, repenser les fondements de son commerce extérieur devient plus que jamais une urgence.
Tunis, UNIVERSNEWS (SEF) – A fin novembre 2024, la Tunisie a enregistré un déficit commercial record de 8,17 Milliards de dinars avec la Chine, selon les données de l’Institut National de la Statistique (INS). Ce déséquilibre représente près de 43 % du déficit commercial global du pays, traduisant une relation commerciale déséquilibrée, dominée par une vague d’importations massives, et très peu d’exportations en retour.
- Un déséquilibre structurel et croissant
La relation commerciale entre Tunis et Pékin se caractérise depuis plusieurs années par une asymétrie croissante. D’un côté, la Chine alimente massivement le marché tunisien en biens d’équipement, produits électroménagers, matériaux de construction, pièces détachées et textile à bas coût. De l’autre, la Tunisie peine à exporter au-delà de quelques cargaisons de phosphate ou d’huile d’olive.
Fin novembre 2024, les importations en provenance de Chine ont explosé, dopées par la demande des distributeurs, du BTP et des ménages, alors même que les exportations tunisiennes vers la Chine restent marginales, inférieures à 1 % du total exporté.
- Une menace pour la souveraineté économique
Ce déficit n’est pas simplement une statistique. Il traduit une perte d’autonomie stratégique et une vulnérabilité croissante vis-à-vis d’une économie dominante. Il accentue la pression sur les réserves en devises, pèse sur le compte courant, et limite les marges de manœuvre de la politique monétaire de la Banque Centrale.
Il fragilise également des pans entiers du tissu productif national, soumis à une concurrence déloyale, souvent au détriment de la qualité, de l’emploi et de la durabilité des produits importés.
Face à l’ampleur du déficit, l’heure est à la réflexion sur des mesures correctives. Une des pistes proposées par plusieurs économistes et préconisée indirectement par la Banque Centrale consiste à instaurer une taxe ciblée sur certains produits importés de Chine, selon des critères précis :

- Objectifs d’une telle taxation :
- Réduire la demande de produits importés non essentiels,
- Encourager la substitution par des produits locaux,
- Créer un levier fiscal pour soutenir les industries locales,
- Alléger la pression sur le déficit courant
Cette taxe ne viserait ni les machines industrielles ni les intrants essentiels à la production, afin de ne pas freiner l’investissement. Elle serait accompagnée d’un mécanisme de soutien à l’investissement productif national, notamment dans les secteurs qui souffrent de la concurrence chinoise.
- Ce que font les autres
La Tunisie n’est pas seule à faire face à un déficit structurel avec la Chine. De nombreux pays émergents ou en développement, confrontés à des situations similaires de dépendance commerciale, ont adopté des mesures tarifaires ciblées, souvent dans le respect de leurs engagements à l’OMC.
Ces expériences internationales montrent qu’il est possible d’agir sur le levier fiscal pour défendre la production locale sans pour autant sombrer dans le protectionnisme généralisé.
- Le Maroc : riposte ciblée sur l’acier chinois
Confronté à une surabondance d’importations d’acier chinois à bas prix, menaçant directement son industrie sidérurgique locale, le Maroc a imposé en 2020 des droits antidumping sur certains produits sidérurgiques chinois, notamment les barres d’armature et le fil machine.
Objectif : protéger la SNIM et SONASID, deux piliers industriels du pays, contre des pratiques de prix jugées déloyales. Cette mesure, renouvelée depuis, a permis un ralentissement significatif des importations concernées, sans bloquer l’accès aux intrants essentiels.
- L’Égypte : surtaxe sur l’électronique et recentrage productif
L’Égypte a instauré en 2021 une surtaxe de 5 à 20 % sur une série de produits électroniques non essentiels importés de Chine, tels que les téléviseurs, les équipements audios et les accessoires connectés.
Cette politique s’inscrivait dans une stratégie de recentrage productif, visant à relocaliser l’assemblage de produits électroniques simples sur le territoire national, tout en protégeant la balance des paiements. Des exonérations ont été maintenues pour les composants destinés aux unités de montage local.
- L’Inde : l’approche structurée de « Make in India »
L’Inde combine des mesures tarifaires temporaires avec une politique industrielle active.
Depuis 2014, la campagne « Make in India » a ciblé plusieurs secteurs vulnérables à la concurrence chinoise, notamment :
- Les jouets et articles de fête (droits d’importation passés de 20 à 60 %),
- Le textile bas de gamme,
- Les équipements de télécommunications.
L’Inde impose également des certifications de conformité renforcées, exigeant que certains produits chinois respectent des normes techniques locales plus strictes, freinant ainsi les importations sans recourir explicitement à des quotas.
- Le Brésil : protection de l’industrie locale par des barrières non tarifaires
Le Brésil, confronté à l’afflux massif de produits chinois dans les secteurs du textile, de la céramique et de l’acier, a eu recours à des droits antidumping et à des licences d’importation restrictives.
Par exemple, en 2022, des droits compensateurs ont été appliqués sur les céramiques et carreaux muraux chinois, jugés destructeurs pour la production locale du sud du Brésil.
Le pays applique aussi des mesures de vérification douanière systématique sur certaines marchandises chinoises, allongeant ainsi les délais d’entrée sans enfreindre les règles de l’OMC.
- La Turquie : recours systématique aux droits antidumping
La Turquie figure parmi les pays qui utilisent le plus fréquemment les instruments de défense commerciale face à la Chine. Elle applique des droits antidumping sur :
- Les chaussures,
- Les produits sidérurgiques,
- Les panneaux solaires,
- Le textile bas de gamme.
En parallèle, Ankara a développé une politique de préférence locale dans les marchés publics, favorisant les entreprises turques dans les appels d’offres. Ces mesures ont permis à la Turquie de maintenir un tissu industriel compétitif, notamment dans le textile et l’électroménager.
- L’Indonésie : quotas et exigences de contenu local
L’Indonésie a adopté une stratégie offensive fondée sur l’imposition de quotas d’importation dans certains secteurs jugés sensibles, comme les produits électroniques de grande consommation et les équipements solaires.
Elle impose également des conditions strictes de contenu local pour les investisseurs étrangers, y compris les entreprises chinoises, les obligeant à intégrer une part croissante de production locale (30 à 40 %).
- L’Afrique du Sud : protection de la sidérurgie et de la manufacture légère
Face à la désindustrialisation accélérée provoquée par les importations chinoises, l’Afrique du Sud a instauré :
- Des droits antidumping sur plusieurs produits métallurgiques,
- Des subventions ciblées pour les PME manufacturières locales,
- Et des campagnes « Buy South African » destinées à stimuler la consommation intérieure des produits locaux dans les chaînes de distribution.
- Leçons pour la Tunisie
Les exemples du Maroc, Égypte, Inde, Brésil, Turquie, Indonésie et Afrique du Sud montrent que:
- Il est possible de protéger les secteurs les plus exposés sans violer les accords commerciaux internationaux.
- La taxation ciblée, les barrières techniques et les instruments douaniers sont des leviers utilisés dans le monde entier.
Ces actions sont souvent temporaires, le temps de relancer une offre nationale compétitive.
La Tunisie peut s’inspirer de ces stratégies pour défendre ses intérêts économiques, tout en respectant les engagements commerciaux internationaux.
- Une stratégie globale à construire
Cette mesure tarifaire doit cependant s’intégrer dans une stratégie plus large, incluant :
- La promotion de l’offre exportable tunisienne vers la Chine,
- L’attractivité de l’investissement étranger productif, notamment dans des secteurs de substitution,
- La réforme du système fiscal et douanier, pour rétablir une compétitivité locale.
- Conclusion
Taxer certains produits importés de Chine ne doit pas être vu comme une fermeture protectionniste, mais comme un acte stratégique temporaire pour restaurer un minimum d’équilibre, protéger la production nationale et préserver la souveraineté économique.
Dans un contexte où la Tunisie subit les effets d’un ralentissement global, repenser les fondements de son commerce extérieur devient plus que jamais une urgence.