
- La circulaire 2025-08 consacre une montée en maturité du système réglementaire tunisien, en étendant l’utilisation du SNI à des fins comptables, prudentielles et stratégiques.
- Un glissement d’une logique de réaction vers une logique d’anticipation qui modifie profondément les approches de gestion des risques, de tarification des crédits et de gouvernance bancaire.
- Le message est clair : la réforme n’est pas une option, elle est une exigence
- La réforme prolonge une dynamique engagée depuis près d’une décennie, initiée par la circulaire 2016-06 qui posait les fondations du SNI
- Plus qu’un simple alignement sur les standards internationaux, ces réformes traduisent la volonté de renforcer la résilience du secteur bancaire tunisien.
TUNIS-UNIVERSNEWS La Banque Centrale de Tunisie vient de publier la circulaire n°2025-08, marquant une étape décisive dans l’alignement du secteur bancaire tunisien sur les standards internationaux. Cette nouvelle directive impose aux banques et établissements financiers (hors établissements de paiement) de mettre en œuvre un plan stratégique pour intégrer trois composantes majeures : les normes IFRS 9, la révision des règles de classification et de provisionnement des expositions, et les nouvelles normes de fonds propres.
Mais cette réforme ne surgit pas dans un vide réglementaire. Elle prolonge une dynamique engagée depuis près d’une décennie, initiée par la circulaire 2016-06 qui posait les fondations du Système de Notation Interne (SNI), outil de mesure du risque de défaut basé sur les standards de Bâle II.
Rappel des concepts clés
- Système de Notation Interne (SNI) : Dispositif interne d’évaluation du risque de crédit des contreparties. Il repose sur des critères quantitatifs et qualitatifs permettant de les classer selon leur probabilité de défaut (PD). Le SNI est un prérequis à l’approche IRB (Internal Ratings-Based) des accords de Bâle.
- Expected Credit Loss (ECL) : Pertes de crédit attendues. Concept introduit par la norme IFRS 9, il repose sur une approche prospective qui anticipe les pertes sur une période donnée en tenant compte de la probabilité de défaut, de l’exposition au défaut (EAD) et du taux de perte en cas de défaut (LGD).
- Gouvernance des données : Ensemble des processus, rôles et contrôles visant à garantir la qualité, l’intégrité, la sécurité, la traçabilité et la conformité des données utilisées dans les processus prudentiels et comptables.
Un changement de paradigme réglementaire
Ces nouvelles exigences s’inscrivent dans la continuité des réformes enclenchées par la circulaire n°2016-06, relative au système de notation interne (SNI) des contreparties. Là où le SNI visait à évaluer finement la probabilité de défaut, la réforme actuelle introduit un élargissement du prisme: il ne s’agit plus uniquement d’estimer le risque, mais de le provisionner de manière prospective, via le calcul des Expected Credit Losses (ECL).
Ce glissement d’une logique de réaction vers une logique d’anticipation modifie profondément les approches de gestion des risques, de tarification des crédits et de gouvernance bancaire.
(Une progression logique entre deux circulaires)
Tableau
En somme, la circulaire 2025-08 consacre une montée en maturité du système réglementaire tunisien, en étendant l’utilisation du SNI à des fins comptables, prudentielles et stratégiques.
Les banques tunisiennes sont-elles prêtes ?
Entre exigences techniques et maturité organisationnelle, la question se pose : les banques tunisiennes sont-elles prêtes ?
La réponse, bien que nuancée, met en lumière plusieurs défis structurels à surmonter. Trois niveaux de transformation sont requis :
- Technologiques, d’abord. Les modèles de calcul ECL reposent sur des volumes massifs de données historiques, des scénarios macroéconomiques complexes et des processus de validation rigoureux. Or, la fragmentation des systèmes d’information reste une faiblesse structurelle chez plusieurs acteurs du marché.
- Organisationnels, ensuite. La mise en place d’une gouvernance des données, avec un Chief Data Officer et un dispositif transversal de contrôle, demande une maturité institutionnelle encore en construction dans de nombreuses banques.
- Culturels, enfin. Le changement de posture – passer de la gestion comptable des risques à une vision analytique, modélisée, documentée et anticipative – suppose une transformation des mentalités, tant au niveau des lignes métiers que des organes de gouvernance.
Si certaines grandes banques sont déjà engagées dans cette trajectoire, d’autres peinent à structurer leur feuille de route.
Une réforme nécessaire, un temps compté !!!
La BCT impose un délai de trois mois pour la transmission des plans stratégiques. Cette rigueur est salutaire, mais elle met en lumière la pression réglementaire et la nécessité d’une mobilisation rapide et structurée.
Le message est clair : la réforme n’est pas une option, elle est une exigence.
Conclusion – Un virage prudentiel structurant
De la notation interne (2016) au provisionnement prospectif (2025), le cadre normatif tunisien s’est étoffé, complexifié, mais aussi professionnalisé. Il offre aux banques les outils pour mieux anticiper les risques, renforcer leur solidité et gagner en crédibilité face aux investisseurs et aux régulateurs internationaux.
Plus qu’un simple alignement sur les standards internationaux, ces réformes traduisent la volonté de renforcer la résilience du secteur bancaire tunisien. Toutefois, leur réussite dépendra de la capacité des banques à investir dans les fondamentaux du pilotage des risques : données fiables, systèmes intégrés, ressources qualifiées et culture de conformité.
La question reste entière : le secteur financier tunisien est-il prêt ? Peut-être pas totalement. Mais il n’a désormais plus le choix !!!
Reste une question, plus stratégique que technique : Le secteur financier tunisien saura-t-il franchir ce cap avec agilité et rigueur ? La feuille de route est là. La capacité à l’exécuter reste le véritable enjeu !!!