Monsieur le Président, si ce n’était pas une question de vie ou de mort, de chômage ou de travail, de faillite ou d’opulence je vous aurais évité ces quelques lignes (au cas où vous les liriez) vous qui avez le pouvoir de changer bien de choses avec une simple signature, celle du garant de la sécurité des tunisiens.
Je suis un modeste producteur de masques barrières anti-covid. Avant la survenue de cette pandémie, le secteur textile agonisait rapidement et sûrement sous le poids des importations de toutes sortes qu’elles soient sauvages ou mi-féroces.
Quand la Covid a fait son apparition et qu’on a fermé nos frontières, quand les importations se sont tues et sans qu’on fasse appel à nous, nous les fauchés, on a accouru à nos hôpitaux pour les secourir : On est allé sur le net pour voir comment on fait ces masques qui protégeraient notre armée blanche de la mort. On avait trouvé, on les a faits et distribués gratuitement sur les hôpitaux. On n’a jamais été remerciés et ce n’est pas ce qu’on cherchait.
Par contre, nos ministres de l’Industrie et de la Santé se sont mis à deux avec toute l’armée de cadres dont ils disposaient, pour nous imposer le masque le plus difficile à faire sur cette planète. Si on voulait continuer notre activité de fabricants de bavettes, qui devenait lucrative et donc salvatrice de nos entreprises qui coulaient, il fallait qu’on fasse ce masque-là, qu’on paie 1200dt et qu’on attende plusieurs semaines que le CETTEX atteste que notre produit est valable.
Pendant ce temps, le hasard qui est toujours du côté du lobby des importateurs (compradors), a fait qu’on avait retrouvé sur les rayons des pharmacies une douzaine de millions de masques chinois jetables.
Une fois l’attestation du CETTEX en poche, on n’en avait que faire : le marché était déjà saturé. Et de producteurs fauchés qu’on était, on devenait encore plus fauchés avec un stock d’invendus aussi énorme que les dettes qu’on a accumulées pour le réaliser.
Une fois les douze millions de masques importés se sont écoulés (priorité à l’import puis viennent les miettes aux producteurs locaux) et trois mois après, on commençait à écouler notre stock. Les appels des clients n’arrêtaient pas et on recommençait à faire un stock.
Les ouvriers qu’on avait remerciés reviennent à leurs postes de travail et on scotche même sur les murs des épiciers ce très bel écriteau « Cherchons couturières, bonne rémunération ! » Puis, un jour, le téléphone arrête de sonner alors que le stock de bavettes, lui, avait continué de croître. On appelle nos clients les pharmaciens. Ci-dessous le dialogue :
-Producteur de Bavette : Qu’est-ce qui se passe, pourquoi vous ne commandez plus ?
-Pharmacien : On vend des bavettes importées, c’est moins cher et c’est ce que le client demande.
– P.B : Est-ce qu’elles sont aussi économiques que les nôtres qui se vendant à 1d850 mais qui sont aussi lavables plus de 20 fois et durent donc des semaines, ou est-ce qu’elles doivent être jetées après quatre heures d’utilisation ?
-PH : Non, elles sont jetables, elles se vendent entre 500 et 1200 millimes et devraient être utilisées quatre heures uniquement. Mais le tunisien les garde pour toujours afin de les porter dans les endroits où leur port est obligatoire.
-P.B : Mais c’est très dangereux. Après quatre heures, ces masques deviennent eux-mêmes porteurs potentiels de virus et peuvent donc aggraver l’épidémie au lieu de l’endiguer.
-PH : Oui, effectivement, mais qu’est-ce que tu veux, on ne peut rien y faire !»
Fin du dialogue.
Qui peut donc y faire quelque chose ? Assurer d’abord la sécurité sanitaire des tunisiens et tout un secteur générateur d’emplois ?
C’est certainement dans les cordes d’un Président de la République : juste publier un décret où l’on donne la priorité à la vente des bavettes lavables tunisiennes et garde les jetables au personnel médical ou comme réserve au cas où le marché connaitrait un manque en masques locaux.
Mohamed BEN KHELIFA
Producteur de bavettes