Sadok Rouai, Ancien conseiller principal au FMI: Accord Tunisie-FMI… Pour une sortie Win-Win

• Les BRICS ne peuvent rien faire à la Tunisie pour le moment et à moyen terme

TUNIS – UNIVERSNEWS – Une délégation tunisienne comprenant le ministre de l’économie et de la planification Samir Saïed et le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi, participe aux réunions de printemps 2023 du Fonds monétaire international (FMI) et du Groupe de la Banque mondiale (BM) , qui  se poursuivent jusqu’au 16 avril à Britton Woods (Etats-Unis. La délégation tunisienne devrait rencontrer ses homologues des pays participants aux réunions, ainsi qu’avec les institutions financières internationales donatrices. La Tunisie espère obtenir un prêt du FMI d’une valeur de 1,9 milliard de dollars. Ce fonds demeure engagé auprès de la Tunisie, afin de l’accompagner dans ses réformes. En mode de recherche d’alternatives au FMI, alors que certains se sont montrés favorables à l’adhésion de la Tunisie aux BRICS. Les explications de Sadok Rouai, Ancien directeur général de la Banque centrale de Tunisie et ancien conseiller principal au FMI (1987-2021)

• Universnews : Tout d’abord la Tunisie pourrait-elle trouver un accord avec le FMI d’ici la fin du deuxième trimestre ?

Sadok Rouai : La finalisation de l’accord dépend de la Tunisie. Kaïs Saïed doit donner le OK politique et signer la  loi sur la gouvernance des entreprises publiques. Le gouvernement de son côté doit démontrer au FMI qu’il a des assurances solides de partenaires de la Tunisie pour financer le budget. Une fois tout ça fait, il fait l’objet de la Lettre d’Intention que Kaïs Saïed doive signer, à la rigueur, ou Bouden.

• Ne pensez-vous pas que les réformes exigées par le FMI s’avèrent difficiles et nécessitent plus de temps aux autorités tunisiennes pour les mettre en œuvre ?

Ces réformes comprennent la maîtrise de la compensation, de la masse salariale et la restructuration des entreprises publiques. Elles ont été incluses dans le programme négocié avec le FMI en 2013 et 2016.  Mais rien n’a été fait. Donc plus on retarde les réformes, plus la solution devient difficile et c’est la faute des gouvernements successifs. N’oubliez pas que le programme actuel est sur 4 ans donc les réformes sont étalées dans le temps pour réduire leur impact comme ça été fait pour l‘ajustement du prix énergie.

• Cet accord FMI-Tunisie risque-t-il de provoquer la colère des plus démunies ?

Il peut engendrer la grogne des couches démunies s’il est mis en place maintenant. Non en principe. Normalement le FMI demande au pays d’épargner les couches défavorisées en leur servant des indemnités directes, lors des ajustements des prix. Le gouvernement a annoncé une plateforme dans ce sens qui devait être lancée en janvier dernier. Rien n’a été fait.

En plus le FMI demande aux autorités de discuter avec les partenaires sociaux pour recueillir leur soutien. Rien n’a été fait. Le FMI demande également au gouvernement de faire une campagne publique de sensibilisation pour expliquer le but des réformes, le coût de non-réforme, le calendrier, comment aider les couches pauvres et moyennes. Rien n’a été fait.

Tout cela a fait l’objet des négociations avec le FMI et contenu dans la documentation du FMI depuis 2013. Rien n’a été fait. Dans ce genre de situations il faut souvent être « smart » des deux côtés pour faire aboutir les négociations en donnant l’impression que chaque partie sort gagnante des négociations

La participation de la délégation tunisienne aux réunions de printemps 2023 du Groupe de la BM et du FMI qui se déroulent du 10 au 16 avril, ne manquera pas d’infuser un sang neuf dans les relations entre la Tunisie et les bailleurs de fonds internationaux et de favoriser la conclusion d’un accord financier avec le FMI.

• Qu’est-ce que la délégation tunisienne doit demander au FMI ?

Sachant que le programme négocié avec le staff est basé sur un financement de $1.9 milliards presque égal au montant des remboursements que la Tunisie doit faire durant la période du programme, la Tunisie doit demander au FMI d’augmenter ce montant de 38%, correspondant à la décision même du FMI d’augmenter les accès. Ce montant sera de $2.6 milliards au lieu de $ 1.9 milliard, une augmentation de $700 millions. A noter qu’en raison du retard dans la conclusion de l’accord, la Tunisie a déjà remboursé au FMI environ $120 millions.

La délégation doit se rapprocher des pays qui soutiennent la Tunisie (France, Italie, USA, pays Arabes) pour influencer la décision du FMI. Je suis confiant que le staff serait ouvert à cette proposition si la délégation donne des assurances que, de retour en Tunisie, elle va présenter cette solution à Kaïs Saïed et lui demander de  donner son OK pour l’introduction des mesures et réformes déjà acceptées par la Tunisie, de s’engager également à mettre en place le reste des réformes convenues durant les 4 ans du programme. On n’a pas d’autre choix que de conclure avec le FMI.

• La Tunisie pourrait-elle rejoindre le bloc des économies émergentes des BRICS, qui comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ?

Certains proches de Kaïs Saïed ont déclaré récemment “que la Tunisie ne poursuivra pas ses efforts pour obtenir un prêt du FMI et qu’elle est engagée dans la Route de la Soie, et se tournera vers le groupe BRICS qui lui permettra d’obtenir les financements nécessaires.” D’autres ont même édité dernièrement la page « BRICS » de Wikipedia pour ajouter le nom de la Tunisie, pour crier ensuite que c’est officiel.

Que peuvent faire les BRICS, à la Tunisie? Rien pour le moment et à moyen terme. La Tunisie pourrait faire une demande pour joindre le Groupe. Depuis 2010, avec d’adhésion de l’Afrique du Sud, pas mal de pays ont exprimé le souhait de faire partie du club. Des discussions ont commencé avec certains, mais aucune décision n’a été prise. Bien sûr des considérations géopolitiques entrent en jeu, de même que l’importance économique et politique du pays. Etre membre du groupe ne donne, en soi-même, aucun avantage financier. Les BRICS, ce n’est pas l’Union Européenne ou le FMI qui ont des ressources à prêter pour soutenir d’autres pays, surtout lorsqu’il s’agit de financement du budget.

Les BRICS ont créé une banque de développement -New Development Bank. La Tunisie peut faire une demande pour joindre cette banque. Si la demande est acceptée et la Tunisie règle sa participation au capital, elle peut éventuellement faire des demandes de prêts pour financer des investissements en infrastructure, surtout. Ce n’est pas demain la veille et ces prêts ne financent pas les besoins de balance de paiement ou de budget.

Les BRICS ont créé aussi un Fonds de réserves de $100 milliards pour défendre leurs monnaies et balances de paiements en cas de crises. Ce Fonds est censé remplacer le FMI. Seuls les 5 pays membres peuvent avoir accès à ce Fonds. Des pays comme l’Argentine, l’Egypte, ou la Tunisie seront considérés comme potentiels utilisateurs de ce Fonds, s’ils deviennent membres, et c’est pour cela que la demande de l’Argentine et de l’Egypte traîne et aucun nouveau membre n’a été annoncé. Les BRICS veulent également avoir leur propre SWFIT pour échapper aux sanctions. Même s’ils le mettent en place, ils doivent toujours utiliser SWIFT avec le reste du monde. Un dernier point, tout ce beau monde ne veut rejoindre BRICS pour accéder éventuellement au marché chinois. Qu‘est-ce que la Tunisie peut vendre à la Chine? Avec un PIB aux alentours de 47 milliards de dollars et à peine 12 millions d’habitants. Nous ne sommes pas un marché potentiel pour les autres membres et nous n’avons pas d’avantages compétitifs à leur ajouter.

 M.S