Tunis- UNIVERSNEWS (Interview/SEF) – Les enjeux du développement territorial dans notre pays sont nombreux et différenciés selon les régions, et se déclinent sous diverses formes, mais renvoient de manière générale à un double défi, à savoir : la mise à niveau des régions qui n’ont pas atteint des seuils suffisants pour générer un processus de développement durable et inclusif et l’émergence de districts compétitifs. Mais un vent de renouveau souffle sur la Tunisie. Face aux résultats mitigés des projets de développement passés, souvent caractérisés par une absence criante de pérennité, un nouveau paradigme émerge : intégrer les communautés locales au cœur de la transformation économique. L’objectif est de bâtir un modèle de «développement régional et de gestion communautaire» fondé sur la valorisation des ressources locales, l’autosuffisance économique et le renforcement des capacités communautaires, à l’image de la réussite de pays tels que le Maroc avec son Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) ou encore le Rwanda, qui a transformé ses régions rurales grâce à des projets communautaires inclusifs. Les explications de Sami Saya, expert et consultant international, en charge de l’accompagnement et la coordination de l’Initiative Equipe Europe en Tunisie.
Un constat alarmant… l’échec des modèles passés
Sami Saya estime que l’analyse des initiatives précédentes révèle un tableau préoccupant. «Trop souvent, les projets financés par des bailleurs internationaux échouent à assurer leur continuité une fois les fonds épuisés. L’exemple des organisations de gestion des destinations (DMO) comme outil de développement régional, dans le secteur touristique illustre cette réalité : des résultats inégaux et une fragilité structurelle évidente… et il est fréquent que lorsque les projets dépendent du financement international, ils sont confrontés à des difficultés majeures quand le soutien financier prend fin. Le développement régional ne saurait reposer sur la simple publication/vente d’ouvrages ou de campagnes de presse «bling-bling» …Comment mesurer l’impact avec des outils fiables et assurer un suivi attentif de ce genre d’initiative ? …Ces éléments sont désormais des impératifs incontournables, et aujourd’hui, il est essentiel que chaque ressource financière allouée au pays soit affectée à des projets ayant des impacts mesurables et durables, explique-t-il.
Un modèle ancré dans la réalité tunisienne
L’approche proposée, indique notre consultant international, repose aujourd’hui sur une vision profondément adaptée au contexte socio-économique tunisien. Loin de se limiter à la création d’opportunités économiques immédiates, elle vise à poser les fondations d’un développement pérenne, en renforçant les compétences locales, en favorisant l’emploi et en misant sur des secteurs complémentaires tels que le tourisme, l’agriculture et l’artisanat. « Ce modèle repose sur la responsabilisation des acteurs régionaux : les communautés locales doivent devenir les architectes de leur propre développement. Un accompagnement technique et financier permet de structurer cette montée en compétences, avec un focus particulier sur les jeunes diplômés, souvent marginalisés du marché de l’emploi » dit-il
L’exemple du tourisme, levier stratégique pour un développement durable
Parmi les secteurs identifiés pour incarner cette dynamique, le tourisme se distingue par son fort potentiel de création de valeur. « En favorisant un tourisme alternatif, durable et intégré, ce modèle peut entraîner la croissance d’activités connexes : hôtellerie écologique, valorisation de l’artisanat, développement des circuits ruraux, énergies renouvelables. Cette approche, centrée sur l’intégration sectorielle, génère des opportunités d’emploi et stabilise les revenus locaux. Elle permet également de créer des synergies entre les différents acteurs économiques régionaux, renforçant ainsi la résilience des territoires » précise Sami Saya
Un diagnostic local pour réduire les disparités
Un élément-clé de cette refonte est le diagnostic précis des besoins régionaux. La priorité est de garantir l’accès à des services de qualité, limitant ainsi l’exode vers la capitale et favorisant un meilleur équilibre territorial. Ce modèle encourage également les échanges interrégionaux, créant ainsi une dynamique économique plus harmonieuse. «Pour accompagner cette transformation, la création de centres d’appui aux jeunes promoteurs est prévue. Ces structures, placées sous la responsabilité des collectivités locales, offriront un accompagnement personnalisé : formation, étude de marché, soutien administratif et accès à des infrastructures via des pépinières d’entreprises à loyers symboliques. » indique-t-il.
Une approche structurée en quatre phases
Le projet s’articule autour de quatre étapes fondamentales : un diagnostic des besoins locaux avec identification des services et infrastructures manquants et des opportunités économiques, une valorisation des secteurs à fort potentiel, en priorisant des activités à fort impact économique et social, une mobilisation des jeunes en encourageant davantage l’entrepreneuriat par des programmes de soutien et de formation et un renforcement des capacités locales avec un accompagnement continu pour favoriser l’autonomie des communautés locales.
Vers un modèle inclusif et résilient des régions
Cette approche de « développement régional et de gestion communautaire », souligne Saya ne se limite pas à un territoire spécifique. Elle ambitionne d’être un modèle national, adaptable à d’autres régions du pays. «En favorisant l’autonomie financière, la création d’emplois locaux et l’intégration des secteurs clés, elle représente une réponse concrète aux défis socio-économiques majeurs de la Tunisie… mais ne pourra réussir qu’avec un engagement fort des pouvoirs publics et… si les réformes nécessaires sont mises en place (en renforcement des fondamentaux économiques), le pays pourrait bien écrire une nouvelle page de son histoire, celle d’un développement régional inclusif et résilient» affirme-t-il. (M.S.)