Par Hakim TOUNSI*
TUNIS – UNIVERSNEWS (TRIBUNE) – Les chiffres du 1er trimestre 2024 continuent à tomber. Globalement le marché français en 2024 se comporte jusque-là pratiquement comme en 2023 avec des nuances selon les destinations. Pour la Tunisie il y aurait à fin mars 2024 un léger retard par rapport aux chiffres de 2023 au niveau des prises de commandes (réservations). Selon le baromètre Orchestra le mois de mars 2024 les réservations de France vers la Tunisie auraient été en recul de 6% par rapport à mars 2023. La part du tour-operating classique dans le total des réservations réalisées vers la Tunisie continue à perdre du volume par rapport au Dynamic Packaging. Selon plusieurs recoupements et plusieurs sources, les tour-opérateurs s’engagent de moins en moins sur la Tunisie laissant la place aux ventes sans engagements via les algorithmes des logiciels du Dynamic Packaging qui confectionnent les forfaits directement avec les tarifs des compagnies aériennes avec celui des hôtels qu’ils remontent généralement des OTA ou des DMC. Les réservations jusqu’à fin mars sont généralement dopées par les réductions faites par les hôteliers pour les réservations Early Booking qui se clôturent en principe le 31 mars.
Pour la destination Tunisie nous avons peu d’indices sur les intentions pour cet été des TRE (Tunisiens résidents à l’Etranger). Il faut savoir que le million de touristes revendiqué par la Tunisie en 2023 comprend deux sous-parties dont les TRE. J’ai eu l’occasion dans de précédentes publications de signaler l’importance de ressortir les entrées en Tunisie des TRE venant de France du million et de traiter les deux sous-marchés séparément car le comportement des deux segments n’est pas le même. Il y a les Tunisiens Résidents en France qui rentrent au pays à qui il arrive d’aller passer quelques nuits durant leurs séjours dans les hôtels et les Touristes non tunisiens venant de France qui vont essentiellement dans les hôtels. La durée de séjour et les moyens de transports ne sont pas comparables non plus. Beaucoup de TRE voyagent par bateaux notamment en été.
L’analyse des données est d’une importance capitale si nous voulons bien connaitre notre marché et ses besoins afin de pouvoir y répondre et faire évoluer nos réalisations. C’est en connaissant d’une manière précise chaque cible qu’on pourra anticiper pour prendre les bonnes décisions. Si nous restons dans l’opacité nous nous compliquons davantage une mission qui de nature n’est pas de toute simplicité. Comment prévoir les bonnes capacités aériennes si chaque segment du marché n’est pas bien analysé. Il ne faut pas oublier qu’en 2023 le marché français vers la Tunisie a été euphorique en réservations jusqu’à la mi-juin date à laquelle nous avions subi un renversement de tendance avec un ralentissement très brutal. Un frein qu’on peut expliquer par l’essoufflement de l’efficacité de la forme de commercialisation automatique par les logiciels du package dynamique qui ne trouvent plus de prix aériens attractifs avec le démarrage du marché ethnique des TRE qui fait flamber les prix aériens. Avec des tour-opérateurs qui comme dit précédemment ne s’engagent plus sur des charters vers la Tunisie, les lignes régulières des compagnies aériennes proposent en été des A/R vers la Tunisie d’un minimum de 600 euros, un montant additionné à celui des séjours dans les hôtels qui cherchent de leur côté à rattraper les pertes de la basse saison avec des Early Booking peu rémunérateurs en facturant la nuit 3 à 4 fois le prix de la basse saison soit de 65 à plus de 160 euros la nuit selon les catégories hôtelières et les régions. Une semaine en 4* en Tunisie à plus de 1200 euros en all-inclusive devient invendable sur le marché français quand les Canaries, les Baléares, la Grèce sans parler de la Croatie, de l’Albanie et l’Egypte ou la Turquie proposent des tarifs plus attractifs avec souvent une qualité supérieure.
A mon sens, la Tunisie a des arbitrages et des choix à faire pour remédier à certains déséquilibres structurels qui desservent son secteur du tourisme. Il y a le gros problème du transport aérien pour lequel je dis deux mots. Premièrement, il est malheureusement trop tard pour ne pas aller vers l’Open Sky. Le charter est mort et le tour-operating classique est mort avec. On aurait pu choisir au plus tard vers 2008-2009 de garder le modèle du charter et du tour-operating pour faire fonctionner notre tourisme et notre hôtellerie. Nous ne l’avons pas fait et maintenant c’est trop tard. Je pense que la question ne se pose plus et il faut passer à l’Open Sky, nous n’avons plus le choix. Le 2ème déséquilibre structurel au niveau de l’aérien est celui du traitement du pic de juillet/août avec la demande atypique des Tunisiens Résidents à l’Etranger. A mon avis il faut traiter cette demande comme on traite le trafic pour le Haj. Il faut le traiter en aparté avec de gros porteurs en ACMI une semaine début juillet et une semaine fin août pour baisser la pression sur le marché et les prix de l’aérien et laisser une chance au retour du tourisme estival classique. L’été il faut un aérien d’un maximum de 300 à 350 euros l’aller/retour pour sortir des packages raisonnables et faire fonctionner les hôtels existants voire plus encore.
L’autre problème structurel est celui de l’hôtellerie. On ne peut pas charger les prix de l’été indéfiniment avec une qualité qui ne suit pas pour payer les pertes de la basse saison. Il faut faire comme tous les hôteliers du bassin méditerranéen. Il faut créer sans tarder le statut du saisonnier permanent pour inciter les hôteliers à fermer en basse saison en libérant leur personnel afin qu’il travaille dans l’agriculture ou dans d’autres domaines en évitant de bruler durant l’hiver le RBE gagné l’été. Tous les pays méditerranéens l’ont fait depuis longtemps car la comptabilité analytique pointue ne laisse aucun doute à celui qui la pratique sur le fait que les frais d’hivernage d’un hôtel fermé coutent moins chers que de le laisser ouvert avec des prix très bas et un service souvent médiocre qui plombe la réputation de la destination. Il faut laisser le choix aux hôteliers de rester ouverts quand ils ont des RBE positifs ou de fermer dès qu’ils commencent à aller dans le rouge. C’est l’intérêt aussi de la Tunisie au niveau macroéconomique pour faire progresser son PIB.
Toutes ces grandes restructurations et décisions ont besoin d’un climat social serein et d’une volonté politique prise dans un contexte calme et normal loin des tensions et des tiraillements.
Tel est mon point de vue technique d’un professionnel du secteur confronté au quotidien à la réalité aussi bien du produit que de ses marchés.
H.T.*
Voyagiste et fondateur «Authentique Voyages»