Par Anis Wahabi*
Depuis la promulgation de la Constitution en janvier 2014, le titre 7 relatif à la décentralisation a pris son bonhomme de chemin, lentement.
C’est un processus prévu pour durer plus de 20 ans et c’est tout à fait normal, parce qu’au delà de l’aspect juridique et opérationnel, un changement total du mindset (mot anglais qui veut dire : état d’esprit) national est à travailler.
Et justement, c’est ce changement des esprits qui constitue le boulet de forçât. Nous avons déjà constaté les premiers effets dès la promulgation du Code des Collectivités Locales, et puis, remarquablement, suite aux élections municipales et l’installation des conseils municipaux.
D’abord, la promulgation du code a nécessité la préparation d’une quarantaine de textes d’application entre lois ordinaires et décrets gouvernementaux. Deux ans après, nous en sommes à 8, très loin de l’objectif. Pourquoi? Parce que les différentes parties du changement n’ont pas joué le jeu, par conservatisme certainement, mais aussi par protectionnisme et par manque d’adhésion.
Ensuite, le processus de décentralisation constitue la première roue de la bicyclette, un autre processus aussi important doit se déclencher, celui de la déconcentration. Cela répond à un principe très simple, pour que le pouvoir local puisse fonctionner, le pouvoir centrale doit se retirer, ou du moins se redéployer sur d’autres rôles, notamment celui de la régulation et celui de l’accompagnement.
Nous sommes dans une épreuve nationale majeure, à l’image du reste du monde d’ailleurs, qui est la crise du Coronavirus. Et c’est justement une occasion pour tester le processus, mieux encore, l’améliorer.
Pour cela, je crois que le gouvernement aurait pu mieux faire. Le Code des Collectivités locales, dans son article 274, charge les maires de mettre les mesures nécessaires contre les épidémies. Le même article prévoit que ces mesures doivent être coordonnées avec le pouvoir central.
Il est vrai, toutefois, qu’étant dans une situation de pandémie, le problème devient national et les rôles doivent s’inverser; dans le sens où le gouvernement central doit prendre les choses en main. Cela ne doit pas exclure, pour autant, le rôle des communes. Au contraire, leur intervention organisée et orchestrée ne peut que renforcer le pouvoir central.
D’abord, pour assurer les services de base, tel que la propreté, les communes ont besoin de coordinations avec la centrale: identifier les clusters pour y intervenir différemment, combiner les plans d’organisation des marchés et la distribution des produits de premières nécessité, etc.
Laisser de côté tout le dispositif du pouvoir local pour s’appuyer seulement sur les démembrements du pouvoir central (gouverneur, délégué, Omda) ne va que réduire les possibilités d’agir et ce, pour deux raisons importantes:
– La première est liée à l’efficacité: personne ne connaît mieux le territoire que les communes. La dynamique électorale, la composition mosaïque des conseils municipaux, le fait d’être intégré à la population, tout cela ne peut pas être remplacé par le pouvoir central aussi déconcentré soit il. C’est une question d’habitus, très complexe pour qu’un chef de secteur (Omda) puisse l’inculquer.
– La deuxième est liée à la légitimité: un délégué nommé par un télégramme ne peut pas incarner le pouvoir, il joue plutôt dans le sens de la symbolique de l’Etat dans son côté répressif et totalitaire. Aucune comparaison ne peut s’établir avec le maire et les autres membres du conseil, jouissant d’une double légitimité : électorale et sociale.
A la place du chef de gouvernement, au lieu de demander aux communes de se soumettre aux pouvoirs central, j’aurais plutôt tenu un discours opposé :
« Je remercie les communes pour tous les efforts consentis, je les exhorte à redoubler d’effort en se concentrant sur les domaines suivants:
– La propreté
– La sensibilisation des habitants en collaboration avec la société civile
– L’identification et la préparation de la logistique nécessaire pour la lutte contre la pandémie
– L’organisation de la distribution des produits de première nécessité
– L’identification des familles nécessiteuses et la coordination des transferts sociaux
– L’identification des personnes à risque et la mise en place d’un mécanisme de prise en charge
Je mettrai à la disposition des communes un crédit budgétaire dans ce sens, les communes qui ne sont pas dans le besoin n’ont qu’à compter sur leurs ressources propres».
On apprend de nos erreurs, la dernière a entaché un pouvoir constitutionnel et ça fait une fausse note. Quoique, dans ce grand vacarme, c’est trop demander d’accorder tous les instruments.
*Expert-comptable et secrétaire général de l’Union tunisienne des professions libérales