TRIBUNE – Exode des infirmiers et des médecins tunisiens: Limiter les dégâts dans un monde inégal

Dr Abdelmajid MSELMI

TUNIS – UNIVERSNEWS Selon les données de l’agence tunisienne de la coopération technique (ATCC), 1246 cadres de la santé (médecins et infirmiers) ont quitté le pays pour travailler à l’étranger soit 38% de l’ensemble des cadres qui ont émigré via l’ATCC.

Sans parler des recrutements qui se font directement entre le concerné et la clinique ou l’hôpital étranger et les contrats signés à travers les agences privées tunisiennes ou étrangères actives et florissantes.

Explosion de la demande sur la santé
Depuis la crise de la Covid 19 et même bien avant, l’humanité connait une demande accrue sur les services de soins. L’allongement considérable de l’espérance de vie (entre 80 et 90 ans en Europe) et la fréquence considérable des maladies chroniques chez cette frange de personnes (diabète, maladies cardiaques, vasculaires et respiratoires…) expliquent la forte demande sur les soins. En outre, le développement de soins de confort tels que la médecine esthétique et dermatologique, l’émergence d’épidémies telles que la covid 19, la révolution technologique médicale qui a permis de proposer des solutions diagnostiques et thérapeutiques à la majorité des problèmes de santé… Tous ces facteurs ont généré une demande très forte sur les services de soins.

Cette demande est évidement plus forte dans les pays riches (pays du golfe) et développés (l’Europe et l’Amérique du nord) qui ont les moyens pour subvenir aux besoins de santé de leur population. Contrairement aux pays démunis qui trouvent du mal à trouver la bonne équation entre les moyens financiers limités et la demande accrue et légitime des soins de la part de leurs citoyens.

Les infirmiers tunisiens: au devant des batailles, à la traine des salaires
Il est évident que la cause principale de l’exode des médecins et des infirmiers tunisiens est l’ambition légitime d’améliorer leur situation financière.
Pour les infirmiers, décrocher un poste dans le secteur public est un objectif raisonnable car il permet un emploi stable et un salaire «acceptable» en dépit des conditions difficiles des hôpitaux publics. Hélas, il faut attendre entre 5 et 10 ans pour décrocher un tel poste. Entre temps la majorité des infirmiers travaillent dans les cliniques privées avec des salaires de misère (entre 800 et 1000 D) avec une charge du travail énorme. Certains responsables des cliniques privées se lamentent sur l’exode massif des infirmiers alors qu’ils ne payent pas convenablement leur personnel. D’autres franges d’infirmiers sont obligées de souscrire à des activités professionnelles précaires avec faibles salaires et conditions difficiles.

Dans ces conditions comment peut-on retenir les infirmiers qui trouvent de très bons salaires à l’étranger et de bonnes conditions de travail ??? Certains pays comme l’Allemagne ou le Canada offrent des avantages aux nouveaux recrutés, tels qu’un logement gratuit pendant la période initiale, une prime, une formation gratuite et une intégration programmée.

Les faveurs offertes aux médecins tunisiens sont irrésistibles. Des salaires de l’ordre de 30 milles dinars aux pays du golfe et des conditions de travail et des possibilités d’apprentissage considérable et cerise sur le gâteau un cadre de vie agréable.

Limiter les dégâts dans un monde inégal
Malheureusement, le fossé entre les pays du nord et ceux du sud se creuse profondément de plus en plus. Le nord est très développé, dirigé par des états démocratiques contrôlés par les citoyens. Les pays du sud sous-développés sont dirigés par des dictatures souvent corrompues qui ne pensent qu’à rester au pouvoir le plus longtemps possible. L’intérêt des citoyens est le dernier de leurs soucis. Le citoyen n’a aucun contrôle ni sur l’Etat ni sur son destin, les libertés sont bafouées, les crises économiques et politiques s’accentuent et les pays sombrent dans le sous-développement.

Comment, dans ces conditions, peut-on convaincre un médecin ou un infirmier ou un ingénieur ou un chômeur de rester dans un tel « bled » ou l’Etat de droit n’est qu’un mensonge, l’égalité des chances n’est qu’une chimère et ou l’arbitraire fait loi ??

En guise de solutions permettant de limiter les dégâts, on peut exiger des médecins et des infirmiers le travail pendant 2 ans dans les hôpitaux publics (ou dans les cliniques pour les infirmiers) pendant lesquels ils seront payés convenablement. Après quoi ils peuvent émigrer vers la destination qu’ils veulent.

D’autre part, il est de l’intérêt des cliniques privées -s’il veulent garder leur personnel- de mieux les payer et les encourager à rester et améliorant leurs conditions de travail (assurance-groupe, avantages sociaux, etc.)

Dans le secteur public de la santé, il est impératif d’améliorer les revenus des infirmiers et des médecins pour les encourager à rester dans le secteur public.
Il est aussi important d’encourager les médecins libéraux dont plusieurs (jeunes et moins jeunes) pensent aussi à émigrer en allégeant la charge fiscale qui devient lourde.

Enfin, il faut accélérer la formation de plus de médecins et d’infirmiers pour subvenir aux besoins internes et externes. Doté d’un nombre considérable d’enseignants, de 6 facultés de médecine et de pharmacie, une trentaine d’établissements de formation d’infirmiers, la Tunisie peut faire face à cette demande croissante. Sauf qu’il faut veiller scrupuleusement à une très bonne qualité de formation qui constitue un «label tunisien qu’il ne faut jamais perdre.

Dr A.M.
Docteur chirurgien et universitaire

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