
Par Tawfik BOURGOU*
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Il faudrait siffler la fin de l’expérience et dire au monde entier que la Tunisie n’est pas un laboratoire pour quelque concordat que ce soit
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Le retour à une gestion totale des frontières est inéluctable, y compris par la construction de barrières de sécurité et de frontières intelligentes, si la Tunisie veut renouer avec son tourisme
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Nous comprenons dès lors le jeu des lobbys, mais est une organisation qui a peu d’importance et elle ne rate aucune occasion pour le montrer
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Le Maroc y a été de son indignation, lui aussi ne manque aucune occasion d’attaquer la Tunisie, alors que sa propre police a utilisé des balles réelles il y a quelques mois et la matraque il y a quelques jours contre des subsahariens établis sur son sol
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Pour une fois le gouvernement tunisien a rompu avec la diplomatie de la contrition et de la tête basse.
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Aucun pays de tout le continent africain, sans exception aucune, n’a subi autant d’ingérences dans ses affaires internes que la Tunisie durant ces dix dernières années
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Ennahdha et ses amis de la Troïka ont entrepris de détruire toutes les barrières et toutes les sécurités, dont le contrôle des frontières
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Sous l’influence des Etats-Unis et de l’Union Européenne, via des fonds venant du Golfe, a été organisé le démantèlement de l’Etat tunisien postindépendance

TUNIS – UNIVERSNEWS Dans le lynchage médiatique planétaire que subit la Tunisie aucune voix n’a manqué.
D’abord celle du Secrétaire Général de l’Union Africaine aux indignations sélectives. La sienne a été la plus maladroite et la plus inamicale. A son adresse on lui rappelle les principes diplomatiques de base dont il méconnait manifestement les contours : les Etats ont le droit souverain de contrôler leur territoire. (Magister Dixit)
Nous n’avons pas trouvé trace à une indignation de son excellence le SG de l’UA contre le Maroc, l’Afrique du Sud, l’Espagne ou l’Italie. Nous comprenons dès lors le jeu des lobbys. Mais à nos yeux l’UA est une organisation qui a peu d’importance. Elle ne rate aucune occasion pour le montrer d’ailleurs.
Le Maroc y a été de son indignation, lui aussi ne manque aucune occasion d’attaquer la Tunisie, alors que sa propre police a utilisé des balles réelles il y a quelques mois et la matraque il y a quelques jours contre des subsahariens établis sur son sol. « Il est plus facile d’insister sur les défauts des autres pour faire oublier les siens propres », comme le dit si bien le Grand Bonaparte.
Bien sûr, toute la ribambelle des ministres africains des affaires étrangères des pays s’estimant concernés ont donné de la voix, comme si eux-mêmes étaient exemplaires dans leurs comportements vis-à-vis des migrants sur leurs sols.
En même temps l’Algérie, par le biais de ses tribunaux, condamnait des tunisiens à cinq ans de prison pour ce qu’elle considère comme du trafic de marchandises licites, alors que deux nuits auparavant à hauteur du Kef, 200 subsahariens ont tenté de s’introduire depuis l’Algérie sur le sol tunisien, poussés très certainement, très amicalement, dans le sillage du refus tunisien d’accueillir Lavroff. Il semble loin ce temps, lorsque dans les années 1990 en pleine guerre civile, les algériens venaient vider les magasins jusqu’à Tunis.
La volonté d’humilier les tunisiens et la Tunisie semble être planétaire. Elle est à son comble. Bien sûr on ne doit pas oublier les déclarations d’un avocat parisien au Courrier de l’Atlas dont on connait les connivences.
Il conviendrait de ne rien oublier pour l’étape qui va suivre.
Pour une fois le gouvernement tunisien a rompu avec la diplomatie de la contrition et de la tête basse.
Qu’est-ce qui a amené un pays jadis stable, sans de réels problèmes frontaliers à devenir le bout de trottoir des réseaux de l’immigration clandestine, le dépotoir de tout et le laboratoire de toutes les expériences ?
Il faut juste souligner qu’aucun pays de tout le continent africain, sans exception aucune, n’a subi autant d’ingérences dans ses affaires internes que la Tunisie durant ces dix dernières années, aucun pays africain, ni un pays arabe n’a autant baissé les barrières de sa protection comme l’a fait la Tunisie. Résultat : un pays au bord de l’effondrement. Ce que certains ne semblent pas avoir remarqué.
Par dogmatisme de la gauche ; par dessein des islamistes au pouvoir, par corruption et en toute irresponsabilité, les acteurs du jeu politique tunisien ont détruit le pays et l’ont renvoyé dans le statut peu enviable d’un laboratoire, d’un dépotoir. Ils ont beau essayer de se dédouaner de cette catastrophe, celle-ci leur incombe totalement.
Dans un ouvrage collectif en date de 2011, juste après les évènements pompeusement qualifiés de révolution, nous posions la question suivante : « A quoi aboutiront ce printemps ? »
Notre réponse il y a douze ans était lapidaire et directe : « à la destruction des Etats, de l’Etat tunisien plus spécifiquement et à la création de structures parallèles pour évider (au sens d’éviscérer) les structures de protection du pays, de son économie, de son territoire et de sa population ».
Tout un chacun peut faire le constat dans sa vie quotidienne de ce à quoi a abouti une expérimentation imposée à la Tunisie.
Une expérience comme on peut décrire comme suit : un concordat avec l’islam politique, un accommodement, non pas pour hâter la démocratie comme lancé à l’antienne, mais pour construire un cadre régional en capacité de lever des troupes supplétives pour transformer le reste du monde arabe dans le cadre d’un agenda dont on voit aujourd’hui l’impact.
Ennahdha et ses amis de la Troïka ont entrepris de détruire toutes les barrières et toutes les sécurités, dont le contrôle des frontières. Le dogmatisme coupable de Marzouki a ouvert les portes d’un enfer pour la Tunisie : l’abrogation des visas et l’ouverture sur l’Afrique a créé un appel d’air puisque la Tunisie est face à l’Europe. C’est le même Marzouki qui a déclaré qu’il avait demandé son aide à Erdogan pour -nous citons- « nettoyer l’armée », c’est dire l’ampleur de la catastrophe, dès 2011.
Pire encore, sous l’influence des Etats-Unis et de l’Union Européenne, avec leur financement d’ailleurs et les financements de fondations étrangères via des fonds venant du Golfe, a été organisé le démantèlement de l’Etat tunisien post indépendance. Ce démantèlement s’est fait au vu et au su des assemblées « élues », dans lesquels siégeait la fine fleur de l’élan « révolutionnaire de pacotille ».
Comment était-ce possible ?
La technique est simple : le report des structures extérieures associatives, vers ce qu’on appelait pompeusement « les institutions de la société civile » le contrôle de l’activité sécuritaire de l’Etat. Pire encore, c’est simplement un transfert vers des structures et des associations étrangères, ou des antennes d’institutions internationales (comme le HCR) le soin de prendre en charge l’asile politique, les réfugiés et surtout l’immigration clandestine. Dès lors nous comprenons pourquoi le décompte échappe à l’Etat et au ministère de l’intérieur, car en effet il n’en a plus la responsabilité pourtant sur son sol. Une situation ubuesque pour ne pas dire plus.
Aucun pays dans le monde, ni même la Finlande, ni la Suède, ni les Etats-Unis, encore moins la France, aucun pays ne délègue la gestion des flux sur son sol à l’UNHCR ni à l’OIM, hormis bien sur la Tunisie laboratoire de tous les accommodements sur dans le dos de son peuple.
En agissant de la sorte, les gouvernements successifs ont détruit le pays. Là aussi les exemples ne manquent et qui confinent même au crime d’Etat voir au crime de guerre.
En abaissant le contrôle aux frontières et en délégant la gestion au pléthorique et complaisant secteur associatif dont on peine à voir les structures labyrinthiques. L’objectif de certains était de jouer sur le flou des procédures afin d’envoyer des djihadistes, d’accueillir sur le sol national des candidats à l’immigration vers l’Europe dans le cadre d’activités criminelles et mafieuses de dimension mondiale qui vont de l’espace subsaharien au sud de l’Italie. C’est cette expérimentation d’Ennahdha, de la Troïka et du « provisoire » qui a noyé le pays dans la pire catastrophe de son histoire moderne.
Est-ce à dire que les autres gouvernements sont innocents de la suite des choses ?
Absolument pas. La catastrophe est à mettre au passif de tous les chefs de gouvernement, des ministres de l’intérieur successifs, de tous les députés qui ont voté et ratifié des accords d’ouverture des frontières. Tous responsables (peut-être coupables) in solidus.
Voilà ce à quoi ont abouti de légitimes demandes d’amélioration des conditions de vie en 2011, détournées dans le cadre d’une expérimentation régionale de guerre hybride contre des régimes que d’autres acteurs ont jugé inamicaux pour eux-mêmes, pas pour les Tunisiens, avec l’aide, le consentement et l’ingénierie d’acteurs tunisiens, aux premiers chefs desquels on ne peut ne pas citer l’action de Ghannouchi et tous les acteurs politiques à partir de 2011 et au moins jusqu’à 2021.
Ce qui est dit de l’abaissement des barrières de sécurité devant l’afflux d’immigrés clandestins peut être dit des flux d’ordures italiennes opérées par des mafias qui sont au cœur du pouvoir italien. Il suffit de lire Saviano !
Sur les abaissements, sur les financements occultes, sur les réseaux mondiaux de la corruption a prospéré un commerce mondial qui cumule le trafic d’êtres humains et celui des substances les plus dangereuses, dont les drogues, les armes et bien évidement les déchets hospitaliers ultimes qui ont abouti à un quai du port à Sousse.
Alors que faire ?
D’abord il faudrait siffler la fin de l’expérience et dire au monde entier que la Tunisie n’est pas un laboratoire pour quelque concordat que ce soit. Ceux qui se sentent l’envie d’accommoder des contraires ont tout loisir de le faire chez eux.
A l’adresse de ceux qui considèrent la Tunisie comme un dépôt, un terminus, il faut montrer que le pays n’a pas vocation à devenir le bout de quai de tout ce dont les autres ne veulent pas. Le retour à une gestion totale des frontières est inéluctable, y compris par la construction de barrières de sécurité et de frontières intelligentes, c’est inéluctable. Si la Tunisie veut renouer avec son tourisme c’est la condition première. Le retour d’une politique de visas est obligatoire, car on ne peut contrôler ni limiter les flux qu’en les conditionnant aux strictes nécessités des séjours légaux.
Le rétablissement de la souveraineté sur la frontière suppose une « renationalisation » de l’asile, de l’immigration et par l’interdiction pure et simple de l’entrée sur le sol national par les voies terrestres hormis pour les nationaux des voisins.
Serait-ce une exception ? Absolument pas.
La Finlande a commencé à ériger une barrière avec la Russie, l’Union Européenne discute un financement de murs intelligents à l’est et se propose de mettre en œuvre des host spots au sud, le nom de la Tunisie est de plus en plus présenté comme le candidat au statut peu enviable de dépôt final. Ce sera un danger mortel pour la Tunisie contre lequel il faut désormais se battre.
Quand en 2011 certains se gargarisaient par des slogans vides comme le fameux « Invest in democracy » lancé à l’adresse de l’UE par un « people » promu par les réseaux sociaux en sympathique démocrate, nous étions les seuls à dire que le pays, s’il détruit le peu qu’il a, finirait en zone de transit.
Hélas, douze ans après nous avons eu raison contre les tenants de la « soft-révolution », contre les théoriciens du nouvel ordre mondial sympathique, sans frontières où les Etats ne seraient que les « obligés » des associations mondialisées et facebookées.
Le monde qui se prépare sera fondé sur le retraçage des frontières. La Tunisie se doit dans l’urgence de reconquérir les siennes et de les fermer.
* T.B.
Politologue