Par Abdelaziz KACEM
La brillantissime universitaire aux essais décisifs, la Pasionaria des réseaux sociaux, qui n’a eu de cesse de traquer la bêtise et la mauvaiseté où qu’elles se nichent, notre vaillante amie Olfa Youssef vient d’annoncer son retrait de la vie politique.
Lourdement menacée, ignominieusement insultée par une racaille islamiste revigorée par les derniers développements populistes, elle s’excuse auprès de ses milliers de lecteurs de la « lâcheté », qui l’oblige à un tel abandon.
Elle et moi, à l’instar des gens de notre espèce, avons cru en la possibilité d’un essor. Nous voyions s’effondrer nos potentialités économiques, éducatives, culturelles, les structures mêmes de l’État, mais la liberté d’expression dont nous avons bénéficié nous donnait l’invincible espoir d’un redressement.
Ce seul acquis de la « révolution » est manifestement remis en question. Outre le lynchage facebookien de plus en plus intensif et virulent contre toute réflexion politiquement incorrecte, une chaîne de Télévision subit la double violence de la populace et du nouveau pouvoir. Ses journalistes sont livrés à la vindicte obscurantiste et son directeur reprend, à tort ou à raison, le chemin de la prison.
On ne saurait ne pas faire le lien entre cet acharnement judiciaire et les vérités irréfutables que révèle le média concerné. Je réitère à l’occasion mon total soutien à Maya Ksouri, Meriem Belkadhi, Mohamed Boughalleb et Lotfi Laâmari. Tous accusés de toutes les vilénies, avec, comme toujours, un supplément d’insultes pour les femmes qui osent penser et dire ce qu’elles pensent. Elles sont, immanquablement, qualifiées de putes, et pas seulement par la canaille que l’on sait.
On connaît ceux qui sont ostensiblement atteints par le syndrome, mais les séropositifs sont d’autant plus dangereux qu’ils sont aussi innombrables qu’inidentifiables.
Dans d’autres chaînes, des députés nouvellement élus, s’attaquent, abominablement et sans motif d’actualité, au symbole de notre modernité, le père de l’indépendance et le libérateur des femmes, le Président Bourguiba.
Des personnages à la réputation sulfureuse siègeront au Parlement au détriment d’une Mbarka Brahmi ou d’une Basma Belaïd recalées aux élections. Avouons-le : notre démocratie est plus que jamais misogyne.
Souhaitons longue vie à ces veuves illustres, parce que justice ne sera pas rendue de sitôt à leurs époux assassinés. Les petits procès commandités sont plus urgents à régler que ceux, autrement plus graves, des commanditaires.
«Le fascisme, écrivait Bertolt Brecht, n’est pas le contraire de la démocratie, mais son évolution par temps de crise.» Nous sommes en temps de crise. Dieu sauve la Tunisie !
Chère Olfa Youssef, je suis moi-même tenté de regarder ailleurs. Mais, nous sommes de la trempe de ceux qui tombent au champ d’honneur. Nous n’abandonnons jamais les copains. Cependant, comme le préconise bien Candide, « il faut cultiver notre jardin », sagesse arabe aux dires de Voltaire lui-même. Pour ce faire, une descente en soi est nécessaire. C’est aussi continuer à lutter que de prendre le maquis intérieur. Et, à la fin des fins, en mémoire de l’auteur des Mémoires d’Outre-Tombe, soyons économes de notre mépris « en raison du grand nombre des nécessiteux ».