TUNIS – UNIVERSNEWS (SEF – KRIMI Khemaies) – Cela fait un bail qu’on n’a pas entendu parler du projet d’Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) qui devait étendre le libre-échange entre la Tunisie et l’Union européenne aux secteurs des services et de l’agriculture. Trois ambassadeurs européens se sont relayés pour imposer en vain cet accord. Il s’agit de l’espagnole Mme Laura Baeza (2012-2016), du français Patrice Bergamini (2016-2020) et de l’autrichien Marcus Cornaro (2020-2024). On a cru même, à un certain moment, que cet accord était enterré définitivement en raison de la farouche opposition de la société civile tunisienne à cet accord asymétrique.
Seulement, une récente déclaration du diplomate autrichien Marcus Cornaro, qui va quitter la Tunisie d’ici la fin de ce mois au terme de son mandat a dévoilé que le projet est toujours en cours de négociation entre Tunis et Bruxelles.
Interpellé sur son bilan, dans le cadre d’une interview d’adieu accordée à un magazine de la place, Marcus Cornaro a révélé qu’une des principales missions dont il était chargée, durant son mandat en Tunisie, était de poursuivre les négociations pour la conclusion de l’ALECA : « Quand j’ai pris mes fonctions à Tunis, mon espoir était qu’on modernise notre accord d’association pour y ajouter un chapitre sur les services et l’agriculture (NDLR : il s’agit bien de l’ALECA). J’étais très optimiste. J’allais partir sur de vraies avancées », a-t-il dit avant d’ajouter : «Cela dit, le Forum d’investissement (12-13 juin 2024 à Tunis) a permis d’entamer de bonnes connaissances avec le ministère de l’économie et de la planification pour creuser davantage ces pistes. C’était plus qu’un échange d’idées, c’était un engagement et j’espère que les deux parties pourront entamer quelque chose de concret très prochainement.
Engagement de Tunis et de Bruxelles à poursuivre les négociations
Morale de l’histoire : le projet de l’ALECA n’est pas abandonné. Mieux, selon Marcus Cornaro, la Tunisie et l’Union européenne se sont engagées -bien se sont engagées- à poursuivre les négociations.
La question qui se pose dès lors est de savoir sur la base de quels consensus national, le gouvernement tunisien a pris la décision de reprendre les négociations.
Est-il besoin de rappeler que ce projet d’accord a fait l’objet à la faveur de la liberté d’expression qui a prévalu lors de la dernière décennie, d’un grand débat. Il est ressorti de ce débat que cet accord constitue une sérieuse menace pour les deux secteurs ciblés : l’agriculture et les services.
L’ALECA une sérieuse menace pour les agriculteurs tunisiens
A titre indicatif, il s’est avéré aux termes d’études sérieuses faites par des Think-tanks tunisiens et même étrangers que l’agriculture tunisienne, considérée jusque-là comme un secteur refuge et défiscalisé par les agriculteurs et les investisseurs privés tunisiens, ne peut pas tenir, éventuellement, la concurrence prévue par la libéralisation des échanges des produits agricoles.
Les conclusions d’une étude effectuée par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES) sur “les perceptions de l’accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA) méritent qu’on s’y attarde.
“Il est à craindre que de nombreux agriculteurs ne disparaissent face à la concurrence européenne. Cela touche notamment les secteurs des céréales, du lait et de la viande”, prévient l’étude.
L’étude du FTDES, qui s’étale sur les attentes des conséquences économiques et sociales en Tunisie de l’ALECA, a révélé également qu’« en Tunisie, les grandes exploitations sont équivalentes aux petites exploitations européennes, donc cela va toucher tous les opérateurs, pas seulement les petits, lesquels seront écrasés. Peut-être que les grands auront les moyens de résister, mais ils seront affectés”.
Le message est désormais clair : « La concurrence ne pourra pas être égale compte-tenu des différences humaines, technologiques et naturelles. Avec le changement climatique et la raréfaction des ressources en eau, la rareté de ressources naturelles risque de s’accentuer avec l’impératif de productivité dans un contexte d’augmentation de la pollution », estiment les auteurs de l’étude.
De plus, les produits européens, fortement subventionnés, seraient en position de force et plus compétitifs. Les petits agriculteurs, incapables de faire face à la concurrence, devraient vendre leurs terres à des investisseurs avec des projets de cultures intensives. Certains grossiront les rangs des précaires en ville et d’autres finiront par “travailler comme ouvriers sur leurs propres terres”. Sans commentaires….
K.K.