- « C’est moi qui ai recommandé Abdelkrim Zbidi auprès du président de la République !!!… »
- « Le projet des amendements de la loi électorale est enterré, mais la non-signature de BCE demeure, une énigme…».
- «Tout ce que j’ai enduré comme critique et coups bas, c’est à cause de mon jeune âge. La génération des 60/70 ans n’arrive pas à digérer qu’un jeune de 38 ans soit nommé pour diriger le gouvernement… »
Après plusieurs mois de silence, Youssef Chahed a fini par parler dans une interview dont tout le monde a entendu parler depuis le matin de ce jeudi 1er août 2019, une interview passée sur la chaîne publique AL Wataniya 1, sur la radio nationale (des services publics), la chaîne Hannibal, désormais du côté d’Ennahdha et la radio sous tutelle du gouvernement, Shems Fm.
Généralement, une interview, commandée ou non, sert à éclairer certains faits du passé, certes, mais surtout pour arracher des scoops et des révélations. D’où le rôle des journalistes, réalisant l’interview, qui doivent être agressifs et perspicaces.
Or, cette interview aura servi, tout d’abord, au chef du gouvernement de se blanchir d’avoir causé le moindre tort au président défunt Mohamed Béji Caïd Essebsi. Au contraire, tout ce qu’il a raconté était destiné à montrer qu’il est resté le plus proche de Béji Caïd Essebsi jusqu’à sa mort, qu’ils discutaient du projet et de la vision à venir pour la famille démocrate
Il a même balayé d’une seule main tous les faits intrigants survenus en ce fameux jeudi noir du 27 juin 2019. « Vous avez oublié ceux qui m’accusaient de tentative de coup d’Etat (faisant allusion à Slim Riahi) », s’est-il exclamé. Et le tour est joué dans le sens où il a prouvé, ainsi, que rien de douteux ne s’est passé en ce 27 juin 2019.
Et d’autres termes, toute la première partie de cette interview a permis à Youssef Chahed de montrer qu’il n’y avait aucun différend sérieux avec BCE. « Après tout, Béji Caïd Essebsi avait bien des litiges avec Bourguiba, mais il est resté proche de lui ». Il avait l’air de dire : il est donc normal que j’aie des différends avec si El Béji. Là aussi, le tour était joué.
En résumé, ce premier passage d’une interview qui a traîné en longueur en s’étalant sur près d’une heure trente-cinq minutes, avait pour objectif de parvenir à la conclusion que le chef de gouvernement et le président de la République se trouvaient en parfaite symbiose. D’ailleurs, avant de passer à l’interview, M. Chahed a bien vérifié le nombre d’entrevues qu’il avait eues avec Béji Caïd Essebsi, à savoir : 120 !
Avec tous ces arguments et tous ces chiffres, Youssef Chahed a tenu à dénoncer certains qui veulent faire croire qu’il y avait un froid entre les deux hommes !
Même bilan, mêmes arguments
Côté bilan, Youssef Chahed nous a récité les mêmes arguments développés en d’autres rencontres : En 2016, il avait trouvé le pays au bord de la faillite et il a réussi à sauver la Tunisie de la banqueroute et de la cessation de paiement.
Après avoir paré au plus pressé, il s’est attaqué aux autres problèmes. Et on apprend qu’il a fait chuter l’inflation, réussi à améliorer tous les paramètres en matière des exportations, des investissements, de la situation du dinas, de la lutte contre le terrorisme et bien d’autres facteurs économiques, sachant que tous les bons chiffres, il les avait vus le matin même de l’interview. Pure coïncidence ou préparation minutieuse ?!
Mais il a oublié de dire que la croissance, donnée clé pour toute situation économique, tourne autour d’à peine 1% et que le taux d’endettement de la Tunisie a augmenté en cette année de plus de 5% se situant à 77%, soit un montant d’endettement surréaliste à savoir plus de 80 milliards de dinars.
Evoquant le projet de loi électorale amendée mais non signée par le Président défunt, Youssef Chahed n’a pus cacher son ses regrets et son dépit. En essayant de défendre l’esprit de ces amendements, le chef du gouvernement fait la même chose que ses lieutenants, notamment les Iyad Dahmani et Dr Sahbi Ben Fraj, en essayant de la résumer dans l’ajout de certains documents tel le bulletin n°3, la déclaration des biens et le seuil pour la représentativité, alors qu’il a escamoté l’essentiel, à savoir les conditions nouvellement posées et qui sont manifestement exclusionnistes.
A noter que le volet des actions dites caritatives comme une entrave et une infraction à bannir. On veut bien de cette condition logique, mais les partisans de ces amendements peuvent-ils nous dire combien d’associations de bienfaisance, recevant des dizaines de millions de dinars, et qui servent Ennahdha ?
L’Etat peut-il contrôler les activités et les transactions financières de ces associations, un véritable vivier pour le parti islamiste. Bien entendu, on nous rétorquera l’argument massue : « Allez le prouver … Adressez-vous à la justice… »
Pour M. Chahed, ces amendements entrent dans le cadre de la guerre contre la corruption qui, selon lui, se poursuit, mais sans donner de noms de « barons » arrêtés ou de chiffres concrets, se contentant de généralités.
Réitérant son dépit, M. Chahed a réitéré son dépit de voir ledit projet de loi enterré, mais il persiste à émettre des doutes quant à la vraie décision de BCE qui demeure, selon lui, « une énigme ».
D’autre part, Youssef Chahed a bien encensé « Tahya Tounès », mais en tant que chef du gouvernement, a-t-il le droit de le faire, de surcroît à travers un service public ?
Enfin, concernant l’élection présidentielle, M. Chahed s’est abstenu de toute indication précisant qu’il est sur le plateau en tant que chef de gouvernement. « Ma décision est déjà prise, mais je le dirai en temps opportun… », s’est-il contenté de dire.
Mais là où le bât blesse, selon les observateurs, c’est lorsqu’il a dit en substance : «tout ce que j’ai enduré comme critique et coups bas, c’est à cause de mon jeune âge. La génération des 60/70 ans n’arrive pas à digérer qu’un jeune de 38 ans soit nommé pour diriger le gouvernement. Ils savent que cette nomination a fait enterrer tous leurs espoirs de jouer un rôle dans la vie politique… », a martelé M. Chahed
On ne peut terminer cette lecture de l’interview sans parler du « non-dit ». En effet, Youssef Chahed a passé sous un silence presque total le rôle du ministre de la Défense et de l’Armée nationale dans la réussite de l’organisation des obsèques nationales du président Mohamed Béji Caïd Essebsi.
« C’est moi qui ai appelé Mohamed Ennaceur pour lui dire que j’allais le voir. Et ensemble, on a tout préparé avec l’aide de la sécurité présidentielle et de chaque département ministériel, chacun selon ses spécificités… », a-t-il tenu à préciser.
Quant à la possibilité d’une candidature d’Abdelkrim Zbidi à la présidentielle, Youssef a affirmé, avec un air grave : « Non, il ne m’en a pas informé, mais j’ai de bonnes relations avec M. Zbidi que j’ai d’ailleurs recommandé au président de la République après lui avoir proposé le poste de ministre de l’Intérieur. Youssef Chahed a-t-il oublié qu’Abdelkrim Zbidi était déjà ministre de la Défense nationale dans le cabinet de Béji Caïd Essebsi, alors Premier ministre en 2011 ?!!!
Ou alors, le chef du gouvernement voulait-il rappeler son ascendant hiérarchique par rapport à M. Zbidi ?
Les analystes s’accordent à se demander sur le pourquoi de cette interview en ce timing précis. Est-ce pour dire, indirectement, qu’il va se présenter à la présidentielle ? Ou bien pour se blanchir de tout différend avec Béji Caïd Essebsi ? Ou pour rappeler son bilan économique hautement positif ? Ou encore pour minimiser le rôle de l’Armée nationale et d’Abdelkrim Zbidi dans les obsèques du Président défunt.
Et par ricochet, pour dire que la personne la plus proche de Béji Caïd Essebsi, c’est bien lui et non pas M. Zbidi, le ministre de la Défense nationale qui bénéficie, pourtant, d’un élan populaire, spontané et massif.
En tout état de cause, on n’oubliera pas qu’il n’a jamais abordé, voire même pas effleuré, depuis qu’il est le patron de La Kasbah, le dossier de l’assassinat des deux martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi ou encore et surtout, l’affaire de l’appareil secret attribué à Ennahdha ! Un dossier que M. Zbidi maîtrise, probablement, assez bien.
Noureddine HLAOUI