TRIBUNE – Les quatre fautes stratégiques d’un protocole d’accord qui n’a aucun intérêt

Tawfik BOURGOU

  • Les fameux cinq piliers (de l’accord) ne sont en aucun cas une innovation, il s’agit plus d’anciennes petites poutrelles

  • Le projet d’interconnexion pour l’énergie électrique entre l’Italie et la Tunisie

  • Le président tunisien ne veut pas d’un recours au FMI, a cru pouvoir monnayer la question migratoire contre un mécanisme de soutien de l’UE sur intercession italienne.

  • Comme l’ambassadeur de Chine à Tunis, l’UE demande à La Tunisie d’aller d’abord devant le FMI

  • La question des financements depuis les pays tiers de l’implantation des subsahariens en Tunisie est suffisante même aller vers l’introduction d’une plainte devant la CIJ

  • Dans l’absolu, les «solutions globales» sont une absurdité diplomatique. Il n’y a que dans le monde arabe où l’on croit encore à ces balivernes

  • Le problème interne de la gestion des zones frontalières, c’est la mafia tunisienne à éradiquer

TUNIS – UNIVERSNEWS Nous «sujets tunisiens», nous exprimons notre gratitude à l’Union Européenne d’avoir publié le texte du mémorandum d’accord signé le 16 juillet 2023 entre l’Union et le Président tunisien, non publié par la partie tunisienne.

Bien que nous ne sommes pas idiots ou souffrants d’un quelconque retard de compréhension, l’accord en question n’a pas été porté à notre connaissance. Pourtant, ni en fait, ni en droit il n’existe un pouvoir exclusif de non information pour ce qui engage la vie d’un peuple pour des décennies.

Nous n’avons pas donc eu accès à la version arabe du texte. Mais, à partir de la traduction française et depuis le phrasé ampoulé et grandiloquent, nous avons eu une petite indication quant à l’identité du rédacteur côté tunisien. C’est peut-être la raison du retard pour la signature de ce texte. Il ne s’agit donc pas d’une amélioration des conditions de la négociation, mais d’une amélioration de la sémantique du texte.

Après quelques années, depuis 2019, nous sommes en capacité de reconnaitre un style. Pour une fois nous avons échappé et on ne s’en plaindra pas, une formule « Laurelyenne ou Hardyienne » du type « L’accord vertigineux ». Mais ceci n’a pas d’importance.

La cérémonie de signature a été l’occasion d’un enrichissement langagier par une notion nouvelle : la «souveraineté transcontinentale». La chaleur estivale du moment peut expliquer cette effusion qui semble faire plus plaisir à son inventeur.

N’en déplaise au Président de la République la souveraineté du pays s’arrête à ses 12 miles marins avec des doutes sur la plénitude de son exercice dans cet espace vu le nombre de barcasses qui nous valent cet accord et toutes les ingérences subsahariennes dans nos affaires.
Sur le fond cet accord (appelons-le ainsi pour économiser des signes calligraphiques) est inutile et laisse entrevoir quatre fautes diplomatiques stratégiques que nous allons expliquer dans ce qui suit.
Nous pensons avec gravité qu’il n’est pas le fruit d’un travail de diplomates, mais le fruit d’un désidérata pour répondre à une simple demande technique de l’autre partie (UE). C’est là le drame.

D’abord c’est un accord inutile

Les fameux cinq piliers (une reprise sémantiques des piliers des volets des politiques européennes), ne sont en aucun cas une innovation, il s’agit plus d’anciennes petites poutrelles. C’est une reprise à l’identique des accords sectoriels entre l’UE et les Etats tiers non membres, dans le cadre de la politique de voisinage. Pour rappel, la Tunisie, sous la présidence du défunt Ben Ali avait été le premier pays à signer un accord global avec l’UE, qui n’est pas référencé dans le texte du 16 juillet 2023 et qui va au-delà de ce qui a été signé dimanche 16 juillet. C’est la funeste période de la Troïka islamiste, de Ghannouchi, de Marzouki qui a tout démoli.

Les cinq axes, y compris la question de l’immigration clandestine existent déjà dans les accords entre la Tunisie et l’Union Européenne.
C’est en ce sens qu’il est inutile de resigner en bloc ce qui a été signé séparément. Il suffisait de tout agrafer ensemble diront les mauvaises langues. Le projet d’interconnexion pour l’énergie électrique entre l’Italie et la Tunisie, il date du début des années 1990, nous l’avions documenté en 1997 lorsque nous dirigions le programme « Expertise et nucléaire ».

Mais cet accord a été l’occasion pour la partie tunisienne de commettre quatre fautes stratégiques.

La première faute stratégique a été de lier le dossier de l’immigration clandestine des non-tunisiens passant par le territoire tunisien aux problèmes économiques structurels de la Tunisie. Expliquons cela.

Le président tunisien ne veut pas d’un recours au FMI. Après avoir cherché une source intérieure et après avoir épuisé les thèmes mirifiques et infondés des biens spoliés, après avoir songé aux BRICS (qui viennent de la claquer la porte au nez de Tebboune pour insuffisances capacitaires), a cru pouvoir monnayer la question migratoire contre un mécanisme de soutien de l’UE sur intercession italienne.

Certes il obtient une aide budgétaire immédiate, celle-ci permettra de boucler quelques fins de mois. Pour le reste et Madame Van Der Leyen l’a dit clairement par deux fois, le versement des autres sommes est conditionné par un accord entre la Tunisie et le FMI.

Ainsi, comme l’ambassadeur de Chine à Tunis, l’UE demande à La Tunisie d’aller d’abord devant le FMI. Dans une de ses multiples interventions le Ministre Tajani avait fait miroiter une aide des Emirats. Il semble que l’Italie a joué de son intercession auprès des arabes du golfe, d’où la tournée du ministre des affaires étrangères dans la région.

En construisant un lien entre le stratégique économique national, interne et la question de l’immigration subsaharienne passant ou stagnant en Tunisie, le signataire tunisien crée un «linkage» qui n’a pas lieu d’être. A ce niveau de négociation une telle faute dénote du plus profond des amateurismes.

La seconde faute stratégique c’est d’avoir internationalisé la question de l’immigration submersive subsaharienne en Tunisie.

Quand on a l’avantage de la souveraineté, on ferme sa frontière, on impose des visas et on sort des accords mortels signés par Marzouki et Chahed, on rompt symboliquement certains liens comme la zone africaine de libre échange qui sera la pire catastrophe pour la Tunisie.

La question des financements depuis les pays tiers de l’implantation des subsahariens en Tunisie est suffisante pour incriminer et même aller vers l’introduction d’une plainte devant la CIJ au sens de l’affaire Nicaragua contre Etats-Unis. Autrement dit, faites preuve de souveraineté et négociez ensuite et non l’inverse. Mais là aussi l’esprit tiers-mondiste l’a emporté sur le réalisme adossé à la force.

La troisième faute stratégique c’est d’avoir laissé croire en un lien entre l’immigration clandestine tunisienne et le déplacement des populations subsahariennes en Tunisie.

Celles-ci sont différentes. La Tunisie a un Etat viable et fait face à ses obligations, les Etats subsahariens sont faillis et rejettent leurs problèmes internes sur la Tunisie. En proposant à la partie européenne une vision globale les Tunisiens se sont rendu un mauvais service.

D’abord dans l’absolu, les «solutions globales» sont une absurdité diplomatique. Il n’y a que dans le monde arabe où l’on croit encore à ces balivernes. Les meilleurs accords sont toujours bilatéraux et sectoriels. C’est le « b-a-b-a » de la négociation. «Al hall al chamel» finit toujours par n’être ni «hall», ni «chamel». Il fallait séparer les deux, la Tunisie réadmet ses ressortissants, c’est même l’objet d’un accord qui existe déjà.

Ce sont les pays subsahariens qui se défaussent sur nous en envoyant leurs populations et en voulant créer un fait accompli pour obliger les autres à supporter leur propre démographie.

Il fallait d’abord commencer par résoudre le problème interne de la gestion des zones frontalières, c’est la mafia tunisienne à éradiquer, c’est la corruption au sein des trois lignes de gestion des territoires frontaliers, c’est l’islamisme qui a détruit l’Etat. Ce à quoi nous appelons des mois durant.

La quatrième (possible) faute stratégique c’est d’avoir créé un lien qui n’avait pas lieu d’être entre la gestion de la frontière et des équipements tactiques et non stratégiques.

Dans les accords de transfert d’armements et d’équipements stratégiques, des clauses de partages d’informations et de définition des statuts des Data sont adjoints aux accords. Certains pays ne transfèrent certains équipements qu’à condition d’avoir accès par un partage d’informations à des données. Ce partage ne prévaut pas dans les équipements tactiques comme les unités côtières ou des drones de surveillance à faible altitude et à faible autonomie. Ce que semble avoir demandé la partie tunisienne.

Dans l’accord, compte-tenu des multiples liens entre les différents dossiers, il serait étonnant que la partie européenne n’ait pas exigé une peer review et une remontée de l’information. Dimanche soir, les responsables de FRONTEX se réjouissaient de l’accord car il comble pour eux un vide de remontée d’information. Il serait très étonnant, compte-tenu de l’importance du sujet que l’UE et surtout les Etats membres consentent à transférer du matériel sans partage d’informations.

Ce point ne poserait pas problème si par ailleurs les volumes d’aides en équipements étaient importants et comportaient réellement une intégration dans une sorte de communauté de sécurité plus globale. Quitte à transférer de l’information, il fallait réclamer une barrière sécuritaire, une aide à une frontière électronique intégrée et une véritable reconstruction d’une garde côtière hauturière avec drones et hélicoptères embarqués pour bloquer très et très loin des eaux tunisiennes toute forme d’intrusion. Sur ce point en attendra la suite.

Subsiste un problème crucial où la Tunisie est seule et où l’Europe ne pourra rien. C’est celui du sort de la masse des illégaux subsahariens clandestins qui ont été poussés vers la Tunisie par l’Algérie et la Libye (encore des pays frères). Qui peut croire une seule seconde en l’organisation de ponts aériens entre la Tunisie et les pays d’origine par l’UE ? Personne.

Il faudrait être naïf pour le croire. D’abord s’il s’agit d’une simple assistance technique (avions, vivres, aide au retour), celle-ci doit obligatoirement passer par la boucle du HCR. C’est la règle en la matière.
Nous voilà repartis au point de départ et devant les locaux du HCR à Tunis, ça réintroduit les ONG toxiques et les mafias une seconde fois.
Une conclusion lapidaire s’impose.

A l’endroit de l’accord on dira : « de l’art de se créer des problèmes globaux pour une question qu’on pouvait résoudre seul et sans bruit ».
Réadmettre ses nationaux est une obligation toujours satisfaite par la Tunisie.

Expulser les illégaux sur son sol relève de la souveraineté de la Tunisie, l’UE ou l’Italie n’y peuvent rien de plus, mais rien de moins.
Aller ou ne pas aller devant le FMI est sans rapport avec la question des subsahariens en Tunisie.
Symboliquement il faillait déclarer que la Tunisie ne peut, ni doit admettre personne dont elle ne veut pas. Nous attendons des mois un discours structuré et non des véhémences à l’endroit des pays qui poussent leurs concitoyens vers nos frontières.

Le 15 février dernier nous avons appelé à la fermeture des frontières, à la mise en place d’un visa très dur et à la sortie des accords mortels pour la Tunisie.
Six mois d’attente pour aboutir à un texte qui ne résoudra pas le problème.

T.B.
Politologue

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