Tawfik BOURGOU*
- On est en droit de mettre en doute les objectifs militaires et même politiques de la branche palestinienne des frères musulmans jusqu’ici financée par le Qatar
- Hormis aider l’Iran à desserrer l’étreinte occidentale, il n’y aucune logique à ce que le Hamas a fait, à part déclencher une vague «romantique» dans le monde arabe
- Gaza a mis à nu le rôle du Qatar dans le financement « sur ordres » des groupuscules terroristes, des groupes djihadistes… et des partis des frères musulmans
- Le financement moyen-oriental des pseudos printemps arabes a conduit directement aux attaques terroristes en France, en Europe et en Tunisie
- Ni lors des accords de Camp David, ni lors des accords d’Oslo, à aucun moment, les Etats-Unis n’étaient équilibrés dans leurs rapports entre Arabes et Israéliens
- Gaza a mis à nu l’incapacité du monde arabe, de son intelligentsia, de ses élites, de ses médias à sortir des schémas éculés d’analyse des conflits et des guerres
TUNIS – UNIVERSNEWS Au bout de quatre mois de combats et de destructions, il s’avère certain que la stratégie du Hamas s’est retournée contre les Palestiniens et la cause palestinienne elle-même… même si nous doutons de l’existence de l’existence d’une stratégie.
On est en droit de mettre en doute totalement les objectifs militaires et même politiques de la branche palestinienne des frères musulmans jusqu’ici financée et abritée par le Qatar sur autorisation américano-israélienne, ce que les frères musulmans n’ont pas voulu démentir à ce jour, ni d’ailleurs l’Emir du Qatar englué qu’il est dans sa diplomatie des « zones grises » et de factotum.
Après quatre mois le bilan est implacable et lapidaire : Gaza et toutes les villes de Gaza ont été détruites, 2.2 millions de Palestiniens sans abris, sans nourriture, bientôt sans terre. Car cette issue semble se profiler clairement.
Quels étaient les objectifs du Hamas le 7 octobre ? Hormis aider l’Iran à desserrer l’étreinte occidentale, il n’y aucune logique militaire ou diplomatique à ce que le Hamas a fait, à part déclencher une vague « romantique » dans le monde arabe qui oublie à chaque fois que les guerres se jouent en multiples phases, en multiples théâtres, qu’on peut gagner une escarmouche mais on peut perdre la guerre et la terre aussitôt. Juin 1967 et autre juin-aout 1982 ne semblent pas avoir été des leçons suffisamment explicites.
Il est désormais possible d’aller plus loin dans l’analyse au bout de ces quatre mois car ce qui se passe à Gaza a mis à nu tous les agendas cachés, les « proxy », les supplétifs et autres acteurs, non seulement dans le cas palestinien mais plus largement au Moyen Orient et au Maghreb.
Gaza a mis à nu le rôle du Qatar dans le financement « sur ordres » des groupuscules terroristes, des groupes djihadistes, des mouvements politiques, des partis frères musulmans. Le Qatar est désormais le financeur des « guerres grises » et de la destruction des Etats qui ont le malheur de déplaire à ses donneurs d’ordre.
Nous l’avons déjà souligné à maintes reprises et nous ne cesserons jamais de le répéter. Le Qatar a un rôle néfaste y compris en Tunisie et il faudrait que cela cesse. Cela cessera inéluctablement.
Nous pouvons désormais aller plus loin dans l’analyse du rôle du Qatar dans les pays arabes « non monarchiques » depuis 2011 : il est l’acteur d’un jeu transformationnel par financement de groupes ou d’acteurs pour adapter des terrains, des pays à la stratégie américaine du moment. Le Qatar est un proxy d’un genre nouveau, il finance la levée de troupes irrégulières et supplétives pour les utiliser dans des jeux transformationnels quitte à financer le terrorisme international. C’est un rôle trouble. A titre de comparaison, ce rôle fut partiellement dévolu à l’Arabie Saoudite en Afghanistan du temps de la lutte contre l’URSS, le Pakistan et spécialement l’ISI s’est chargé du recrutement des djihadistes. On connait la suite qui nous mène jusqu’au 11 septembre 2001.
D’ailleurs, y compris en Afghanistan, le Qatar a joué un rôle de parrain des talibans, même si les Occidentaux pour des raisons d’investissements immobiliers dans les capitales européennes, ou d’achat d’avions de chasse, feignent ne pas voir les aventures qataries en «zones grise» à moins que cela ne soit des «missions» du Qatar sur ordres occidentaux, spécialement américains.
Là aussi on connait la suite, le financement moyen-oriental des pseudos printemps arabes a conduit directement aux attaques terroristes en France, en Europe et en Tunisie. Pour être clairs : les financements en provenance des pays du Golfe ont conduit par effet de boomerang aux attaques de Paris, Berlin, Nice, Djerba et Tunis. C’est la face sombre de l’action des «proxy» moyen-orientaux forts de leurs masses financières et de leurs actions dans les zones grises.
Gaza a mis à nu aussi le rôle des Etats-Unis comme partie prenante de la question palestinienne au même titre qu’Israël. D’ailleurs les Etats-Unis n’ont jamais nié, no caché ce statut. Ce sont les Arabes, qui naïvement, ont cru que les Américains étaient ou pouvaient être des arbitres au Moyen Orient. Ni lors des accords de Camp David, ni lors des accords d’Oslo, à aucun moment, les Etats-Unis n’étaient équilibrés dans leurs rapports entre arabes et israéliens. Ils ne le seront jamais d’ailleurs. Le seul Etat allié des Etats-Unis du Maghreb jusqu’au Golfe Arabo-persique c’est Israël. Les Etats arabes sont au mieux des supplétifs, comme le Qatar, sinon des vassaux qu’on peut lâcher du jour au lendemain sans explications aucunes. Le cas de Moubarak et de l’Egypte est à ce titre illustratif du statut de supplétif.
Gaza a mis à nu l’incapacité du monde arabe, de son intelligentsia, de ses élites, de ses médias à sortir des schémas éculés d’analyse des conflits et des guerres.
L’ivresse des défaites semble revenir à chaque guerre et à chaque conflit. L’analyse à froid, l’évaluation des causes et des conséquences, le regard stratégique en dehors des sentiments, de la véhémence et de l’hubris semblent impossible. C’est ce qui a manqué à maintes reprises à la question palestinienne et aux causes arabes durant plus de soixante-dix ans. Rappelons le discours du Président Bourguiba à Jéricho et la réaction des masses nasseriennes qui ont investi et brûlé l’ambassade tunisienne au Caire. La masse n’est pas capable d’entendre la voie de la diplomatie, elle est ivre de défaites et de vengeance.
Au mois de mars 1991, après la cuisante défaite de Saddam Hussein face aux Etats-Unis, un autre tunisien, que j’ai eu la chance et l’honneur de connaitre, Si Hammadi Essid, paix à son âme, a eu le malheur de dire les choses qui ont déplu aux potentats de l’époque. En substance il avait relié les défaites, les guerres au sous-développement, aux dictatures et surtout à l’état des relations entre les Etats-Unis et les monarchies arabes du Moyen-Orient : une relation de vassalité, archaïque et indigne. Il fût écarté de la Ligue Arabe, ce qui était en son honneur, car servir un « cadavre » n’était pas à la hauteur de ce grand diplomate.
Gaza est une défaite palestinienne par instrumentalisation de la cause palestinienne par des acteurs limitrophes (Qatar) et lointains (Iran), un instrument entre les mains d’aventuriers, de vassaux en recherche d’un rôle disproportionné par rapport à leur poids réel et même par rapport à leurs capacités intellectuelles.
T.B.
*Politologue