TRIBUNE – Toxique voisinage et diplomatie de la sujétion

Tawfik BOURGOU

• Si ce Royaume est si préoccupé par la situation des subsahariens en Tunisie, il peut les accueillir sur son territoire et les y installer. Grand bien lui fera.

• Sur 270° de cadran, le voisinage de la Tunisie lui est hostile en partie par la faute de ses gouvernants, tous sans exception aucune, même en remontant à la période Ben Ali

• La Tunisie n’est pas plus arabe qu’un autre pays, au point d’inscrire dans «une constitution» la lutte légitime d’un peuple, mais pour laquelle la Tunisie ne pourra rien

• Le comportement de la soldatesque libyenne, à propos des Subsahariens, venant de leur territoire, dénote d’une collusion à peine voilée avec le MarocDans ses rapports avec la Tunisie l’Algérie a elle aussi, joué de la stratégie de la vassalisation et de l’ingérence allant jusqu’à intercéder entre l’UGTT, Ennahdha et l’actuelle présidence, comme si Monsieur Tebboune était le régent du pays

• Au temps de la funeste Troïka, la liste des ministres du gouvernement frères musulmans et gauche avait été préalablement présentée au cabinet de Monsieur Erdogan

• La déstabilisation durable de la Tunisie notamment depuis la zone sud semble être un objectif en cours de réalisation

TUNIS – UNIVERSNEWS – Dans une série de déclarations, le Maroc a accentué son hostilité vis-à-vis de la Tunisie. Nous pensons qu’il n’est pas étranger d’ailleurs à ce qui se trame sur la frontière avec la Libye. Son rapprochement avec des parties libyennes en coordination avec au moins deux pays du Moyen-Orient, dont un pays arabe qui a été et demeure encore toxique pour la Tunisie : le Qatar, accrédite cette thèse. La sortie des officiels marocains sur les subsahariens est à la fois inutile et hypocrite. Il suffit d’aller visiter la zone proche du territoire espagnol au nord du Maroc pour se convaincre du très humanitaire comportement du Maroc vis-à-vis des populations originaires d’Afrique subsaharienne. Une simple promenade dans les quartiers pauvres de Casablanca et de Rabat suffirait à se faire une idée.

D’ailleurs si ce Royaume est si préoccupé par la situation des subsahariens en Tunisie, il peut les accueillir sur son territoire et les y installer. Grand bien lui fera.
Depuis 2011, le Maroc a entrepris une hostilité ouverte, active et destructrice contre la Tunisie qui, à l’époque, n’avait rien entrepris contre ce royaume. Les choses se sont accentuées depuis 2022. Avec l’entrée dans le dossier libyen, le Maroc entreprend d’encercler la Tunisie par le sud et agira sans nul doute dans le sens de son écroulement. On mesure là les deux fautes stratégiques commises en 2011 par le provisoire de l’époque qui s’est jeté aux pieds du souverain marocain et le piège tendu par l’Algérie de l’accueil à Tunis du chef du Polisario.

De fait, sur 270° de cadran, le voisinage de la Tunisie lui est hostile en partie par la faute de ses gouvernants, tous sans exception aucune, même en remontant à la période Ben Ali.

N’en déplaise au chef de l’Etat, la Tunisie n’est africaine que par sa géographie qui ne gomme pas le reste. Affirmer cela c’est comme affirmer, en raison de la continuité du socle géographique, que l’Europe est asiatique ou que l’Asie est européenne.

Ce sont des phrases qui n’ont aucun sens, sauf dans la tête de ceux qui s’en réclament désormais pour exiger possession et implantation dans notre pays. La Tunisie n’est pas plus arabe qu’un autre pays au point d’inscrire dans « une constitution » la lutte -certes légitime d’un peuple- mais pour laquelle la Tunisie ne pourra rien, sauf à subir bêtement les inimitiés d’autres pays, qui désormais sont militairement présents au Maghreb et seraient vraisemblablement à quelques kilomètres des frontières sud de la Tunisie donc en Libye.

Un ancien président aujourd’hui décédé, a été encore plus loin en affirmant à l’endroit des Tunisiens et des Libyens qu’il s’agissait d’un peuple séparé par une frontière. C’est une affirmation bête qui coûte cher. Il est vrai qu’à chaque fois où le malheur a frappé les Libyens de la Tripolitaine, ils sont remontés chez nous dans nos terres. Mais là aussi le déséquilibre est humiliant. Un libyen a le droit d’acheter des biens, en Tunisie. Ce droit grassement offert aux étrangers comme si la Tunisie était une res nullius, est interdit aux Tunisiens en Libye. Le poids négatif du voisinage de la Libye n’est plus à démontrer.

Le comportement de la soldatesque libyenne, grimée en « police » ces derniers jours à propos des Subsahariens venant de leur territoire et voulant investir le territoire tunisien dénote d’une collusion à peine voilée avec le Maroc ou les deux autres Etats agissant depuis la Libye contre la Tunisie.

Dans ses rapports avec la Tunisie l’Algérie a elle aussi, joué de la stratégie de la vassalisation et de l’ingérence allant jusqu’à intercéder entre l’UGTT, Ennahdha et l’actuelle présidence, comme si Monsieur Tebboune était le régent du pays.

L’acceptation de la sujétion a créé un précédent grave. La poussée vers le territoire tunisien de subsahariens en grand nombre depuis le territoire algérien est une action inamicale. Le silence officiel peut s’apparenter à un tribut payé à la dépendance construite volontairement vis-à-vis de l’Algérie qui se paye chaque joue un peu plus.

Le comportement vis-à-vis de l’Algérie est désormais reproduit à l’identique vis-à-vis de l’Italie. Tout donne l’impression que, sectoriellement, chaque ministre italien a reçu mandat pour un bout de la Tunisie. Après le ministre des affaires étrangères Tajani qui parle de la Tunisie à tous ses visiteurs et à tous ses hôtes, le ministre de l’économie en parle comme de la Sardaigne ou de la Sicile. La cheffe du gouvernement quant à elle considérerait presque la Tunisie comme un Etat sous tutelle.

Au temps de la funeste Troïka guidée par le parti des frères musulmans, la sujétion vis-à-vis du Qatar et de la Turquie a franchi un pas jamais connu en Tunisie depuis 1956. La liste des ministres du gouvernement frères musulmans et gauche avait été préalablement présentée au cabinet de Monsieur Erdogan. Une sorte de reconnaissance de vassalité vis-à-vis de la «porte sublime».

N’est-ce pas le provisoire qui a reconnu expressis verbis avoir demandé l’aide d’Erdogan pour nous citons «Nettoyer l’armée» ?
Lors du Conseil National de Sécurité, une information a été citée, elle a été raillée par certains, quand d’autres s’en étaient félicité.

Les sommes venues à Sfax depuis l’Afrique subsaharienne interrogent au plus haut point. Il suffit de se penser que cette technique a été employée contre au moins deux pays du Moyen-Orient dont un pays arabe dans le cadre d’une attaque contre l’économie et la stabilité des deux pays en question.

Ces sommes sont arrivées en Tunisie depuis les pays du Golfe de Guinée. Il faut alors s’interroger sur le réseau bancaire et financier intermédiaire qui acheminé ces fonds depuis le point de départ, vraisemblablement le Moyen-Orient avec un passage en Europe pour brouiller les pistes. Il faudra se poser la question de savoir quel pays dispose d’un réseau diplomatique, financier, associatif suffisamment étoffé en Afrique de l’ouest pour réaliser une telle opération. A l’échelle de la finance mondiale, les sommes sont dérisoires, à l’échelle de la fortune du pays qui a avancé les fonds, les sommes sont dérisoires. A l’échelle d’un pays qu’on veut déstabiliser dans le cadre d’une guerre hybride, ces sommes sont considérables. Les gains politiques et stratégiques seraient assez importants. Au passage on peut s’interroger sur le maintien d’un réseau bancaire lié au Maroc en Tunisie et qui avait ambitionné à un moment de racheter les parts de BNP dans l’UBCI.

La déstabilisation durable de la Tunisie notamment depuis la zone sud semble être un objectif en cours de réalisation. Cela permettrait de neutraliser la Tunisie dans le cadre d’un plan plus vaste et plus stratégique. Nous savons en effet que pour tenir la Libye, il faut aussi s’assurer au moins de la neutralisation de la Tunisie. Cela nous rappelle l’affaire de Gafsa. Seule différence par rapport à 1980, cette fois le territoire libyen est impliqué mais pas l’Algérie.

La Tunisie paye aujourd’hui la destruction de sa diplomatie. Cela ne remonte pas seulement à 2011. Les prémices d’une réorientation furent initiées dès Mzali. Avec les frères musulmans l’attaque contre les fondamentaux a été encore plus franche. Qatar, Turquie, Etats-Unis, dans l’ordre formaient les trois axes dans lesquels ils ont inscrits la Tunisie, non pas dans le cadre d’une recherche d’intérêts mais pour en faire un supplétif en Libye et en Syrie. C’est le crime majeur contre les intérêts nationaux.

Aujourd’hui ce sont les contextes maghrébins et subsahariens qui deviennent plus que jamais toxique et qui menacent non seulement l’indépendance du pays mais surtout, chose plus grave, jusqu’à son existence, lui qui est la plus vieille entité géopolitique du continent et un des plus vieux Etats du bassin méditerranéen.

Que faire, au moment où, dangereusement, l’interne et l’externe se mêlent par des jeux d’acteurs, y compris ceux qui ambitionnent de revenir aux affaires et qui sont soutenus par des Etats du Maghreb et au moins deux Etats du Moyen-Orient, dont un arabe ?
Il n’y a que peu de solutions.

L’avenir immédiat de la Tunisie n’est ni avec le Maghreb, ni avec le monde arabe et encore moins avec l’Afrique. Il ne faut considérer ces axes que sous l’angle des contraintes qu’ils nous imposent et les contrebalancer par de vraies alliances, fortes et pérennes, qui ne tiennent pas compte des sentimentalismes et des dimensions putatives d’antériorités historiques. Seuls les intérêts commandent.

S’il fallait une stratégie elle serait en quatre axes concomitants :
– Casser et diminuer la dépendance vis-à-vis du voisinage immédiat (Algérie et Libye). Ça doit être un axe diplomatique, mais aussi une stratégie d’action interne.
– Ne jamais entrer dans les jeux des petites guerres du Maghreb et du monde arabe pour des bouts de trottoirs (comme le Sahara occidental) et frapper fortement à la moindre ingérence dans nos affaires intérieures.
– Nouer ouvertement des alliances directes, ouvertes et assumées avec de vraies puissances et non des pays qui eux-mêmes sont des acteurs de seconde ligne (Que serait l’Italie sans l’OTAN ? question à méditer par ceux qui ont le soudain tropisme italien !)
– Se défaire du boulet africain qui est une menace à long terme par une vraie stratégie militaire de gestion de la menace aux frontières, du niveau du XXIe siècle.

T.B.
Politologue