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Il faut songer aux conséquences de cette loi sur le pays dans son ensemble comme sur les individus
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Cette loi risque d’être une porte ouverte au délit d’opinion et au délit de tendance et la crainte est qu’elle n’ouvre un boulevard aux arabo-identitaires exaltés et aux illuminés de tout poil
TUNIS – UNIVERSNEWS – Et voilà ! Ce qui devait arriver advint ! En Tunisie, une proposition de loi sera débattue, aujourd’hui, en plénière à l’Assemblée des représentants du peuple. Elle prévoit d’infliger une peine de prison pouvant s’élever jusqu’à cinq ans, en plus d’une amende de dix à cent mille dinars, à toute personne inculpée de normalisation avec Israël.
Profitant de la vive émotion suscitée par les événements tragiques de Gaza, les Tunisiens, mus par l’émotion et jamais par la raison, s’apprêtent une fois de plus à voter une loi qui leur servira dans un premier temps de défouloir, un petit remède à la colère et au sentiment d’impuissance. J’espère que cette loi, une fois le calme revenu et les esprits apaisés, ne se transformera pas en un instrument de répression.
Avant de la voter, avant de se laisser griser par l’héroïsme romantique et se mettre dans la tête que cette décision historique donnera des insomnies aux dirigeants israéliens, il faut songer aux conséquences de cette loi sur le pays dans son ensemble comme sur les individus. Des conséquences qui, en l’occurrence, sont plus que prévisibles.
Cette proposition de loi prévoit, entre autres, de punir toute personne ayant pris part à des activités ou des manifestations politiques, économiques, scientifiques, culturelles et sportives organisées sur les territoires contrôlés par Israël. Que va-t-on faire des Tunisiens de confession juive qui se rendent régulièrement en Israël ?
Quand est-ce que le sportif, l’artiste, l’homme d’affaires ou l’universitaire doit voir le voyant rouge s’allumer devant lui pour qu’il ne se retrouve pas en taule ?
Je crains que cette loi ne soit la porte ouverte au délit d’opinion et au délit de tendance. Je crains qu’elle n’ouvre un boulevard aux arabo-identitaires exaltés et aux illuminés de tout poil, mais aussi aux interprétations juridiques les plus arbitraires (seul le procureur de la République est habilité à engager des poursuites dans ce sens), et n’intimide les quelques personnes au discours pondéré et raisonné.
A mon avis, si cette loi passe, elle permettra aux palestinolâtres de s’arroger le droit de parler de la question palestinienne en toute aisance et liberté, tandis que ceux qui ont l’habitude d’y apporter de la nuance se mureront dans le silence par peur d’aller en prison. Sans parler de ceux qui sont connus pour leur hostilité au pouvoir en place ; ceux-là n’ont qu’à bien se tenir.
Encore un sujet qui risque d’être confisqué aux voix dissonantes et de devenir la chasse gardée des palestinophiles les plus zélés ou, j’ai envie de dire, les plus fanatiques. En effet, en Tunisie, dès qu’il s’agit de Palestine, les représentants de certaines familles politiques, avec à leur tête les nationalistes arabes-panarabistes, n’hésitent pas à faire preuve de fanatisme. Un fanatisme qui, par ailleurs, n’a rien à envier à celui des religieux.
Mohamed Sadok Lejri
Universitaire et Analyste