Tawfik BOURGOU
- Le coup de poker de la dissolution ne sauvera pas le second mandat de Monsieur Macron et ne créera pas de nouvelle dynamique politique en France
- C’est un séisme politique qui risque d’emporter les fondements et les certitudes des politiques européennes
- Fortement dépendante de l’argent européen et de l’OTAN, le nouveau gouvernement français voudra contrecarrer par le budget les vues et les actions du président
- Il est probable qu’après la tourmente politique la France entrera dans une crise sociale, dès l’automne d’ailleurs
- Il est certain que l’axe principal de l’action du RN à la tête de la France sera un durcissement total de la politique migratoire
- L’Europe et la France de Monsieur Sarkozy avaient participé directement à la destruction des Etats remparts, des Etats tampons avec l’Afrique subsaharienne
TUNIS – UNIVERSNEWS – Une simple lecture des résultats des élections européennes et de leurs distributions territoriales, leurs cartographies, montre que c’est une page de l’Europe qui se tourne.
Sauf miracle de dernière seconde, donc impossible à envisager, le Rassemblement National gouvernera la France pour la suite du mandat de l’actuel Président Macron. Il est probable que cette arrivée aux affaires prépare et précède l’arrivée de Madame Le Pen à l’Elysée en 2027. Le coup de poker de la dissolution ne sauvera pas le second mandat de Monsieur Macron et ne créera pas de nouvelle dynamique politique en France. On peut l’espérer, mais la situation actuelle de la France en interne, sa place dans le monde, ne laisse pas présager la victoire du centre droit de la majorité présidentielle sortante.
Avec le vote des Européens et celui des Français, c’est un séisme politique qui risque d’emporter les fondements et les certitudes des politiques européennes, celles qui se sont instaurées depuis le Traité de Rome, certaines qui se sont installées depuis la sortie de la seconde guerre mondiale en France. Le vote et la dissolution, certainement les élections anticipées, seront un séisme aux multiples répliques dans l’Hexagone d’abord, dans le voisinage immédiat et dans le monde certainement.
Il est certain aussi que le vote en France entrainera une suite de « reclassements » politique dans l’ensemble de l’Union Européenne, tant au niveau de la poursuite du projet européen que dans le cadre des relations de l’Union Européenne avec son voisinage immédiat et un peu plus lointain.
L’arrivé probable de Monsieur Bardella à Matignon sera le premier jalon d’une démondialisation. Car la défaite du camp de Monsieur Macron le 9 juin, la défaite de la social-démocratie européenne, c’est aussi la défaite de la doctrine libérale, mondialiste. Si Trump devait revenir au pouvoir en novembre prochain aux Etats-Unis, ce serait un signal fort de la fin de ce que Walter Russel Mead avait désigné par « le carnaval » de la mondialisation, faussement « heureuse ».
Le RN à Matignon peut contrecarrer, voir bloquer de façon indirecte nombre de projets européens, ceux de l’élargissement, même si la politique étrangère restera le domaine réservé du Président, il n’en demeure pas moins que la « réécriture » des priorités budgétaires abaissera certainement les ambitions européennes du président.
L’affaire ukrainienne risque elle aussi de pâtir de l’arrivée du RN à Matignon. A ce jour, la France est le pays le plus en pointe avec une aide matérielle conséquente, voire même une aide par le biais de conseillers militaires. Il est probable que cet engagement sera au moins limité, sinon arrêté, il sera en tout cas soumis au prochain parlement. Là aussi les réalités budgétaires amèneront le gouvernement RN à revoir les priorités et les engagements à la baisse. Sans aller jusqu’à la position pro-russe d’un Orban, ni à contrario vers réalignement à la Meloni, fortement dépendante de l’argent européen et de l’OTAN, le nouveau gouvernement français voudra contrecarrer par le budget les vues et les actions du président.
Le RN va hériter de la lourde dette et d’une économie qui sera forcément impactée par sa propre arrivée au pouvoir. Déjà, la dette et bientôt la note souveraine de la France sont chahutées. Initialement, le programme du RN était basé sur une abrogation de la réforme des retraites et celle concernant le chômage. Il comportait des avantages pour les jeunes ménages imposant donc de nouvelles dépenses que ne pourraient autoriser que des coupes dans les engagements extérieurs, dont ceux en direction de l’Ukraine. Le candidat pour Matignon a quelque peu modéré ses ambitions concernant la question des retraites. En revanche son programme ne peut se financer sans une forte augmentation des impôts. Aucune marge budgétaire n’est possible, ni aucune possibilité d’endettement supplémentaire. Il est probable qu’après la tourmente politique la France entrera dans une crise sociale, dès l’automne d’ailleurs.
Le seul volet où le RN pourrait envisager des résultats immédiats, ce sera la lutte contre l’immigration et contre l’insécurité. Il faut reconnaitre que la France a connu ces quatre dernières années une submersion visible partout, des camps de tentes sous les rocades d’autoroutes, dans les jardins publics, une visibilité qui explique aussi le score enregistré par le RN le 9 juin. Il est certain que la côte de tolérance a été atteinte en France vis-à-vis de l’immigration. Les arrivées massives depuis l’Afrique subsaharienne, depuis l’Afrique du nord via l’Italie ont constitué l’aiguillon majeur du vote du 9 juin. Il y a aussi un point occulté par tous les pouvoirs, celui du lien entre immigration submersive et insécurité, notamment la montée en flèche des trafics divers et du trafic de drogue. C’est certainement sur ce terrain que le RN va tenter d’agir. Il sera relativement plus efficace que le gouvernement de Meloni, la France dépendant moins des financements européens dans le cadre de la gestion des flux migratoires. A ce titre, symboliquement, le RN pourrait exiger et obtenir la refonte de la gestion des frontières intra-européenne et des frontières extérieures.
Il est certain que l’axe principal de l’action du RN à la tête de la France sera un durcissement total de la politique migratoire, arrêt des arrivées et probablement une modification substantielle des relations avec les pays du voisinage, spécifiquement les pays du Maghreb. Mais là quelques nuances peuvent être envisagées. Il est probable qu’avec le Maroc, la relation sera plus fluide en raison de liens déjà existants. En revanche, en raison du contentieux historique, la relation avec l’Algérie sera certainement exécrable.
La Tunisie, très faible et sans ligne directrice dans l’affaire de l’immigration subsaharienne, sera le perdant principal. Même si par miracle le RN ne devait pas arriver à Matignon, certains parrains de l’arc social-démocrate, dont Daniel Cohn-Bendit, ont dès hier ouvert la brèche de création de camps d’immigrés subsahariens en Tunisie sous protection de casques bleus (LCI, lundi 10 juin 2024, 21 h). Autrement dit, le long du spectre politique de la droit conservatrice au centre gauche, la Tunisie est envisagée comme un bantoustan, guère plus. Le prix payé pour n’avoir pas fermé sa propre frontière, de l’aveu de l’ancien ministre tunisien de l’intérieur, sera exorbitant pour la Tunisie dans un contexte qui sera marqué par un alignement total des politiques italiennes et françaises.
Plus loin et hors question migratoire, l’arrivée du RN à Matignon, va soulager Poutine et la Russie. Certes Macron restera l’acteur majeur du jeu diplomatique, mais l’expérience des cohabitations françaises depuis 1986, a montré que lorsqu’un président n’était pas adossé à une majorité et à un gouvernement issu de sa famille politique, son action extérieure s’en ressentait.
Le naufrage politique de la majorité présidentielle le 9 juin a était attendu, ce n’est nullement une surprise. La dissolution l’est d’avantage, mais elle ne fait qu’anticiper ce qui allait advenir en 2027. L’arrivée du RN à la tête du gouvernement français dans ce contexte précis marqué par la déliquescence de la diplomatie américaine, par la perte d’influence de la France, presque partout, par la montée des périls de la guerre en Europe, réécrit totalement l’équation Est-européenne et méditerranéenne.
Ce qui est arrivé le 9 juin 2024 c’est aussi, au moins partiellement, une réplique directe des errements militaires et diplomatiques depuis 2011, une des conséquences de la démolition de la Libye, de la Syrie et de la Tunisie dans le cadre du projet démocrate, obamiste/clintonien des funestes printemps. L’Europe et la France de Monsieur Sarkozy avaient participé directement à la destruction des Etats remparts, des Etats tampons avec l’Afrique subsaharienne. En effet, l’immigration submersive, principal aiguillon du vote du 9 juin, est une conséquence directe de la guerre stupide en Libye, une conséquence du soutien américain aux islamistes tunisiens qui ont démoli et appauvri l’Etat tunisien, c’est la conséquence directe de l’action conjointe de Monsieur Hollande et Obama à l’endroit de la Syrie et une conséquence de la bêtise de Madame Merkel ouvrant les frontières allemandes à qui veut entrer en Europe.
Le reflux français d’Afrique depuis quelques années, combiné avec l’éventuel retrait pour des raisons spécifiques à la vision politique du RN favoriseront de façon directe l’arrivée et l’implantation d’autres acteurs à quelques encablures des côtes françaises, susciteraient certainement une réaction américaine de terrain, ce qui augure de tensions à venir au moins dans le bassin occidental de la Méditerranée. Certains se sont réjouis directement de la défaite de Macron, oubliant que leur pays tire sa principale source de devises des envois de la diaspora à l’étranger qui est à 90% localisée en France.
L’inconséquence d’une certaine presse et de pseudo-analystes ne semble pas avoir de limites.